On a tout dit sur la réforme de l’orthographe. Ou presque. Diminution des exigences, nivellement par le bas, dédain pour les élèves qu’on estime incapables d’assimiler les quelques complexités ou bizarreries de la langue française… Tout cela est vrai. On a parfois, aussi, commis quelques approximations : en dénonçant, par exemple, la disparition de l’accent circonflexe, qui ne concerne que les i et les u et subsiste en cas d’ambiguïté ou dans le subjonctif imparfait ; ou encore en citant fréquemment les mots nénuphar ou oignon, qui pourront désormais s’écrire nénufar et ognon – oubliant qu’anciennement, cette orthographe était admise.
On a moins souligné que cette réforme passe à côté de l’essentiel : le défaut de beaucoup d’élèves est moins la méconnaissance de l’orthographe d’usage que celle, bien plus lourde de conséquences, de l’orthographe grammaticale, de la syntaxe, des accords, se traduisant par des confusions de mots et une incompréhension profonde de la langue française. C’est l’étude de la grammaire qui permet d’appréhender le sens d’un discours ou de construire une argumentation, qui donne la capacité de s’exprimer clairement pour défendre son point de vue et ne pas se laisser abuser par les sophistes au pouvoir ou les médias du prêt-à-porter de la pensée. Mais, de nos jours, la grammaire est considérée comme rebutante, voire inutile. Il arrive qu’un inspecteur sanctionne un professeur qui aurait l’idée incongrue de lui consacrer un cours. Quant aux nouveaux horaires du collège, ils réduisent la part des enseignements disciplinaires.
Belle inconséquence de la ministre de l'éducation, qui prétend pourtant améliorer chez les élèves la maîtrise du français !
La véritable question que pose cette réforme de l’orthographe, initiée en 1990 et quasi inappliquée depuis, c’est de savoir pourquoi, vingt-six ans après, Najat Vallaud-Belkacem remet ce sujet sur le tapis. Le ministère soutient que ce sont les éditeurs qui ont décidé de tenir compte de cette réforme dans les nouveaux manuels de collège.
De qui se moque-t-il ? Les programmes rédigés par le Conseil supérieur des programmes mentionnaient déjà, sur la première page, qu’ils tenaient compte des rectifications orthographiques de 1990. À l’époque, c’est passé inaperçu : il y avait déjà trop à dire sur le contenu et le jargon des rédacteurs.
En fait, Najat Vallaud-Belkacem veut faire diversion. Voyez la situation de l’Éducation nationale !
La réforme du collège est de plus en plus contestée, l’opinion publique prend conscience des inégalités territoriales qu’elle va entraîner, des associations provinciales de parents d’élèves s’y opposent, contre l’avis des états-majors nationaux. Ce n’est pas tout. Des incidents graves se produisent dans les établissements, des professeurs se suicident sans susciter la moindre compassion des autorités – le ministre, qui n’est pourtant pas avare de déplacements, n’a pas daigné se rendre dans le collège du malheureux stagiaire.
À cela s’ajoutent une lâcheté inexcusable sur le plateau de Canal+ , une absence de réaction aux propos misogynes et islamistes d’un invité et, pour couronner le tout, le souhait de 63 % des Français, selon un récent sondage, de la voir partir en cas de remaniement. Alors, avec l’habileté et l’aplomb d’un bonimenteur, elle lance un leurre, cette vieille réforme de l’orthographe que tout le monde avait oubliée, pour tenter d’occulter la crise aiguë de l’enseignement et son impéritie. C’est là, le véritable scandale !
Mais, à part ça, Madame le Ministre, tout va très bien, tout va très bien ! C’est cette arrogance idéologique, ce mépris des réalités, cette propension à faire la belle dans les magazines au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes, dont les Français ne veulent plus.
Jean-Michel Léost