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dimanche 17 décembre 2017

Blâmer les victimes ou ceux qui font marcher la pompe à fric ?


L’un des mécanismes les plus efficaces et les plus pernicieux du système capitaliste, c’est avec quelles facilités et décontraction, il nous amène tou⋅te⋅s à blâmer ses victimes.

Et tombent les anges en feu…

Donc, l’autre jour, je tombe sur cette petite nouvelle insignifiante au détour d’un célèbre réseau social que l’on aime détester et je décerne avec désinvolture une nomination aux Darwin awards pour le malheureux héros du jour.



En gros, ce qu’annonce l’article dont j’ai choisi de ne pas donner le lien, c’est qu’un jeune Chinois qui a l’habitude de grimper au sommet (tout petit et étroit) des gratte-ciels pour se prendre en selfie est mort en tombant d’un immeuble. Il n’est pas le premier. Il ne sera surement pas le dernier. À travers le monde, la mode des likes de photos de mise en danger a déjà fait pas mal de ravages, au point qu’en Russie, par exemple, il y avait eu une campagne gouvernementale pour mettre en garde contre les risques bien réels que prennent moult jeunes gens pour se construire une renommée tout à fait virtuelle.

Campagne gouvernementale russe contre les dangers du selfie : « un selfie cool pourrait vous couter votre vie »


On peut toujours se moquer des inconséquents qui mettent leur vie en danger pour quelques likes de plus, mais quand le phénomène est suffisamment massif pour qu’un gouvernement prenne l’affaire en main, c’est que l’on dépasse très largement de la connerie individuelle pour entrer dans la dimension du fait social ; on sort du psychologisant pour la sociologie et on en profite pour trinquer au centième anniversaire de la mort d’Émile Durkheim.

Le choix des gueux

Si l’on prend un peu le temps de lire l’article sur la mort du jeune Chinois, on se souvient que nulle information n’a vraiment de valeur dès lors qu’elle est sortie de son contexte. En l’occurrence, le contexte de cette sordide histoire, c’est que le jeune homme en question ne prenait pas ces risques de manière inconsidérée ou par vacuité, mais parce qu’il tentait de sortir sa famille de la pauvreté.

Cette simple petite phrase nous change brutalement de perspective : risquer sa vie pour tenter de l’améliorer.

Et dans un second temps, l’article nous apprend que cette cascade fatale avait été sponsorisée par une marque pour 100 000 ¥, soit à peine plus de 15 000 €. Il y a une vidéo de la mort inutile d’un jeune homme parce qu’une entreprise voulait faire sa pub avec notre tendance à la fascination morbide. Et cette vidéo qui doit bien buzzer à l’heure qu’il est, s’il faut, c’est le commanditaire qui en récolte les recettes publicitaires.

Parce qu’il est facile de se gausser de ceux qui font n’importe quoi pour une poignée de fric quand on est soi-même né du bon côté de l’argent, c’est à dire que le cul bien vissé dans notre fauteuil, nous pouvons nous distraire à regarder d’autres personnes risquer leur peau à notre place.

Parce que, finalement, il n’y a pas de grande différence entre le jeune Chinois qui grimpe sur des immeubles sans système de sécurité (vous perdriez une minute de votre temps bankable pour le regarder faire l’acrobate s’il avait un bon vieux baudrier des familles pour le récupérer en cas de faux pas  ?) et le mineur de fond à la Zola qui va risquer sa vie pour ramener de quoi bouffer à sa famille. D’ailleurs, aujourd’hui, ils habitent souvent le même pays immense et impitoyable. Et d’aller trimer chez Foxconn pour des clous et des coups de lattes à se tuer la santé pour monter à toute berzingue nos précieux iPhone n’est pas forcément un choix de vie beaucoup plus rationnel. Même les études mènent aux mêmes impasses.

Toujours envie de se moquer du jeune con  ?

Agnès Maillard