La célèbre bataille a scellé l’entente définitive entre la Suisse et la France. Mardi, on a fêté à Fribourg les 500 ans de cette réconciliation.
L’histoire s'est invitée le 29 novembre à Fribourg à l’occasion du 500e anniversaire de la paix signée en 1516 entre les cantons suisses et la France pour solder les comptes de la bataille de Marignan. Deux conseillers fédéraux et un ministre français sont venus renouveler les résolutions pacifiques de leurs prédécesseurs. On a bu à l’amitié perpétuelle des deux pays.
La mémoire des souffrances sur le champ de bataille n’est pas conviée. Elle ne nous parvient que filtrée par l’épaisseur du temps et la pudeur du langage. Sans odeur et sans cri, le récit historique est un édulcorant tout juste utile à reconnaître l’enchaînement et la logique des événements. Il faudrait pouvoir saisir la paix de Fribourg dans sa dimension dramatique, capter le soulagement qu’elle a représenté après les affres des mois précédents.
Le coup de théâtre
La plaine de Marignan sentait encore la mort en mars 1516 quand cinq cantons de Suisse centrale et Suisse orientale se remettaient sur pied de guerre avec 12 000 hommes pour aller soutenir la contre-offensive de l’empereur Maximilien 1er et reprendre l’Italie du Nord. François 1er demandait aux huit autres cantons, avec lesquels il s’était entendu en novembre à Genève, de rassembler une troupe pour l’aider à la garder. Ils y étaient prêts.
Le 25 mars, à la tête d’une armée puissante et motivée, l’empereur, posté devant Milan, exigeait la reddition de la ville. Mais coup de théâtre, les Suisses déposaient les armes: ceux de François 1er en vertu de l’accord de Genève selon lequel ils ne combattraient pas des Confédérés; ceux de Maximilien au prétexte qu’ils n’avaient pas été payés. Faute de combattants, la bataille n’eut pas lieu. L’empereur s’enfuit, humilié. Le roi de France gardait Milan. Les Suisses des deux bords rentraient chez eux. Ils avaient de quoi réfléchir.
Ils avaient passé les dix premières années du XVIe siècle (1500-1509) aux côtés du roi de France, qu’ils avaient vaillamment soutenu dans ses entreprises de conquête italienne au titre d’un accord de capitulation grassement rémunéré. Mais dans une période où la France affirmait sa puissance et suscitait de fortes rivalités en Europe, cette décennie pro-française avait fait naître chez les Confédérés des visions divergentes de leurs intérêts.
Les cantons étaient travaillés par des partis qui se réclamaient soit de la France, soit de l’Empire, soit du pape ou d’autres, chacun recommandant des alliances étrangères différentes au mépris de toute discipline confédérale. Les chefs de ces partis jouaient les premiers rôles dans les politiques cantonale et internationale. C’est ainsi par exemple que deux fortes personnalités, Matthieu Schiner en Valais et Peter Falck à Fribourg, s’étaient trouvées en mesure d’orienter le sort de la politique suisse dans la seconde décennie du grand siècle.
Un bourgmestre humaniste
Schiner avait été élu évêque de Sion en 1499. Orateur de talent, habile à convaincre, il avait réussi dès 1503 à entraîner 12 cantons suisses dans une alliance avec le pape Jules II pour bouter les Français hors d’Italie et renforcer la puissance pontificale. Promu cardinal en 1511, il se dépensait pour solidifier cette fragile union en lui fournissant les motivations matérielles et spirituelles nécessaires: soldes, butin et territoires, au nom de l’Eglise.
Un allié important lui était advenu en la personne du bourgmestre fribourgeois Peter Falck, qui venait de se débarrasser du parti français de son canton en faisant exécuter son chef: François Arsent s’était rendu coupable de trahison pour avoir aidé l’ennemi personnel de Schiner en Valais, le pro-Français Georges Supersaxo.
Grâce à Falck, Schiner avait gagné Fribourg à la cause pontificale. Ce n’était pas rien. Le bourgmestre était en vue dans le monde des lettres. Il fréquentait les humanistes de Bâle et d’ailleurs, Vadian, Glaréan. Comme Erasme, comme Schiner lui-même, il était favorable à une réforme de l’Eglise, mais contre un schisme. Il tenait le haut du pavé chez les Suisses, qui l’avaient plusieurs fois envoyé comme ambassadeur à Rome, à Venise et à Milan.
L’absent de la bataille
Falck dirigea plusieurs expéditions anti-françaises en Italie avant de prendre part à la campagne de 1512 qui prit Cremone, Pavie et Milan avec 20 000 Confédérés. Pourquoi, en avril 1515, ce chef de guerre important, conscient de l’imminence d’un retour de la France et inquiet de la division croissante des Suisses, choisit-il de partir en pèlerinage à Jérusalem? L’avoyer fribourgeois, en tout cas, fut absent de Marignan avant, pendant et après.
Et quand il revint de Jérusalem, au début de 1516, le paysage avait changé. François 1er et le nouveau pape, Léon X, avaient fait la paix. A Fribourg, le parti pontifical n’avait donc plus de raison d’être. Schiner avait rejoint le camp impérial en y entraînant les cantons orientaux. La rupture entre les Suisses était consommée. Un ressort de compatriotisme les retenait juste de s’entre-tuer. Leur désertion commune devant Milan et la fuite de l’empereur laissait François 1er maître du Nord italien, désormais seul interlocuteur possible des Suisses. Berne défendait vigoureusement l’alliance française.
Peter Falck n’avait plus d’autre choix que d’épouser la cause du roi, fût-ce au prix de bien des ricanements. Redevenu avoyé en juin 1516, il se fit le promoteur et l’organisateur des négociations qui allaient aboutir à la paix. L’été et l’automne virent un va-et-vient à Fribourg de représentants de tous les cantons, des pays alliés et du roi qui en marchandaient les conditions financières et territoriales. Le poêle de l’Hôtel de Ville avait été réparé, les coussins posés et les rues alentour nettoyées. Les écus d’or français tintaient aux oreilles des délégués.
Un compromis exigeant
Le 29 novembre, la version finale d’un traité de «paix et amitié» était prête. Le document annulait l’alliance du roi avec les huit cantons occidentaux de novembre 1515 et établissait la paix avec l’ensemble du corps helvétique, Saint-Gall, Ligues grisonnes, Valais et Mulhouse compris. Il ne marquait pas seulement la fin des hostilités entre la France et les Suisses, il insérait leur paix dans un système d’arbitrage qui impliquait le pape, l’Empire, l’Espagne, l’Angleterre, l’Autriche, Florence, Venise et Lucques, c’est-à-dire tout ce qui comptait en Europe.
Les Confédérés n’avaient pas voulu d’alliance militaire contraignante avec le roi. Le traité était un compromis par lequel les deux parties, présentées comme égales, s’engageaient à ne pas favoriser les ennemis de l’un ou de l’autre et à renoncer à la force au profit du droit issu de «conférences amicales».
Les cantons désignèrent Peter Falck pour aller présenter le traité à François 1er à Paris. Leur choix était tout un symbole: le grand notable qui avait amené Fribourg au pape le ramenait solennellement à la France, en tête de l’unité suisse. La paix consignée sur le parchemin était avec le roi, mais elle était aussi, du même coup, entre les Confédérés.
En mai 1521, François 1er signa avec eux, Zurich excepté, une «alliance». C’était plus que l’«amitié et paix» de Fribourg: la promesse d’une relation qui allait positionner la Suisse dans le sillage de la France, la garder unie et durer trois siècles, jusqu’en 1798.
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