Selon l'ancien gardien de but Bernard Lama, il sera difficile d'apaiser la colère des guyanais. - SOLAL/SIPA
L'ancien footballeur est retourné en Guyane, où il dirige une entreprise. Pour Les Echos, il analyse les raisons de la colère des habitants de la plus grande collectivité territoriale d'Outre-mer.
Surnommé Le Chat en raison de sa vitesse et de sa capacité à intercepter le ballon rond, il distribue aujourd'hui les coups de griffe. Après le LOSC, le PSG et l'équipe de France, Bernard Lama, l'ancien goal, est revenu sur ses terres guyanaises.
De retour depuis les débuts des années 2000, le gardien de but retraité s'est fait entrepreneur. En 2012, il a lancé Dilo, une usine de production d'eau minérale et de source. Deux ans plus tard, son entreprise produit un tiers de l'eau vendue en Guyane. Pour Les Echos, il analyse les raisons des grèves qui secouent la collectivité territoriale d'outre-mer depuis dix de jours.
La Guyane est secouée par d'importantes grèves. Dans quel contexte cette colère est-elle née ? Comment l'expliquez-vous ?
La situation est très tendue depuis des années. Ces derniers temps, nous connaissons une montée de l'insécurité. En Guyane, on peut se faire attaquer dans la rue pour une chaîne en or. C'est au départ pour lutter contre cette insécurité qu'est né le collectif des 500 frères, mais il y a tellement d'autres problèmes qu'ils ont étendu leurs revendications.
En matière de santé notamment, nos hôpitaux sont surendettés et d'une qualité médiocre. Au fur et à mesure, ils sont devenus des mouroirs. On manque de soins mais aussi d'écoles.
Chez nous, 2.000 à 3.000 enfants ne sont pas scolarisés faute de classes et d'enseignants suffisants. Voilà des années que les pouvoirs publics anticipent une explosion démographique. Aujourd'hui nous sommes 250.000 habitants et aucune infrastructure n'a été adaptée à cette croissance.
Certaines zones du pays sont à peine desservies par des routes et encore moins par des réseaux de téléphonie. Avec l'agence spatiale à Kourou on envoie des satellites dans l'espace. Mais nous sommes les derniers à avoir accès à internet !
À cela s'ajoutent le chômage, de bas salaires et un coût de la vie nettement plus élevé qu'en métropole. En temps normal, les Guyanais sont pacifistes et recherchent toujours le consensus, ils ne s'opposent pas. Mais la colère qui s'exprime ces derniers jours est le fruit de dizaines d'années de frustrations.
La ministre des Outre-mer, Erika Bareigts, et le ministre de l'Intérieur, Matthias Fekl arriveront dans les prochaines heures pour trouver une issue à la crise, qu'attendez-vous d'eux ?
Les protagonistes ont déjà refusé de recevoir la délégation ministérielle envoyée le 27 mars. Le ministre de l'Intérieur est en route, c'est vrai, mais je ne suis pas certain qu'il soit bien accueilli. Le sentiment général, c'est que la République ignore la Guyane.
Depuis les années 1950, le pouvoir français a en quelque sorte "fonctionnarisé" les mentalités. Nous vivons sous la tutelle des aides, mais nous ne disposons d'aucun levier de développement économique alors que nous sommes un territoire riche. Nous avons de l'or, du pétrole, du boxite, du phosphore... On a une biodiversité incroyable mais nous n'avons rien pour exploiter toutes ces ressources. Même le tourisme ne peut pas se développer tant les billets d'avions sont coûteux. En moyenne, pour rejoindre Paris il faut débourser 800 euros aller-retour, contre 500 pour aller à la Réunion ou à la Guadeloupe.
Comment les politiques et la campagne pour l'élection présidentielle sont-ils perçus en Guyane ?
Comment pourrait-on avoir de l'estime pour ce qui est dit ? Nous avons été ignorés par plusieurs gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche ne change rien à nos yeux. Que les grèves se déroulent pendant la campagne nous offre une plus grande visibilité, cela sensibilise les Français à notre cause mais on ne se fait pas d'illusions.
La mise en lumière du département, ça permet aussi de faire oublier toutes les affaires judiciaires qui collent à la peau des candidats. On n'a jamais vu une élection se passer comme ça et même en métropole les gens sont en colère. Forcément, il ne faut pas s'étonner que ça soit aussi le désordre dans les outres-mer. À Paris, à Nice... il y a les attentats. Chez nous la violence n'a pas une couleur religieuse mais elle est portée par le manque de moyens alloués à l'éducation au fort taux de chômage chez les jeunes.
Quelles sont les difficultés que l'on rencontre lorsque l'on dirige une entreprise en Guyane ?
Sur le plan administratif c'est aussi compliqué qu'en métropole. À Londres, il vous faut une journée top chrono pour monter une entreprise. En Guyane, il faut de l'argent et du temps.
Avec de bas salaires et de hauts prix, le marché guyanais n'est pas florissant et la concurrence y est rude. De grands groupes trustent les places et proposent des produits importés. Ils ne paient pas les mêmes taxes que les petites entreprises et peuvent donc faire baisser leur prix là où c'est impossible pour les producteurs locaux.
Mon entreprise, Dilo, compte 10 salariés et se porte bien mais ma chance, c'est qu'en créant la seule unité de production d'eau locale, les Guyanais se la sont appropriée. C'est un symbole d'identité collective. La difficulté pour les entreprises locales, c'est aussi de trouver du personnel qualifié. Les jeunes guyanais partent pour la métropole dès qu'ils en ont l'occasion, et fuite des cerveaux oblige, ils sont rares à revenir.
Agathe Mercante