Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

vendredi 8 mai 2015

Le Mystère De La Bête Du Gévaudan


Entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767, une série de crimes atroces endeuille le Gévaudan (l'actuelle Lozère). La première victime officielle est une adolescente de 14 ans, Jeanne Boulet. La «Bête» qui terrorisa le Gévaudan durant ces trois années était-elle un loup surpuissant, comme on l'a voulu croire, ou un tueur en série ?

Les attaques

Les décès occasionnés par la bête du Gévaudan eurent lieu dans une région isolée du Massif Central, essentiellement reprise, de nos jours, à l'intérieur du département de la Lozère.

Au début du mois de juin 1764, une bergère fut attaquée non loin de la localité de Langogne par une bête d'aspect étrange qui effraya le chien de berger.  La jeune fille fut sauvée par l'intervention de ses boeufs qui, dans un réflexe de défense, se regroupèrent et firent face à l'animal.  Confrontée à trop forte partie, la bête prit la fuite.  La bergère compta sa mésaventure, nia avoir été attaquée par un loup et décrivit l'animal : une gueule allongée, le poil roux marqué d'une bande noire, une longue queue...
Même si les attaques de loups n'étaient pas rares dans la région à cette époque, il faut reconnaître que la mésaventure de la bergère était pour le moins étrange :

les loups n'attaquaient pas isolément mais en horde,
ils attaquaient essentiellement l'hiver, lorsqu'ils étaient poussés par la faim, mais pas en juin...

   
Le 30 juin, à Saint-Etienne-de-Lugdarès, on découvrit le corps d'une jeune fille de quatorze ans, laquelle avait été éventrée.

Peu après, trois garçons de quinze ans furent dévorés à Chayla-l'Evêque, puis une femme à Arzence, une fillette à Thoris, un jeune berger à Chandeyrac.  Dans le cas des deux dernières victimes, on ne retrouva que des débris de corps et des lambeaux de vêtements.

En septembre, une fillette de Rocles et un adolescent des Chosinets furent tués.  Le 8 septembre, un jeune homme survécut à une attaque au Pouget mais fut sérieusement blessé.  Le 19 du même mois, une jeune fille de vingt ans fut tuée près de Saint-Alban; elle fut retrouvée vidée de son sang.

Les autorités locales chargèrent le capitaine des dragons Duhamel de mettre un terme au carnage.
Insensible à la menace des militaires, la bête continua à terroriser les habitants de la région.  En octobre 1764, elle pénétra dans les rues du village de Julianges.  Un paysan, armé d'un fusil à deux coups, aperçut la bête et tira.  Touchée, la bête tomba mais se releva aussitôt.  Le deuxième coup de feu arracha à la bête un cri de douleur mais ne l'empêcha pas de prendre la fuite en courant !

Malgré l'engagement de 1 200 hommes, les patrouilles de Duhamel n'amenèrent aucun résultat.  Une mobilisation générale fut décidée à la fin du mois d'octobre 1764 et 10 000 paysans volontaires se joignirent aux dragons. Exécutées avec bonne volonté mais en désordre, les battues ne donnèrent aucun résultat.

Le 8 novembre, 200 chasseurs cernèrent la bête près du château de la Baume.  Un homme tira la bête à une distance de dix pas; elle tomba mais se releva.  Touchée une seconde fois, elle reprit sa course et fonça au milieu du groupe des chasseurs; encore touchée à plusieurs reprises, hurlant de douleur, la bête parvint à disparaître dans la nature.
 
Deux jours plus tard, l'optimisme des chasseurs, qui étaient certains que la bête était partie agoniser au fond d'un bois, fut réduit à néant : un jeune homme de RImeize fut attaqué par l'animal et sérieusement blessé.  Quelques jours plus tard, une jeune fille de vingt ans fut massacrée.
Malgré la mise en oeuvre de huit battues entre les 20 et 27 novembre 1764, l'animal ne fut plus localisé.  Dans le même laps de temps, dix victimes supplémentaires furent déplorées.  La tête d'une victime féminine ne fut retrouvée que huit jours après sa mort, à belle distance du lieu des faits.

Le 12 janvier 1765, André Portefaix, douze ans, se trouvait non loin de Chanaleilles, en compagnie de six enfants plus jeunes que lui, lorsque la bête repassa à l'attaque, tentant d'enlever l'un des enfants les plus jeunes.  Sous les directives du jeune Portefaix, les enfants se regroupèrent et firent face à la bête, la repoussant à coups de bâtons.  Portefaix constata que seuls les coups portés au niveau de la gueule de la bête semblaient avoir quelque effet.  L'exploit d'André Portefaix fut connu jusqu'à Versailles.  Le roi Louis XV ordonna que le jeune garçon soit élevé aux frais de l'Etat.  Par ailleurs, le souverain promit une prime colossale, 6 000 livres, à celui qui tuerait la bête.

Duhamel réunit 20 000 hommes dans tout le Gévaudan et lança une nouvelle chasse le 7 février 1765. La neige aidant, la bête fut repérée et cernée dans un bois.  Selon un scénario désormais connu, elle fut atteinte à cinq reprises mais parvint à fuir sans trop de mal.

Pour ajouter à l'effroi d'être invulnérable aux balles, la bête tua une nouvelle fois, dès le lendemain, à Malzieu : une jeune fille de 14 ans fut éventrée et décapitée.
Dans les semaines qui suivirent, la bête fit plusieurs victimes, frappant chaque fois à l'opposé de l'endroit où se trouvaient les dragons de Duhamel.  Ce dernier en vint sérieusement à douter du fait qu'un loup était le responsable du carnage.

A cette époque entra en scène un nouveau louvetier, présenté comme le meilleur de France, Denneval.  Ce dernier parvint à se faire envoyer en Gévaudan par le roi Louis XV.  Parvenu sur place, désireux de s'attribuer l'entier bénéfice d'un succès sur la Bête, Denneval obtint le renvoi de Duhamel et de ses soldats.

Denneval se mit en chasse au début du mois de mars 1765.  Le mois précédent, la Bête avait attaqué journellement, et tué une fois sur deux.  Trois mois durant, Denneval traqua la Bête, en vain...  Le 30 avril, il en revint aux méthodes critiquées de son prédécesseur, organisant une gigantesque battue avec les volontaires de 56 paroisses.  Découverte et atteinte par trois coups de feu, la Bête échappa une fois de plus à ses poursuivants.  Le lendemain et le surlendemain, comme par provocation, la bête tua dans deux villages différents.

Après la force, symbolisée par Duhamel et son armée, la ruse, représentée par Denneval et sa science des loups, avait échoué.

A ce moment, la bête du Gévaudan devint pratiquement une affaire d'Etat.  Le roi envoya son premier porte-arquebuse, Antoine de Beauterne, en Gévaudan avec mission de tuer la Bête.

L'arrivée de Beauterne en Gévaudan fit grande impression sur les paysans de la région.  Pour eux, le roi, qui tenait son pouvoir de Dieu, était sacré et était le seul à pouvoir venir à bout d'une bête invulnérable, sans nul doute créée par le Malin.

Le représentant royal congédia Denneval qui le quitta en disant : "Ce n'est pas un loup, il y a autre chose...".

Le 16 août, se produit un événement qui aurait pu rester dans l'anonymat s'il n'avait été lié à la famille Chastel, dont Jean, le père, sera ultérieurement connu comme le tueur de la bête.  Ce jour-là, une altercation survint entre les Chastel et les représentants du roi, valant une incarcération aux premiers.  Le fait qu'il y ait eu un changement de fréquences des attaques de la Bête durant la période de détention des Chastel sera plus tard utilisé pour établir un lien entre la famille et la Bête.  Par ailleurs, malgré le crime relativement grave des Chastel, qui avaient menacé les représentants royaux à l'aide de fusils, les accusés furent libérés quelques jours après le départ de Beauterne du Gévaudan.

Certains y verront un signe de protection des Chastel de la part d'un noble local influent; nous y reviendront plus tard.

Le 20 septembre 1765, lors de ce que d'aucuns appeleront "l'imposture des Chazes", de Beauterne se rendit dans le secteur de l'abbaye des Chazes, en Auvergne, abandonnant le secteur du mont Mouchet qui était pourtant le terrain de prédilection de la Bête.  Comme par hasard, la Bête apparut sur ce terrain improbable, et devant de Beauterne en personne, comme si elle avait jugé indigne d'être tirée par quelqu'un d'autre !  De Beauterne tira et sa balle pénétra dans l'oeil droit de la bête avant de fracasser son crâne.  L'animal tomba raide mort.  La bête tuée par de Beauterne était un loup d'une taille peu commune : 1,90 mètre, 65 kilos, des canines longues de trois centimètres et demi...

Victorieux, de Beauterne réintégra Versailles.  Par quelle intuition s'était-il rendu dans un secteur où la Bête n'avait jamais été vue ?  L'épisode des Chazes laisse une impression désagréable, celle d'une sinistre mise en scène.

Dans le Gévaudan, on ne se montra guère convaincu de la victoire aisée du représentant royal.  Même si les mois d'octobre et novembre 1765 se passèrent sans que quiconque ait aperçu la Bête, on continua à se dire qu'un loup, même massif, n'était pas la Bête...

Et, effectivement, le 2 décembre 1765, deux jeunes garçons échappèrent du peu aux griffes du monstre.

Le 21 décembre, une enfant de douze ans, Agnès Mourgue, fut retrouvée décapitée.

La Bête s'était tenue tranquille le temps que les gens du roi s'en aillent !  Surtout, les paysans du Gévaudan savaient qu'ils étaient désormais seuls; Versailles tenait l'affaire de la bête comme réglée; soutenir le contraire, c'était mettre en doute la parole du roi, un crime de lèse-majesté...

Le 12 février 1766, un jeune berger échappa de peu à la mort.  Le 14 février, Jeanne Delmas, neuf ans, fut attaquée par la Bête mais parvint à fuir.  Le 4 mars, Jean Bergourioux, neuf ans, fut tué.  Le 14 mars, une fillette du même âge fut attaquée et tuée à Saint-Privat du-Fau.

Le massacre se poursuivit un an durant.

Le 18 juin 1867, un enfant fut tué à Nozerolle, près du mont Mouchet.  Le marquis d'Apcher réunit plusieurs chasseurs, dont Jean Chastel et ses trois fils, afin de mener une nouvelle chasse.

Vers 10h15, au lieu-dit La-Sogne-d'Auvers, Jean Chastel se retrouva face à la Bête.  Si l'on en croit la tradition, l'animal se serait assis devant Chastel, le temps que ce dernier range son livre et ses lorgnons, puis fasse feu.  La Bête, qui s'était montrée invulnérable face aux nombreuses balles des chasseurs et militaires, fut tuée net par le seul coup de feu de Chastel.

La Bête fut reconnue par plusieurs survivants des attaques.  Dans ses entrailles, on découvrit un os provenant d'un jeune humain.  Le sieur Martin, notaire, constata qu'il s'agissait d'un canidé de 120 livres quoique "sa tête monstrueuse, sa gueule énorme, son poil roux et noir, puisse indiquer un monstre d'une espèce inconnue.

Le cadavre de la Bête fut envoyé à Versailles mais y arriva totalement putréfié et méconnaissable.  La dépouille fut enterrée quelque part aux abords du château.

Statistiques

Précisons tout d'abord que les chiffres qui vont suivre sont sujets à caution.  Ils diffèrent selon les sources et, surtout, les descriptifs des attaques de la Bête sont fortement imprécis à partir de 1766.  

La Bête attaqua autant les hommes (93 fois) que les femmes (94 victimes).  Il faut ajouter à ces chiffres 16 cas où le sexe de la victime n'est précisé ni par un acte de décès ni par le prénom.

Par rapport aux critères d'âge et de sexe, les victimes se répartissent comme suit :

garçon -16 ans : 32% des attaques, 33% des morts
fille -16 ans : 32% des attaques, 42% des morts
femme adulte : 27% des attaques, 27% des morts
homme adulte : 9% des attaques, 0% des morts

On nota 113 survivants aux attaques, contre 90 décès (d'autres sources font état de 80 à 130 morts). La Bête tua donc une fois sur deux.

Sur 203 attaques, 125 eurent un témoin.  Tous les témoignages font part d'un animal, semblant parfois porter une espèce de cuirasse boutonnée ou sanglée; aucun témoignage ne mentionne la présence d'un être humain.

16 cas de décapitations sont recensés, soit 7% des attaques et 17,7% des décès.  Ces décapitations n'ont pas eu de témoin, ce qui n'exclut pas une éventuelle intervention humaine dans les cas d'espèce.

Dessin d'époque de la bête


Les théories

La version officielle des massacres du Gévaudan firent du loup un responsable.  Toutefois, on peut objecter que le loup craint généralement l'homme, attaque en meute, ne sort des bois que poussé par la faim, essentiellement en hiver....  Un loup ne serait anthropophage qu'en toute dernière extrémité.

Par ailleurs, un loup isolé n'aurait jamais le courage de s'aventurer seul en plein village, contrairement au chien ou à une espèce hybride, qui a l'expérience du contact humain.

L'hypothèse du loup enragé ne tient pas davantage la route car les victimes blessées par la bête n'auraient pas survécu.

Une autre hypothèse prône la culpabilité d'un autre animal : hyène, lion, ou autre.  L'hypothèse ne tient pas car les traces laissées par la bête, et relevées par les chasseurs expérimentés de l'époque, étaient sans conteste celles d'un canidé.  Par ailleurs, une espèce exotique n'aurait pas survécu au climat hivernal du Gévaudan.

Une troisième théorie, apparue au XIXè siècle, est celle du docteur Puech.  Pour lui, il y avait trois parties en cause derrière la bête du Gévaudan : des loups, des mystificateurs et un fou sadique.
Des loups, il y en eu sans aucun doute; des témoignages en attestent.  Par ailleurs, il n'est pas impossible que des victimes d'une main humaine aient ensuite été dévorées par des loups errants car constituant une proie facile.

Les mystificateurs expliqueraient les témoignages invérifiables selon lesquels la Bête aurait été aperçue assise comme un humain, traversant un cours d'eau sur ses deux pattes arrières ou regardant aux fenêtres des maisons...  Puech émit l'hypothèse d'un homme vêtu d'une peau de loup.  Une hypothèse fragile et peu cohérente de par le contexte de l'époque; il eut été irresponsable de prendre le risque de se promener accoutré de la sorte dans une région où de nombreuses personnes se déplaçaient avec le doigt sur la détente du fusil.

Concernant le fou sadique, Puech soutint que beaucoup de victimes n'étaient qu'égorgées ou éventrées; un modus-operandi qui peut faire penser à celui de Jack l'Eventreur.  De plus, les décès concernaient essentiellement des femmes et des enfants, victimes ciblées par les maniaques.  On pourrait rétorquer que si les enfants furent les victimes principales, c'était parce qu'ils étaient moins en mesure de se défendre.  Toutefois, peut être que Puech approcha de la vérité : en prenant le cas des victimes dénudées, dans le cas d'une attaque de fauve, on aurait retrouvé sur les cadavres des vêtements lacérés avec, éventuellement, quelques débris aux alentours; pourtant, plus d'une fois, on retrouva un corps entièrement nu en suivant à la trace des vêtements semés de ci de là....

La piste de l'animal dressé et la théorie de la culpabilité des Chastel et du comte de Morangiès

La dépouille de l'animal tué par Chastel était conforme aux descriptions des témoins en matière de taille et de couleur.  La bête présentait même des cicatrices, traces évidentes des balles qui l'avaient atteinte durant les mois précédents.  Toutefois, la bête ne présentait pas la rayure noire aperçue sur son dos par plusieurs témoins.  Une explication cohérente voudrait que la bête portait une protection réalisée à partir de la peau du dos d'un sanglier, une peau assez résistante que pour résister à l'impact d'une balle et qui présente la rayure dorsale caractéristique.  Cette hypothèse aurait le mérite d'expliquer l'invulnérabilité de la bête et est confortée par plusieurs témoignages qui parlaient d'une espèce de boutonnage sous le ventre de l'animal ou d'un genre de "boyau" pendant qui aurait fort bien pu être une sangle de fermeture.

L'hypothèse d'un chien massif ou d'une espèce hybride dressée par un homme est vraisemblable au vu de certains comportements de l'animal.  La bête aurait été une espèce de gros chien bâtardé, au pelage étrange à dominante rousse, et d'une morphologie assez proche de celle du loup.

La bête semblait familière de l'homme et ne semblait pas le craindre.  Lorsque la bête rencontrait une résistance de la part de la victime, elle s'éloignait « de 40 pas », s'asseyait pendant quelques instants et, si elle n'était pas poursuivie, revenait à la charge.  Elle s'éloignait du lieu de son forfait au pas.

Plusieurs fois, des victimes furent attaquées en plein village et de jour.

La Bête se montrait très agressive et faisait preuve d'un acharnement qui ne semblait pas toujours dicté par la faim. Neuf victimes furent tuées par la bête alors que celle-ci avait déjà tué quelques heures auparavant.  Un tel comportement est totalement incompatible avec l'hypothèse du loup.
Il faut aussi noter le fait que la bête évitait systématiquement pièges et appâts, un comportement bien peu naturel et révélateur d'un dressage.

Enfin, à deux reprises, on nota un arrêt prolongé des attaques.  Ces pauses, longues de 43 et 120 jours, tendent à prouver que la bête était abritée par quelqu'un qui s'en occupait.  Aucun animal sauvage ne se serait arrêté de chasser durant trois mois !

Si une main humaine dirigeait les activités de la bête, qui aurait été le coupable et quel aurait été le mobile ?

De lourds soupçons pèsent sur la personne d'Antoine Chastel, le fils de Jean qui fut le vainqueur de l'animal.  Selon la tradition populaire, invérifiable et peut être mensongère, Antoine Chastel était un individu simplet qui vivait en reclus dans une cabane entourée de chiens massifs et de bêtes sauvages.  Dans l'ensemble, les Chastel avaient mauvaise réputation, étant considérés comme des sorciers et des "meneux" de loups.

Un autre suspect aurait été un noble local, Jean-François-Charles de La Molette, comte de Morangiès.
Des rumeurs parvenues jusqu'à notre époque, aussi invérifiables que dans le cas d'Antoine Chastel, font de Monrangiès un débauché de la pire espèce.  Qu'en est-il en réalité ?  Il semble établi que le comte était, à l'époque des agissements de la Bête, un homme ruiné.  Vivant d'une manière très critiquée par les membres de sa famille, Morangiès avait obtenu de son père, par contrat devant notaire, une succession avant le terme, au titre du droit d'aînesse.  Quelques années plus tard, Morangiès déplorait pourtant 700 000 livres de dettes.  Morangiès connut brièvement la prison du fait de tractations financières douteuses.  Il se lia finalement à une femme de mauvaise vie et abusa de sa fille.  Sa compagne, à l'issue d'une dispute conjugale, le tua d'un coup de pelle sur la tête, en 1801.

Selon une théorie maintes fois reprises, Antoine Chastel et Morangiès se seraient associés tant par sadisme que pour éprouver un sentiment de puissance.  Les hommes auraient dressé la Bête qui aurait été un chien croisé avec une autre espèce, probablement un loup, présentant ainsi le double avantage de l'obéissance à son maître et de la puissance.  Ils auraient équipé l'animal de son espèce de cuirasse d'origine animale et peu visible (peau de sanglier ?).  Ils auraient ensuite lâché la bête excitée et affamée dans la nature, prenant soin de la maintenir cachée lors des battues les plus importantes.

Cela impliquait qu'un membre du complot devait être au courant des détails des battues à venir, ce qui laisse penser à l'implication d'un notable local.  Derrière les agissements de la Bête, les sadiques auraient aussi fait leurs propres victimes, les preuves étant les décapitations, les mises à nu de certaines victimes, ainsi que d'autres mises en scène macabres impossibles à réaliser par un animal.

Si Antoine Chastel, individu associal et craint, a été le maître de la Bête, qu'il mettait à disposition de Morangiès, l'animal aurait forcément eu des contacts avec son père, Jean Chastel.

Ce qui aurait aussi le mérite d'expliquer la mise à mort abracadabrante, si le déroulement parvenu jusqu'à nous est exact, de la Bête.  Révolté par la mort de la dernière jeune victime qu'il connaissait personnellement, Jean Chastel aurait obligé son fils à présenter la bête, démunie de sa cuirasse, devant lui.  La Bête, reconnaissant le père de son maître, se serait immobilisée et aurait ainsi été abattue facilement à la suite d'une chasse impromptue qui n'avait mobilisé que douze chasseurs...

Elle qui avait échappé, des années durant, à des battues impliquant des milliers d'hommes...

Si rien ne prouve cette théorie, elle n'en est pas moins cohérente et s'approche peut être de la vérité : un molosse dressé à tuer et revêtu d'une cuirasse, rêvé par un noble dément et sadique ayant eu recours aux Chastel comme hommes de main...

A ce sujet, un changement de comportement assez étonnant et toujours susceptible d'intéresser un enquêteur se produisit chez Jean Chastel moins d'un mois avant la mort de la Bête : il devint pieux.

D'ailleurs, à dater de 1767 et jusqu'à sa mort, il signa, à titre de témoin, l'essentiel des actes de naissances, baptêmes, mariages ou décès de sa paroisse.  Avant la mort de la Bête, Chastel avait une réputation épouvantable auprès de la population locale et ne semblait pas entretenir de contact avec la religion.  Pour preuve, le seul acte officiel dans lequel on peut retrouver son nom avant 1767 est l'acte de décès de sa mère qu'il signa en 1746...  Les meurtres de la Bête cessèrent lorsque Jean Chastel trouva la Foi; la coïncidence est plus que troublante.

Bien sûr d'autres théories, plus globales, prirent naissance.

La première est celle d'un complot religieux ourdi par des protestants.  Une analyse informatique des faits révéla que toutes les victimes étaient catholiques mais aucun fait concret n'étaye cette théorie.

La seconde théorie pose le principe d'une action de déstabilisation du pouvoir royal par une puissance étrangère, probablement l'Angleterre.  Même si le prestige du roi fut visiblement écorné par les agissements de la Bête et que le pouvoir royal fit tout pour donner l'illusion d'une victoire du roi sur celle-ci, au prix d'une manipulation probable, l'idée du complot politique semble très excessive.

L'année précédent les premiers crimes de la Bête, l'Angleterre avait remporté la guerre de Sept Ans et imposé à la France le traité de Paris; elle n'avait guère d'intérêt à aller tourmenter les paysans d'une lointaine province isolée.

Dans le même ordre d'idées, on parla d'un groupe d'anti-royalistes qui auraient voulu nuire au Roi Louis XV en tentant de soulever le peuple contre l'incapacité de la monarchie à assumer la protection de ses sujets.  Il est vrai que nous n'étions qu'à vingt ans de la Révolution française et que la subversion faisait son chemin contre l'absolutisme royal.

Une autre hypothèse, relativement gratuite, fut celle d'une secte satanique qui s'adonnait aux meurtres pour vénérer son idole.

Le cinéma s'inspira à plusieurs reprises de l'affaire.  Le film "Le pacte des loups" désigna comme coupable un groupe de fanatiques religieux qui tentaient de renverser la monarchie en se servant de la Bête comme un signe de la colère de Dieu.  Cette organisation était composée du comte Jean-François de Morangiès et de plusieurs puissants de la région.  Il s'agit bien sûr d'une oeuvre de fiction.

En 1979, une analyse informatique des faits fut effectuée par l'I.N.R.A.  L'ordinateur, après analyse des faits, du profil des victimes et protagonistes, des moeurs des loups, parvint à la conclusion que les loups étaient étrangers à l'affaire et que les meurtres étaient orchestrés par l'association de deux humains.  Parmi les noms de suspects retenus par l'ordinateur, les premiers furent ceux de Jean et Antoine Chastel.

A l'heure actuelle, si les historiens penchent pour une culpabilité du loup, rejetant nombre de faits car invérifiables, les zoologistes et spécialistes du comportement animalier rejettent totalement la thèse de l'animal sauvage.

Il faut dire que les attaques de la Bête laissent planer l'idée d'actes volontaires de la part d'un esprit criminel :

le 21 juin 1765, la Bête attaqua cinq fois, tuant trois fois.  Il s'agissait du solstice d'été, de longue date considéré comme une fête païenne.  La relation entre le nombre de victimes et une date à la signification ésotérique ne semble pas innocent.
le 22 juin 1765, l'envoyé royal de Beauterne arriva en Gévaudan; la Bête se terra durant douze jours !
le 9 août 1765, comme par défi, la Bête, après avoir été poursuivie durant des heures, fit demi-tour et vint tuer au Besset, pratiquement sous les fenêtres du logement des gens du roi !  Comme si, après s'être réfugié auprès de son maître, l'animal avait été reconduit sous les fenêtres royales...


Dans cette affaire, les faits étranges ne manquent pas.  Comme on le disait à l'époque : "Ce n'était pas un loup.  Il y avait autre chose"...

Il est impossible d'affirmer que les Chastel et Morangies étaient véritablement mêlés à cette affaire.

Aucune preuve tangible n'est disponible.  Les soupçons reposent sur des rumeurs, des oui-dire et des hypothèses.  Il semble néanmoins probable que Chastel eut quelque chose à voir dans cette affaire.

Quant à savoir s'il eut un rôle actif ou passif…  Était-il le responsable de ce carnage ou connaissait-il l'auteur de ces meurtres pour y avoir mis un terme lui-même ?

Une chose est sûre, l'hypothèse qu'un animal seul soit responsable de ces crimes n'est pas convaincante; la participation d'un être humain est plus que probable.  Qui était responsable des attaques ?  Impossible d'être affirmatif et cela restera sans doute un mystère à jamais.


Jean Chastel





Egger Ph.