Dessin d'Alex laliberte.ch
Dominique Giroud est un vendeur de vin valaisan. Il est le fondateur de Giroud vins SA, une des trois plus grandes caves du Valais.
En 1995, Dominique Giroud a créé sa première entreprise (« Dominique Giroud & Cie ») et commencé à faire du commerce de vin. En 1999, sa société prend la forme d’une société anonyme (SA).
En 2003, il créé deux sociétés à Zoug (Weinhandel Edelweiss AG et Torcularia Holding AG) ; elles sont administrées par Peter Hess. En 2005, « Dominique Giroud & Cie SA » devient « Giroud vins SA ».
Il rachète plusieurs caves. En 2009, il créé Wine Universe, avec des magasins dans différentes villes de Suisse et à Singapour. En 2010, que le fisc commence à poser des questions sur les finances de Dominique Giroud. En 2014, Dominique Giroud possède huit sociétés connues.
Il a un vaste réseau dans le canton du Valais et a soutenu plusieurs clubs sportifs. Il était notamment le sponsor principal du Football club de Sion de 2003 à 2008.
Le 29 décembre 2013, Maurice Tornay confie au journal Le Matin qu'il a accepté de l’argent de Dominique Giroud pour sa campagne 2012-2013 de réélection au Conseil d'État du Valais.
Dominique Giroud, la chute d’un baron
Le vigneron et négociant aime tout contrôler, au point de monter des dossiers sur les gens avec lesquels il travaille.
Cela ressemble à une fuite en avant, à la stratégie désespérée d’un homme acculé. La décision de Dominique Giroud d’ordonner le piratage d’ordinateurs, notamment d’une journaliste du Temps, n’étonne pas un vigneron qui le connaît bien. «Dominique veut toujours tout savoir. En Valais, il est informé en temps réel par un large réseau d’informateurs. Il a des dossiers sur beaucoup de monde, notamment sur les gens avec lesquels il travaille. Là, il avait affaire à des gens qu’il ne connaît pas, alors…»
Dominique Giroud veut aussi tout contrôler au sein de son entreprise avec des exigences très élevées. Daniel Dufaux, qui a été son œnologue de 2006 à 2009, se souvient «d’un homme difficile à suivre», pour qui «il faut être disponible 24 heures sur 24». Pour les journalistes, impossible d’obtenir des renseignements sur son patrimoine ou son chiffre d’affaires. Interrogé sur le coût de construction de la cave monumentale de Sion, inaugurée en 2008, il a toujours répondu par une pirouette: «Seul mon comptable et moi connaissons cette information.»
Réseautage et sponsoring
Discret sur ses affaires, ce fidèle et le financier de la Fraternité d’Ecône est plus direct quand il s’agit de morale. Il s’est fait connaître en 1997 en finançant des affiches anti-avortement puis, quatre ans plus tard, en s’opposant frontalement à la Gay Pride de Sion. C’est à cette période-là qu’il développe un modèle économique inédit en Valais. Très actif sur le marché du vrac, il joue lui-même le courtier, achetant la récolte de petits producteurs en dessous des prix du marché, parfois hors quota. Il commence à utiliser le droit de coupage de manière industrielle, dépassant à plusieurs reprises la limite légale de 15%. Cela dès 1997, comme l’a souligné un rapport de la Commission de gestion du Grand Conseil valaisan.
Parallèlement à son activité viticole, Dominique Giroud a tissé un réseau de relations très solide en Valais et au-delà. Sponsor principal du FC Sion de 2003 à 2008, il a également soutenu la Patrouille des glaciers et plusieurs clubs de hockey sur glace comme le Lausanne HC. Il a aussi investi dans une écurie de vaches d’Hérens et assure l’intendance de la fameuse inalpe de la Combyre sur Veysonnaz à l’invitation de Jean-Marie Fournier. Avec un sens remarquable du marketing: avant que n’éclate l’affaire, le vigneron sollicitait lui-même les médias pour organiser des rencontres dans sa cave de Sion afin d’évoquer sa vision du vin et ses ambitions pour l’export.
Dominique Giroud a toujours minimisé les infractions commises. Le ton a changé ces dernières semaines, en tout cas parmi ses proches. A la tête de Château Constellation, société créée pour faire oublier Giroud SA, Charles-Albert Fumeaux confiait que Dominique Giroud «avait fait des bêtises et qu’il paierait pour cela».
La Politique valaisanne serre les rangs
C’est en juillet 2011 que les services d’Eveline Widmer-Schlumpf sont tombés sur Giroud Vins SA. Leur coup semblait bien préparé. Ils ont établi que la société et son propriétaire avaient caché pour 13 millions de bénéfices entre 2001 et 2009. En septembre, ils mettaient sous séquestre les biens de sa femme et sa société pour 11,5 millions de francs. Le secret est resté bien gardé, jusqu’à ce que Le Temps révèle l’affaire à fin octobre.
Dans les milieux viticoles, on est incrédule: «Ce n’est pas avec le vin qu’on peut faire des bénéfices pareils, même avec une grande cave», note un député. Personne ne veut commenter à visage découvert les ennuis de Dominique Giroud: «Ce serait comme tirer sur une ambulance», note un autre.
D’après des décisions de procédure du Tribunal fédéral datant de 2012, la société de Dominique Giroud devrait 1,1 million de francs d’impôt fédéral et lui 1,5 million. Dans sa défense, son avocat reconnaît ces chiffres, légèrement revus à la baisse: 950 000 francs et 1,350 million.
Il va de soi que le contrevenant n’a pas payé non plus ses impôts au canton et dans les différentes communes où il a déposé ses papiers (Chamoson et Grimisuat). L’AFC estime que Dominique Giroud doit 7,25 millions d’impôts fédéraux, cantonaux et communaux. Si les faits reprochés sont qualifiés de graves, l’amende peut être de trois fois ce montant.
Malgré les sommes en jeu, le monde politique valaisan est comme tétanisé dans ses réactions. Le PDC, les socialistes et l’UDC attendent d’avoir plus d’informations. Le président du PS, Gaël Bourgeois, résume cet attentisme: «Nous ne voulons pas entrer dans un jeu de politique politicienne. C’est à la justice d’agir.» Seul le PLR a demandé à ce que le budget 2014 soit augmenté d’un million de francs de recettes au cas au Dominique Giroud paierait ses arriérés: «Nous maintenons cet amendement pour vendredi après-midi, confirme le chef du groupe PLR Christophe Claivaz. Pour nous, il s’agit d’en savoir plus de la part du chef des Finances. Au mois de novembre, il nous avait répondu qu’il ne commentait pas des articles de presse.»
Le chef des Finances, c’est le conseiller d’Etat Maurice Tornay. Avant d’être en fonction, il dirigeait sa fiduciaire Alp Audit SA à Orsières, qui fonctionnait comme réviseur des comptes de Giroud Vins. Certains se souviennent que lors des élections fédérales de 2009, il avait même fêté son succès à la cave Giroud!
Oskar Freysinger dénonce une fuite orchestrée
«J’ai l’impression que c’est une affaire politique et qu’on cherche à atteindre Maurice Tornay à travers Dominique Giroud.» Le conseiller d’Etat Oskar Freysinger, vient ici au secours de l’encaveur et de son collègue en charge des finances: «D’abord, je dis que c’est une fuite orchestrée, dans laquelle on fait constamment l’amalgame entre Dominique Giroud et Maurice Tornay. C’est une tentative de déstabilisation politique.»
Concernant l’importance des sommes soustraites par Dominique Giroud, Oskar Freysinger ne s’en émeut pas: «Il y a un litige sur les impôts comme cela arrive tous les jours en Suisse. Il y a une procédure en cours et j’attends d’avoir du biscuit réel. J’attends des preuves. Si c’est de l’évasion fiscale et non une fraude, alors c’est une affaire administrative comme dans n’importe quelle entreprise et il devra la payer.»
Dans Le Nouvelliste, le journal pointe du doigt Brigitte Hauser, la collaboratrice personnelle d’Eveline Widmer-Schlumpf. Valaisanne d’origine, elle avait été la cible de Dominique Giroud dans une campagne d’affichage anti-avortement. Le journal insinue qu’elle serait à l’origine de la fuite qui a provoqué le premier article dans Le Temps à fin octobre.
Contactée par Le Matin, la haut-fonctionnaire s’est dite «choquée» par cette méthode: «S’il y a bien un point où je suis stricte dans mon travail, c’est le secret de fonction» a-t-elle répondu, se réservant d’éventuelles suites judiciaires.
Cette façon de faire a aussi choqué les parlementaires à Berne qui connaissent bien Brigitte Hauser. Mais les rumeurs de complot ne s’arrêtent pas. Le conseiller national Christophe Darbellay a aussi été accusé par l’entourage de Dominique Giroud d’être à l’origine de la publicité faite à ses déboires fiscaux avec l’Administration fédérale, ce qu’il dément totalement.
Ces théories de fuite polarisent la droite valaisanne dans un nouveau conflit. Il n’est pas étonnant de voir Oskar Freysinger prendre la défense de Dominique Giroud. C’est lui qui avait accueilli dans sa cave en 2011 l’extrémiste néerlandais Geert Wilders, alors que la commune de Savièse lui avait refusé une salle. Il y a des choses qu’on n’oublie pas.
Dans le Valais secret
Le mouvement intégriste de la Fraternité Saint-Pie-X reste bien implanté en Valais, notamment dans le monde politique. Mais peu à peu les affinités ont évolué. A l’aile conservatrice du PDC se substituent partiellement les jeunes UDC.
L’un des fils de Jean-René Fournier, celui qu’en Valais on surnomme le «Gouverneur», s’est marié dans la chapelle sédunoise d’Ecône cet été. La ferveur schismatique de l’ancien conseiller d’Etat, qui a dirigé le canton d’une poigne ferme pendant douze ans, se transmet de père en fils, comme souvent dans la Fraternité Saint-Pie-X. L’exemple illustre les liens qui ont longtemps existé entre Ecône et le Parti démocrate-chrétien, majoritaire en Valais. Aujourd’hui pourtant, le PDC ne représente plus les valeurs hyper-conservatrices des adeptes de Mgr Lefebvre, qui se tournent de plus en plus vers les jeunes UDC. Qui sont ces Valaisans du XXIe siècle qui veulent une messe en latin selon une liturgie quasi inchangée depuis le XVIe siècle? Plongée dans une congrégation où règne toujours la loi du silence.
Un seul fidèle a accepté de parler : André Franzé, ancien juge et procureur, président du Mouvement chrétien conservateur, a une septantaine d’années. Sa carrière est derrière lui et il ne craint plus de reconnaître son appartenance à Ecône. «J’ai connu enfant la messe d’avant le concile et j’y suis resté attaché», explique-t-il. «Le rituel ancien est beaucoup plus empreint de sacré et de spiritualité.» Comme lui, de nombreux fidèles disent la force du latin, des chants et d’un rituel datant de plusieurs siècles. «La messe de la Fraternité Saint-Pierre fondée par le pape ressemble beaucoup à celle d’Ecône», explique l’un d’eux. «Malheureusement, cela n’existe pas en Valais. Depuis le motu proprio prononcé en 2007, nous devrions pouvoir célébrer la messe en latin dans toutes les églises à la demande des fidèles. Mais ici nous n’y parvenons pas, les prêtres ont bien trop peur d’être envoyés au fin fond du Lötschental par l’évêque s’ils acceptent», dit-il en faisant allusion aux tensions vives entre la Fraternité et l’évêché. «Alors, pour trouver une belle liturgie, on va à Ecône.»
Perchée sur une butte de la rive gauche près de Riddes, l’église principale de la communauté domine la plaine du Rhône. En ce matin de la Toussaint, elle est plongée dans l’ombre de la montagne et regarde la rive droite ensoleillée entre les stries des lignes électriques. Les femmes portent la jupe ample en dessous du genou mais les couleurs sont joyeuses. Assises sur les bancs, elles coiffent souvent la mantille, parfois noire, parfois décorée de motifs à la mode. Des nouveau-nés ponctuent les chants grégoriens de leurs pleurs. Mgr Tissier de Mallerais, dos aux fidèles, psalmodie en latin pendant presque deux heures.
L’église réunit des familles qui sont là depuis toujours. Mais elle attire aussi de nouveaux adhérents, chez les jeunes. Le site web de la Fraternité héberge des sermons explicites sur le sujet: «La femme doit se montrer apte à tous les actes qui rendent le foyer aimable et attrayant. […] L’homme doit conquérir les qualités qui donneront à la femme le sentiment qu’elle peut s’abandonner avec confiance.»
«Ils ont une vision du monde extrêmement négative, dominée par Satan et le péché originel», critique le jésuite Jean-Blaise Fellay, historien de l’Eglise qui a beaucoup écrit sur Ecône dans les années 70 et 80. «Leur vision apocalyptique d’une société vouée à la destruction les pousse à se refermer sur eux-mêmes», poursuit-il. André Franzé et son Mouvement chrétien conservateur se réclament du droit naturel émanant du créateur lui-même et régissant tous les aspects de la société, du rôle de la femme à l’avortement en passant par le pouvoir politique. Les valeurs, d’origine divine, sont immuables et universelles; le créationnisme est de mise. Sur le promontoire d’Ecône, Mgr Tissier de Mallerais s’enflamme, dramatique, face aux fidèles: «Ne croyez pas les délires des libéraux [les œcuméniques]. Dire que le salut existe dans les fausses religions est une imposture, seuls les catholiques seront sauvés!»
De l’avis des proches de la Fraternité, le mouvement est en croissance. Le dogme veut que chacun fasse le plus d’enfants possible au regard de ses moyens financiers. Fortement encouragés à rester dans la communauté, les enfants font croître le nombre de fidèles. Rompre reste un acte difficile dans un groupe qui considère comme un «martyre spirituel de voir des âmes de notre famille s’égarer dans de fausses religions», prêche Mgr Tissier de Mallerais, le regard sombre, ce jour de Toussaint. Certains ont même été spoliés de leur héritage pour avoir quitté le giron «éconard», écrit la sociologue Isabelle Raboud en 1992 dans Temps nouveaux, vents contraires, Ecône et le Valais. Selon un ancien de la communauté, le Valais compterait environ 2000 fidèles, un nombre qu’estimait aussi Isabelle Raboud il y a vingt ans. Certains observateurs doublent volontiers la mise, tandis que d’autres jugent plutôt que le groupe décroît. «Il est très difficile de se marier hors communauté, avance Jean-Blaise Fellay. Cela crée rapidement des tensions et les enfants quittent l’Eglise.»
Aujourd’hui, la Fraternité Saint-Pie-X compte sept chapelles en Valais, à Glis, Sierre, Sion, Ecône, Riddes, Martigny et Monthey. La dernière église a été construite dans la zone industrielle sédunoise, au début des années 2000, pour remplacer un petit espace cultuel situé dans la vieille ville. Signe que la Fraternité a encore quelques moyens puisque ses biens immobiliers et le fonctionnement de ses paroisses sont entièrement financés par les dons des fidèles. A la Toussaint, la «basilique» n’est pas bondée mais bien fréquentée. Sur le parking, quelques grosses cylindrées aux vitres teintées et beaucoup plus souvent des monospaces familiaux et bon marché. Ce sont environ 200 personnes qui se sont déplacées.
Le Valais abrite aussi des écoles primaires «éconardes» qui dispensent un enseignement en phase avec les valeurs des fidèles. Deux classes d’une quinzaine d’élèves se sont ouvertes cette année. «On y enseigne des mathématiques très traditionnelles, beaucoup d’histoire et de français mais pas d’activités créatrices ni de sport», décrit Jean-François Lovey, chef du Service de l’enseignement du canton. «La méthode pédagogique est basée surtout sur la répétition du savoir. Il est très rare de voir ces enfants rejoindre l’école publique au passage du secondaire. Ils sont souvent trop en décalage avec le programme normal.» La Fraternité a obtenu l’autorisation de l’Etat de dispenser ces enseignements dans les années 80. Cela n’a pas été remis en question depuis.
Le silence et le secret qui entourent Ecône alimentent les bruits qui décrivent plusieurs personnages publics comme assidus des bancs de l’Eglise. Dominique Giroud, encaveur souvent présenté comme un important donateur de la communauté, répond comme d’autres que cela a trait à sa vie privée. Seuls Jean-René Fournier (conseiller national PDC et ancien conseiller d’Etat), Vincent Pellegrini (journaliste au Nouvelliste, ancien membre de la rédaction en chef et ancien séminariste d’Ecône) et André Franzé reconnaissent publiquement leurs liens avec la Fraternité. Des jeunes candidats UDC au Conseil national comme Grégory Logean ou Ariane Doyen sont des adeptes connus d’Ecône. Interrogés à ce sujet, ils refusent de commenter.
Il y a effectivement des personnalités du monde économique, politique et juridique dans les rangs d’Ecône, mais parler de réseau d’influence occulte paraît exagéré à tous les observateurs. Parce que les fidèles fréquentent la chapelle de leur région, sans tisser de liens importants avec le reste du canton, mais aussi parce que tous les conservateurs ne vont pas à Ecône. Maurice Tornay, conseiller d’Etat PDC que l’on a souvent décrit comme tel, est un catholique fervent, mais fidèle au Vatican. Et ce sont les bancs de l’église d’Orsières qu’il use.
A la création du mouvement, les soutiens d’Ecône étaient très clairement PDC. Guy Genoud, alors conseiller d’Etat, a cofinancé le terrain avec le procureur Roger Lovey entre autres. Le conseiller fédéral Roger Bonvin soutenait aussi publiquement la Fraternité. Aujour¬d’hui, à part Jean-René Fournier, aucun élu du parti ne répond plus aux attentes des fidèles d’Ecône. Le Mouvement chrétien conservateur, présidé par André Franzé et dont une partie des membres fréquente la Fraternité, a établi une liste des candidats aux dernières élections fédérales partageant leurs vues sur des thèmes comme l’euthanasie, l’avortement, l’homosexualité ou la consommation de drogue. Tous sont UDC et plutôt jeunes. «En Valais, nous tirons un électorat conservateur abandonné par le PDC et bien plus large qu’Ecône», estime l’UDC Grégory Logean.
L’identification au parti n’est pourtant pas complètement confortable pour les fidèles de la Fraternité. D’abord, parce que son leader, Oskar Freysinger, ne se prononce jamais sur des questions de foi et ne va pas à l’église. Ensuite, parce que «l’UDC représente une droite plus moderne qu’Ecône», estime Jean-Blaise Fellay. «Le parti est démocrate alors que les suiveurs de Mgr Lefebvre se réclament du droit naturel. En France, la Fraternité est plutôt monarchiste, opposée à la Révolution française qui a bouleversé l’ordre établi.»
Ce glissement, imparfait, du PDC à l’UDC serait l’un des signes que la base sociologique qui a permis au mouvement de s’implanter en Valais dans les années 70 s’est effritée. «Non seulement, la droite du parti majoritaire ne les représente plus, mais en plus le mouvement intellectuel et bourgeois attaché au latin n’existe plus», estime Jean-Blaise Fellay. Dans le contexte de la Guerre froide, le mouvement trouvait aussi des racines dans un anticommunisme affirmé qui n’est plus d’actualité.
Est-ce à dire qu’Ecône est vouée à disparaître? «Ecône représente un miroir dans lequel se sont reflétées les transformations du Valais moderne», écrivait Isabelle Raboud il y a vingt ans. «Or les bouleversements ont ébranlé les certitudes et suscité un sentiment d’insécurité. C’est ce qui a nourri le besoin d’enracinement et de références aux valeurs du passé.» Une affirmation qui vaut toujours aujourd’hui. Le terreau valaisan reste perméable aux idées conservatrices, qui refont surface régulièrement, au gré d’une polémique autour du crucifix dans les salles de classe, de l’éducation sexuelle dans les manuels scolaires ou de réformes de l’enseignement religieux. La défense du terroir, du patois, du folklore, de l’identité valaisanne et de son passé prend de l’importance. Et l’UDC a gagné du terrain aux dernières élections. «Même si le contexte n’est plus aussi favorable qu’en 1970, ce genre de groupuscule peut durer très longtemps», prédit Jean-Blaise Fellay.
Ecône dans l’univers Giroud
Si Dominique Giroud a choisi Alpes Audit comme réviseur des comptes, c’est peut-être parce que la société a un lien direct avec l’église d’Ecône qu’il fréquente depuis tout jeune
Alpes Audit est l’association de deux fiduciaires, la Fiduciaire de l’Entremont de Maurice Tornay, et la Fiduciaire des Alpes de Daniel Porcellana. Ce dernier est le fils d’une famille importante à Ecône. Son père, Michel Porcellana, a été longtemps le chauffeur de l’Evêque d’Ecône, Monseigneur Lefebvre.
La fraternité n’est pas loin non plus quand Dominique Giroud choisit celui qui le défend dans ses démêlés actuels avec la justice. Son avocat, Yannis Sakkas, est le neveu de Rémy Borgeat, un second chauffeur de Monseigneur Lefebvre.
Le vigneron choisit encore Léo Farquet comme avocat dans une procédure au moment de l’achat de la Cave des Combins en 2003. Ce dernier, président de la commune de Saxon, a siégé plusieurs années avec Dominique Pedroni comme vice-président. Ce dernier est le descendant d’une grande famille d’Ecône et revendique son appartenance à cette église. Léo Farquet est encore le président des caves Fils Maye dont l’ancien directeur vient de rejoindre Dominique Giroud.
En 1997, il finance une campagne d'affichage contre l'avortement. Il a été condamné par un tribunal suite aux affiches arborant les portraits de trois politiciennes favorables à l'avortement avec un fœtus en sang et la mention « Elles veulent une culture de la mort en Suisse, chaque civilisation a l'ordure qu'elle mérite ». Au tribunal, Dominique Giroud, principal accusé, a expliqué qu'il considérait son engagement comme « du devoir, du droit moral de réagir », « d'autant que ces femmes avaient pris position publiquement ». Lorsque le juge lui a demandé « Pensez-vous qu'elles veulent la culture de la mort ? », Dominique Giroud a répondu que « C'est le Saint-Père, le pape Jean Paul II, qui l'a dit ».
En 2001, Dominique Giroud finance une page de publicité dans Le Nouvelliste pour y faire passer des idées homophobes et contre la gay pride de Sion, avec le slogan « Tantes à Sion, tentation diabolique ». Il lance également, avec l'association RomanDit, une pétition pour interdire la manifestation.
Suite à une plainte, le site internet de RomanDit a été fermé pour homophobie ; un mois plus tard, Dominique Giroud a tenté de remettre le site en ligne sous un autre nom et il a à nouveau été fermé. Dominique Giroud a ensuite fait enregistrer son site chez un fournisseur basé outre-Atlantique.
Citadelles, RomanDit: Les intégristes ont-ils gagné en Valais?
Une nouvelle droite est-elle en train de dévorer le canton, profitant du terreau traditionaliste?
Personnalités: fidèles, sympathisants, ou sous influence. Qui fait partie de la nébuleuse?
Dogme: les subtiles relations entre les intégristes et le Vatican.
On les voit aux commandes des rouages politiques, administratifs et judiciaires. On les soupçonne dans la presse. On les entend dans leurs outrances anti-homosexuelles. A croire qu'Ecône et ses intégristes se portent mieux aujourd'hui que jamais. Est-ce le développement d'Ecône qui a fait naître ce mouvement d'extrême droite? Qui sont ces fringants traditionalistes qui dopent la droite conservatrice valaisanne?
Il y a d'abord les extrémistes. Activistes outranciers, ils n'ont aucun pouvoir, ne bénéficient d'aucun soutien officiel, Ecône ne les reconnaît pas, mais ils se reconnaissent dans Ecône. Les gens de RomanDit, de Citadelles? «Ce sont des têtes brûlées qui, à ma connaissance, n'agissent pas avec la bénédiction et encore moins sous mandat de la hiérarchie d'Ecône», affirme un ancien proche du mouvement. «Nous sommes tous traditionalistes, confirme Eric Bertinat, membre de RomanDit, c'est d'ailleurs dans ce cadre que nous nous sommes rencontrés. Mais Ecône en tant que tel n'a rien à voir dans nos prises de position puisque nous sommes un mouvement qui se veut apolitique et sans confession.»
«Les gens d'Ecône restent très en retrait de la vie publique valaisanne. Aucun dialogue officiel avec l'Eglise catholique du Valais. En clair, ils ne font pas de bruit, aucune action politique n'est lancée en chaire, le dimanche», explique un proche du mouvement. Cela dit, si le clergé écônard se désintéresse de la politique, cela ne vaut pas pour certains fidèles qui sont sympathisants, voire membres du mouvement chrétien conservateur.»
C'est notamment René Berthod, dit Rembarre, billettiste invité dans les colonnes du «Nouvelliste». «L'ambition d'Ecône, sa vocation et je l'espère son triomphe, c'est la transmission de certaines valeurs traditionnelles d'une doctrine sociale catholique qui demeure encore valable aujourd'hui», explique René Berthod.
L'homme est connu comme le loup blanc. Il a été l'un de ceux qui ont amené Jean-Marie Le Pen en Valais en 1984. Soixante-trois ans, démocrate-chrétien, successivement sous-préfet puis préfet d'Entremont, membre du Renouveau rhodanien hier et du mouvement chrétien conservateur aujourd'hui, il est sympathisant enfin de l'UDC à ses heures: «Ils ont une ligne intéressante; mais on ne reste pas aussi longtemps que moi dans un parti pour en changer sur le tard, explique-t-il. J'ai simplement quitté le PDC suisse et pris mes distances avec le parti cantonal où je ne paie plus de cotisations.»
Mais René Berthod n'est pas seul. Il y a, au sein du Parti démocrate-chrétien, des gens qui connaissent bien Ecône. Et pas des moindres. Le conseiller d'Etat Jean-René Fournier a souvent reconnu «trouver sa spiritualité dans la messe dite selon le rite traditionnel». Contacté, il ne souhaite plus, aujourd'hui, s'exprimer sur le sujet. Ses défenseurs sont plus prolixes. «L'ancien procureur du Bas-Valais, Roger Lovey, très marqué à droite, maurrassien dans l'âme et partisan de la première heure des traditionalistes d'Ecône, ne s'est jamais départi d'une rectitude et d'une droiture exceptionnelles dans son engagement professionnel. Pourquoi en irait-il autrement de Jean-René Fournier?» lâche un ancien élu fédéral radical.
Qu'importe. «Les milieux traditionalistes? J'ai le sentiment qu'ils ont une grande influence en Valais», explique Yves Ecoeur, président démissionnaire du Parti socialiste valaisan. «On trouve quelques gros actionnaires du "Nouvelliste" dans leur rangs, on parle aussi d'un juge au Tribunal cantonal. Il y a les gens de RomanDit, Dominique Giroud, Vincent Borgeat et Eric Bertinat. Bien sûr que c'est inquiétant. Mais est-ce que le mouvement gagne en ampleur? Je n'en sais rien.»
2000 fidèles
Il faut aujourd'hui dénombrer quelques milliers de sympathisants pour un millier de fidèles réunis dans les chapelles de Sierre, Monthey et Riddes, bientôt dans celle de Sion en construction et, évidemment, à la basilique d'Ecône payée, dit-on, rubis sur l'ongle par la Fraternité Saint-Pie X.
C'est qu'ils ne sont pas pauvres, les Ecônards. Les terrains sur lesquels sont sis leurs locaux touchent les communes de Riddes et Saxon. Ils ont été rachetés par la fraternité aux propriétaires initiaux, MM. Roger Lovey et Guy Genoud entre autres ou leurs familles. Aujourd'hui, c'est la fraternité qui est inscrite au registre cadastral. Quant aux impôts, impossible de savoir ce qu'ils payent. «Nous sommes une organisation cultuelle, par conséquent nous sommes exemptés d'impôts», lâche l'abbé de Jorna. «Ils payent des impôts, mais la loi interdit de dévoiler leur déclaration», explique-t-on dans l'administration fiscale. Qu'importe. Si Ecône paie son écot fiscal alors même qu'en Valais, les Eglises sont légalement exonérées, c'est qu'il n'y a pas que le culte dans leurs activités.
Ecône est très impliqué avec ce que cela signifie en termes économiques dans l'enseignement privé: de nombreux collèges et une université en France, une école primaire en Valais (Fleur de mai à Riddes). Ne serait-ce que par ses activités dans le domaine éducatif, Ecône démontre qu'elle n'est pas qu'une organisation cultuelle...»
Du point de vue temporel, Ecône, c'est le nombre, c'est l'argent et c'est un peu la presse et beaucoup la politique, sans qu'on sache pourtant toujours qui est qui. «Difficile de dire qui en est, qui n'en est pas, explique-t-on dans les milieux traditionalistes. Il y a des gens qui sont très marqués "droite conservatrice", très proches de nos idées, mais qui n'ont jamais réellement franchi le pas. On en trouve dans tous les milieux politiques et administratifs.»
Reste l'autre pouvoir, le pouvoir spirituel? «Ecône, ce n'est que l'Eglise catholique, lâche René Berthod. Du reste, si Ecône était schismatique, le Vatican devrait pratiquer avec les traditionalistes l'oecuménisme mis à l'oeuvre par exemple avec les orthodoxes. Au lieu de quoi, à Rome, on a toujours répondu que le problème traditionaliste n'était qu'une affaire interne à l'Eglise catholique.» Un avis partagé par tous les fidèles. «Même Rome le reconnaît, tonitrue Dominique Giroud. Nous sommes des fidèles qui vont à la messe; c'est tout.» De son côté, Dominique Pedroni, vice-président de Saxon et fidèle d'Ecône explique: «La fraternité n'a rien inventé dans le domaine de la tradition. Cette tradition existait avant le Concile de Vatican II, nous nous bornons à la maintenir vivace.»
Conservatisme exagéré? C'est un peu le travail, famille, patrie de la France de Vichy. Les discours de Marcel Lefebvre y ressemblent. «Ce n'est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même (...)» Cela, c'est l'appel du maréchal Pétain, le 25 juin 1940. «Fuyez l'atmosphère délétère des villes et retournez quand c'est possible à la terre. La terre est saine (...), elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail.» Cela, c'est l'appel de Mgr Lefebvre, prêchant la croisade traditionaliste le 25 septembre 1979.
Aujourd'hui, la guerre est finie. On ne parle plus des enfants du maréchal. Ceux de Mgr Lefebvre en revanche font encore parler d'eux. Dix ans après la mort de leur chef, ils sont près de quatre cents, les prêtres traditionalistes; et plus d'un tiers sont français. «Pétainistes? En France c'est évident... lâche un ancien séminariste aujourd'hui éloigné des traditionalistes. Lefebvre ne cachait du reste pas ses références dans ce domaine.»
«Il faut clairement différencier les nostalgiques de la messe en latin et les partisans réels des thèses de Mgr Lefebvre; les uns sont des fidèles d'occasion, les autres des extrémistes», relativise Yves Ecoeur. Un avis curieusement partagé à Ecône: «Vous verrez, dans le cadre du rapprochement avec Rome. Quelques-uns seulement s'y opposeront parce qu'ils se sentent des résistants. C'est comme en France pendant la guerre. S'il n'y a plus de guerre, il n'y a plus de résistants et c'est ce qu'ils ne veulent pas.»
Benoît Couchepin
Ecône? C'est une nébuleuse plus qu'une réalité. Il y a d'une part le séminaire. Cela c'est clair. Il y a d'autre part les fidèles. C'est un peu plus trouble. On ne les connaît pas tous; on suppute, on envisage, on susurre, mais on ne prouve pas. Il y a enfin les sympathisants. Invisibles, mais actifs dans la société civile et politique valaisanne. L'affiche anti-Gay Pride de RomanDit: «Payée par des personnalités valaisannes» dont on tait obstinément le nom. On voit des juges très à droite, «mais qui n'ont pas franchi le pas», on voit le succès électoral du glissement politique du PDC vers l'intolérance traditionaliste, on lit le chrétien conservateur Rembarre dans la presse cantonale. Il y a surtout, dans ce Valais rural, rude et âpre, un vieux fond conservateur qui ne meurt pas. C'est à ce traditionalisme-là que s'abreuvent sans vergogne les Ecônards.
Eric Bertinat
Membre de RomanDit, traditionaliste prêtant sa plume à Ecône, ancien député au Grand Conseil genevois.
«Nous sommes tous des traditionalistes. L'annonce anti-Gay Pride? Ce n'était qu'un début. Maintenant, nous nous concentrons sur la pétition. Les signatures rentrent bien.»
Yves Tabin
Juge au Tribunal de Sion, responsable de la condamnation jugée trop clémente des afficheurs anti-avortement de Citadelles, non traditionaliste. «Ce que j'ai défendu dans cette affaire, c'est la liberté d'expression. J'avais en son temps agi de même lorsque des traditionalistes attaquaient des propos tenus contre eux. Mais à l'époque, personne ne s'en était offusqué.»
Vincent Borgeat
Membre de RomanDit, assureur, traditionaliste. «Vous, c'est plus jamais. Vous n'êtes pas objectifs, ni vous, ni votre journal. Je ne vous réponds plus. C'est terminé.»
Benoît de Jorna
Directeur du Séminaire d'Ecône. «Nous n'avons aucune activité commerciale. Nous ne payons pas d'autres impôts que les taxes foncières portant sur les terrains où nous sommes implantés. Nous formons des prêtres, c'est tout.»
Jean-René Fournier
Conseiller d'Etat, PDC. Ne souhaite pas s'exprimer sur le sujet. Jean-René Fournier avait admis jadis «trouver sa spiritualité dans la messe dite selon le rite traditionnel».
Dominique Giroud
Membre de RomanDit, viticulteur, traditionaliste.
«Ecône, c'est pas de la politique. Ils se bornent à former des prêtres. Notre annonce, nous l'avons fait paraître à titre individuel. Si nous sommes tous des fidèles d'Ecône, c'est par coïncidence.»
René Berthod
Chrétien conservateur, traditionaliste, préfet du district d'Entremont, PDC.
«Ecône, c'est le souci de maintenir une doctrine vivace. Pour Mgr Lefebvre, la rupture avec le Vatican a été une expérience crucifiante, le drame de sa vie.»
L'affaire Giroud éclabousse le SRC
L'agent du Service de renseignement de la Confédération (SRC) arrêté en même temps que Dominique Giroud est un proche de l'encaveur valaisan. Le SRC enquêtait sur son employé depuis un mois.
Le collaborateur du Service de renseignement de la Confédération (SRC) entendu par le Parquet de Genève est un ami de longue date de Dominique Giroud, arrêté jeudi en raison de soupçons de piratage informatique. Selon une source connue de la RTS, le fonctionnaire partage une même sensibilité religieuse de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, à Ecône. Dominique Giroud s'affiche comme un pratiquant fervent de cette même Fraternité.
Longues années au renseignement
Aujourd'hui mis à pied, l'agent du SRC officiait depuis de longues années dans le monde du renseignement. Entre autres affectations, il a été en charge de la protection de la place financière suisse jusqu'à il y a peu. Par le passé, il aurait été même en contact avec Claude Covassi (voir article ici), un informateur des renseignements suisses qui a tenté, en 2006, d’infiltrer le Centre islamique de Genève.
Depuis un mois environ, le SRC, dirigé par Markus Seiler, avait entrepris des "auditions serrées" de son employé pour connaître l'étendue de ses activités à l'extérieur du service. Il aurait violé "son devoir de diligence et de prudence à l’égard de son employeur", laisse filtrer une source à Berne.
Liaisons dangereuses
Concrètement, le SRC s'interroge sur les liens de son agent avec un enquêteur privé genevois, un homme arrêté mercredi par le Parquet genevois en même temps que Dominique Giroud et le hacker. Ce détective privé fait, lui, l'objet d'une deuxième instruction pénale pour des soupçons de corruption d'huissiers à l’Office des poursuites à Genève. La justice genevoise a établi des liens entre les deux dossiers.
Selon une source policière, le nom de l’agent du SRC est en effet ressorti dans cette autre procédure menée depuis des mois par le Procureur général Olivier Jornot. "L'agent du SRC avait comme source le détective privé formellement prévenu dans l'affaire de corruption de l'Office des poursuites. C'est Genève qui a averti la direction du SRC qui, elle, n'avait aucune idée des activités de son collaborateur avec ce détective", explique encore ce même interlocuteur.
Egger Ph.