Le manque constaté dans certains supermarchés français est moins lie à un problème de production nationale qu’au bras de fer que se livrent industriels et distributeurs sur fond de flambée des cours mondiaux.
Ce conflit constitue un « test grandeur nature » pour les états généraux de l’alimentation, a reconnu le ministre Stéphane Travert.
"Si on voulait fournir la France en beurre, on pourrait fournir"
"Ils jouent sur les mots. Si on voulait fournir la France en beurre, on pourrait fournir"
mais les distributeurs ne veulent pas payer plus cher
Benoît Koning
responsable lait des JA de l'Orne
Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Stéphane Travert, a admis que la pénurie de beurre s’expliquait principalement par un nouveau bras de fer entre industriels et grande distribution. / Yves Salvat/Photopqr/Le Progres/MAXPPP
Il aura fallu une semaine pour que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Stéphane Travert, admette publiquement que le manque de beurre constaté dans certains supermarchés relevait moins d’un problème de production que d’un nouvel épisode du bras de fer qui oppose, depuis des années, industriels et grandes enseignes.
« Il y a une forme de blocage entre les transformateurs et les distributeurs. Je ne peux être que contre cette guerre des prix », a reconnu, mardi dernier, le ministre au micro de RTL, avant d’inviter « clairement » les parties « à prendre leurs responsabilités ». Une semaine plus tôt, il expliquait les problèmes par « une baisse de la collecte de lait sur la période d’été, conjuguée à une demande très forte des pays étrangers. »
Industriels et distributeurs au cœur de la pénurie
Il avait aussitôt été contesté par la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) qui dénonçait, en fin de semaine dernière, une « intox ». La pénurie est avant tout liée, selon l’organisation, à « un problème de négociations commerciales entre industriels et distributeurs », ces derniers étant accusés de refuser de payer le « juste prix », les premiers préférant, du coup, exporter leur production.
« À la fois conjoncturelle et structurelle, cette crise du beurre n’est qu’une nouvelle manifestation de la crise plus profonde que connaît la filière laitière en France depuis la fin des quotas laitiers européens, qui permettait de réguler à la fois les volumes et les prix », souligne de son côté Xavier Hollandts, professeur à la Kedge Business School.
Une crise liée à celle de l’été 2016
Si la pénurie qui touche certains magasins est exceptionnelle, elle renvoie d’abord, selon le spécialiste, à la crise de l’été 2016 qui avait mis en évidence les rapports tumultueux entre les producteurs et les grands groupes laitiers. « Ce moment de tension a débouché sur une baisse de 2 % du cheptel et une augmentation des faillites d’exploitations, à quoi est venue s’ajouter une mauvaise récolte de fourrages pour l’hiver », précise Xavier Hollandts.
Ce léger fléchissement de la production nationale aurait pu être sans grande conséquence s’il n’était intervenu dans un contexte où le cours du beurre s’est envolé sous l’effet d’une demande mondiale, notamment en Asie, qui progresse en moyenne de 2,5 % par an. Tiré par les marchés émergents, le prix du beurre est ainsi passé de 2 500 € à 6 500 € la tonne entre avril 2016 et octobre 2017.
« D’où la demande des industriels de revoir à la hausse des prix fixés en février dernier. Ce que la grande distribution française se refuse à faire, au contraire de ce qui s’est passé en Allemagne où le prix de la plaquette en rayon a augmenté de 100 % à 150 %. Dans ces conditions, les groupes laitiers français se tournent tout naturellement vers les marchés exports, plus rémunérateurs », explique Xavier Hollandts.
Un médiateur des relations commerciales saisi
« Ce conflit montre que malgré les belles paroles et les engagements pris lors des états généraux de l’alimentation, le rapport de force entre acteurs reste la règle et que, dans les faits, l’on n’a pas avancé d’un iota », déplore Marie-Thérèse Bonneau, vice-présidente de la FNPL.
Mais la situation n’est peut-être pas aussi désespérée. Pour régler le bras de fer entre industriels et distributeurs, Stéphane Travert a promis de saisir le médiateur des relations commerciales pour amener les deux parties à trouver un accord. Il peut aussi compter sur la bonne volonté affichée par quelques grandes enseignes, comme Super U et Auchan, qui ont accepté le principe de payer un peu plus cher le beurre pour éviter les problèmes d’approvisionnement de leurs rayons.
« Sur le papier, tous les distributeurs ou presque semblent d’accord pour mettre fin au dogme du prix bas proposé au consommateur qui détruit de la valeur, souligne Thierry Desouches, porte-parole de Système U. Nous, nous faisons ce que nous disons. Espérons que tous les acteurs prennent eux aussi leurs responsabilités. Sinon, nous risquons d’aller tout droit dans le mur. »
Une balance commerciale déficitaire
En 2015, la France a produit 368 000 tonnes de beurre (contre 341 000 en 2010). Elle se classe au 2e rang européen et au 6e rang mondial. La balance commerciale française du beurre était déficitaire avec 164 000 tonnes importées contre 76 000 tonnes exportées.
Il faut environ 22 litres de lait pour fabriquer un kilo de beurre. En 2015, près de 25 milliards de litres de lait ont été collectés en France. Avec 8 kg de beurre par an et par habitant, les Français sont les premiers consommateurs au monde devant les Allemands et les Tchèques.
L’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) prévoit que la demande mondiale de beurre augmentera de 19 % à l’horizon 2026.
Pourquoi le prix du beurre augmente et pas celui du lait
Dans un contexte de crise, les producteurs de lait se mobilisent pour réclamer aux coopératives une hausse du prix du lait. Ils veulent profiter du doublement du prix du beurre.
Quelle est la situation sur les marchés du lait et du beurre ?
Depuis plusieurs mois, le prix du beurre flambe. Il a augmenté de 100 % depuis mai 2016, pour atteindre le niveau historique de 5 500 € la tonne, ce qui pose désormais problème aux boulangers pâtissiers. La raison de ce doublement : une forte accélération de la demande aux États-Unis, où l’image du produit s’est améliorée.
Pourtant, les producteurs de lait ne profitent pas de cette situation : le prix de leur lait continue de stagner. Face à ce paradoxe, les organisations de producteurs ont lancé un mouvement de mobilisation. Ils demandent aux coopératives une meilleure répartition de la valeur et une augmentation du prix de vente de leur lait.
« Il y a urgence : depuis plus de deux ans, les producteurs laitiers ne vivent plus de leur métier », explique Thierry Roquefeuil. Le secteur vit une crise profonde depuis la fin des quotas laitiers en 2015. Cette mesure a supprimé les restrictions sur le niveau de production de lait en Europe et a fait baisser drastiquement les prix (– 4 % en 2016), avant une stabilisation depuis le début de l’année.
Comment expliquer la déconnexion entre prix du lait et prix du beurre ?
Seule la matière grasse du lait est utilisée pour faire du beurre. Or, elle ne représente que 3,5 % à 6 % de ce qui est vendu. Le prix de cette partie du lait a augmenté, mais le reste stagne toujours. Autre problème : la répartition de la valeur. « Nous interpellons nos coopératives, car nous avons l’impression qu’elles ne répercutent pas la hausse du cours du beurre sur leurs prix de d’achat du lait aux producteurs », s’inquiète Thierry Roquefeuil.
De leur côté, les coopératives rejettent la faute sur la grande distribution, qui opérerait une politique de prix bas. Les produits laitiers sont souvent des produits d’appels pour les hypermarchés, ce qui les conduit à être particulièrement durs dans les négociations de prix.
Quelles solutions seraient envisageables pour sortir de cette crise ?
« Les coopératives devraient se soucier avant tout de bien rémunérer les producteurs, qui sont aussi des coopérateurs. Ce n’est pas le cas. Il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt », dénonce Thierry Roquefeuil.
Les organisations de producteurs demandent un prix de 34 centimes par litre, contre 30 centimes actuellement. Cette hausse de quatre centimes devrait permettre de couvrir les coûts de production des exploitations.
Les organisations de producteurs devaient rencontrer mardi soir le ministre de l’agriculture, Jacques Mézard, pour évoquer la question. Ils réclament un meilleur partage de la valeur ajoutée. Selon la FNPL, la crise aurait conduit à la fermeture de 8 à 9 % des exploitations en 2016.
Les agriculteurs, grands perdants de l’évolution des prix alimentaires
Les agriculteurs français ne rentrent pas dans leurs frais. C’est l’une des principales conclusions du 6e rapport au Parlement de l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, publié mardi 11 avril 2017. En revanche, les distributeurs restent bénéficiaires et leur part de revenu augmente.
L’observatoire, sous la tutelle des ministères de l’Économie et de l’Agriculture, suit sept filières alimentaires : le lait, la viande bovine, le blé tendre et le blé dur, la viande porcine, les volailles, les fruits et légumes et les produits de la pêche.
Instabilité des prix agricoles
Philippe Chalmin, président de l’observatoire explique que « 2016 a été marquée par une très forte instabilité des prix sur le marché agricole ». Malgré cela, en moyenne annuelle, les prix agricoles toutes filières confondues, y compris celles non suivies par l’observatoire, sont restés stables en 2016 à + 0,3 %.
Pour le président de l’observatoire, « la disparition des instruments communautaires de stabilisation des prix » explique en partie cette instabilité des prix agricoles continue depuis 15 ans.
Une année contrastée suivant les filières
La filière bovine fait partie des secteurs dans lesquels les prix ont baissé. Ils ont baissé de 4 % en un an. Le prix des céréales s’est effondré à cause des intempéries du printemps 2016 et la baisse des rendements qui s’en est suivie. Le prix du lait enregistre également une baisse assez forte, moins 7,1 % en un an, alors même que le prix d’achat a progressé de 1 %.
La filière porcine, a vu les prix à la production progresser de 3 % entre 2015 et 2016 grâce aux importations chinoises, selon l’observatoire. « Le changement des habitudes alimentaires des chinois modifie le marché. En 2016, ils ont importé 3 millions de tonnes de viandes, et prévoient d’en importer trois fois plus d’ici à 2020 », analyse Philippe Chalmin.
Stabilité pour le consommateur
Pour le consommateur, les prix font preuve « d’une étonnante stabilité », selon le président de l’observatoire. Les prix à la consommation progressent de 0,7 % en 2016, ils avaient progressé de 0,5 % en 2015.
« Les consommateurs ne s’en rendent pas toujours compte, mais ils sont les grands gagnants », estime Philippe Chalmin. Par exemple, le prix de la longe de porc oscille entre 6,40 et 6,80 € le kilo depuis 2011. C’est également le cas du prix de la viande de bœuf, qui est stable, autour de 7,40 € le kilo depuis 2013.
La part allouée aux agriculteurs du panier alimentaire ne cesse de baisser
Dans le même temps, les prix d’achats des produits agricoles sont soumis à des « variations extrêmement violentes, qui ne se répercutent pas sur le prix d’achat » explique le président de l’observatoire. Ainsi, le prix à la production du lait a baissé de 7 %, alors que son prix à la consommation a progressé de 1 %.
Selon le rapport, pour 100 euros de produits alimentaires, la part revenant aux producteurs n’est que de 6,2 €. Dans la totalité des filières examinées par l’observatoire, le prix de vente des produits ne permet pas aux agriculteurs de couvrir leurs coûts de production. « Depuis 2011, jamais un éleveur de vache allaitante n’a couvert l’intégralité de ses coûts de production » selon Philippe Chalmin.
Le rapport montre par exemple qu’un naisseur engraisseur de jeunes bovins a un coût total de production de 352 € pour 100 kilos avant abattage. Or, le prix de vente des bovins avant les aides gouvernementales est en moyenne de 236 €. Il monte à 336 € avec les aides.
Des marges stables pour les distributeurs
Sur l’ensemble des filières examinées par l’observatoire, les marges brutes (la différence entre le coût d’achat et le prix de revente) des distributeurs restent stables. C’est notamment le cas de la filière bovine, où elles varient de 1,73 à 2 € depuis 2011, mais aussi du lait où les marges des distributeurs sont stables autour de 20 % depuis 2011.
Les marges des distributeurs constituent encore la part la plus forte des produits alimentaires. Dans la quasi-totalité des filières, en dehors de la filière volaille, les marges brutes des industriels sont en progression. Pour la filière produits laitiers, celle où les prix à la production ont connu la plus forte baisse, les marges des industriels ont progressé de 3 % en un an.