Le samouraï Saigo Takamori (au centre) et ses troupes
Durant la seconde moitié du 19e siècle, le Japon connaît de profonds bouleversements en passant du système féodal au système industriel occidental. Sentant sa caste menacée, le samouraï Saigo Takamori se lance dans une guerre désespérée qui le fera entrer dans la légende en 1877.
Le commodore américain Matthew Perry se rend au Japon en février 1854 et exige que le pays mette un terme à deux siècles d’isolement total et s’ouvre au commerce avec l’Occident. Si le gouvernement japonais refuse de signer le traité, les occidentaux emploieront la force.
L’imposante flotte militaire de Perry, principalement composée de cuirassés appelés « navires noirs », fait forte impression, et le Japon doit se résigner à signer la Convention de Kanagawa le 31 mars 1854.
Le Japon délaisse progressivement le système féodal pour le système industriel occidental, et ce processus de modernisation radical va transformer en profondeur son économie, ses institutions et son mode de vie.
Illustration japonaise datant de 1854 représentant Matthew Perry (au centre) et deux autres navigateurs américains
Si cette transformation permet au Japon de se hisser en quelques années au rang des puissances occidentales, elle précipite la chute de la caste des samouraïs qui dirigeait le pays depuis près de 700 ans et incarnait le système féodal.
En 1877, le samouraï Saigo Takamori se lance dans une guerre désespérée contre l’armée impériale japonaise qui va le faire entrer dans la légende : la rébellion de Satsuma.
Takamori est le descendant d’une fière lignée de samouraïs originaire de Satsuma, l’un des domaines féodaux les plus puissants du Japon. Il commence sa carrière en tant que copiste du magistrat Sakoda Tajiemon, avant de devenir quelques années plus tard percepteur des impôts.
Chargé de veiller au bien-être de la population placée sous sa responsabilité, Takamori prend rapidement conscience du rôle indispensable de la paysannerie dans la pérennité de son pays et de sa caste, et adresse un mémorandum à son seigneur féodal, Shimazu Nariakira.
Il évoque dans celui-ci la nécessité absolue pour les samouraïs de de bannir leurs pratiques de corruption et de regagner la confiance des paysans.
Après avoir été reçu par Shimazu Nariakira, Takamori lui jure une loyauté absolue. Lorsque le seigneur décède brutalement, le samouraï décide de mettre fin à ses jours en se noyant dans un lac, un sacrifice ancestral connu sous le nom de Junshi, mais sa tentative échoue.
Dans la province de Satsuma, le nouveau seigneur féodal se méfie beaucoup de l’influent et respecté samouraï et le condamne à l’exil sur des îles lointaines. Il faut attendre 1864 pour que celui-ci soit absous et puisse retourner à Satsuma.
Saigo Takamori et son seigneur décident ensuite de s’allier à la seigneurie de Choshu afin de se mesurer aux troupes du clan Tokugawa, qui contrôle le pays depuis 1603.
En 1868, les importantes défaites infligées par les troupes de Takamori au clan Tokugawa conduisent à l’abolition du bakufu, système de gouvernance militaire en place depuis 700 ans, qui est remplacé par un nouveau gouvernement s’appuyant sur l’autorité de l’empereur afin de moderniser le pays : il s’agit de l’avènement de l’Ère Meiji.
Portrait de Takamori vêtu de l’uniforme impérial
Le système des « han » (fiefs) est aboli en 1871, et les samouraïs les plus modestes sombrent dans la pauvreté en perdant leurs sources de rémunération. À cela s’ajoutent des mesures humiliantes qui leur interdisent de porter leurs armes en public ou d’arborer leur chignon traditionnel, symboles ancestraux de leur caste.
Si Takamori, qui occupe alors un poste important au gouvernement, comprend que la modernisation du Japon est inéluctable, il ne peut se résoudre à trahir les samouraïs qui se sont battus à ses côtés.
Il démissionne de ses fonctions, retourne à Satsuma, et fonde une école militaire qui forme les jeunes samouraïs de la région.
Le gouvernement japonais voit cela d’un très mauvais œil et le soupçonne de préparer une rébellion. Il tente de confisquer les armes de l’arsenal de Satsuma en 1877 et envoie même l’un de ses agents afin qu’il assassine Saigo Takamori.
La tentative d’assassinat échoue, et Takamori et ses disciples choisissent de prendre les armes. Il projette d’attaquer Tokyo, mais ses troupes sont repoussées sur la colline de Shiroyama par les forces impériales.
Takamori (en haut à droite) dirige ses troupes lors de la terrible bataille de Shiroyama
Le 24 septembre 1877, Saigo Takamori ordonne à ses troupes de se battre jusqu’à la mort. Vêtu d’un kimono jaune et armé d’un sabre, il s’élance ensuite du haut de la colline pour son ultime bataille. Lors de l’assaut, il est touché par une balle et s’effondre.
Alors qu’il agonise, il demande à l’un de ses compagnons de le décapiter, comme le veut la coutume. Takamori s’assoit lentement, saisit sa dague et la plonge dans son abdomen, avant que l’un de ses compagnons n’accède à sa requête en lui tranchant la tête d’un coup de katana.
Yann Contegat