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dimanche 1 juillet 2018

A Fribourg, crime de sang et châtiment


La maison devant laquelle vers le garage à droite, a été abattu le père de famille.
JEAN-CHRISTOPHE BOTT/Keystone


La semaine prochaine, la justice fribourgeoise devra trancher sur l’appel des deux assassins de Frasses. C’est un nouvel épisode dans cette saga meurtrière d’une guerre de clans mafieux kosovars, menée sur fond de code d’honneur ancestral.

Dans les familles mafieuses, on peut perdre la vie, mais pas son honneur. Et l’honneur se lave dans le sang. Telle pourrait être la morale de cette terrifiante histoire, celle d’une vendetta entre clans kosovars dont les soubresauts secouent le canton de Fribourg depuis maintenant cinq ans. S’y mêlent trafiquants de drogue, tueurs à gage et vétérans de guerre, le tout sur fond de Kanun, un code d’honneur archaïque hérité du Moyen Age. Voici le récit d’une dérive sanglante et meurtrière d’une brutalité inouïe.

Tout débute un soir de mai 2013 à Frasses, un paisible village broyard de 200 âmes, situé à un jet de pierre du restoroute d’Estavayer-le-Lac. Peu avant minuit, Selim E., un Italien d’origine kosovare de 36 ans, revient chez lui après un repas de famille chez sa sœur. Il est accompagné de son amie et de ses quatre enfants, âgés de 6 mois à 8 ans. Alors qu’il parque la voiture, deux hommes embusqués à quelques mètres du garage surgissent et ouvrent le feu à l’arme automatique et au pistolet. Ils tirent à bout portant.

Une exécution froide

C’est une exécution, froide, implacable. La victime tente bien de fuir. Impossible. Atteint à une quinzaine de reprises, à la tête, au thorax, au torse et dans le dos, Selim E. s’écroule. Il est achevé à terre. Les deux meurtriers prennent la fuite à travers les champs de colza, laissant derrière eux une scène de désolation. Les murs sont criblés d’impacts de balles. Un projectile au moins a traversé le véhicule ne touchant par miracle aucun des enfants, traumatisés. C’est du jamais-vu de mémoire de policier fribourgeois.

Dès le départ, l’affaire sent la poudre. L’ombre de la mafia plane rapidement sur ce qui ressemble à un règlement de compte. Les investigations sont compliquées. Les zones d’ombre sont nombreuses. La police organise une battue le long des routes de la Broye, opération qui permettra de retrouver un chargeur et un silencieux, au côté d’un pistolet 9 mm. Trois agents partent enquêter au Kosovo.

Un premier suspect, Bashkim L., est arrêté le 20 août 2013 à son domicile de Zollikofen, non loin de Berne. Il était jusqu’ici connu des services de police pour des affaires de stupéfiants. Un second individu, Fljorin A. est appréhendé à son tour en Italie, où il est impliqué dans une affaire d’encouragement à la prostitution, suite à un mandat d’arrêt international. Les deux hommes sont condamnés à la prison à vie pour assassinat par le Tribunal de la Broye, le 29 janvier 2016, à Romont, au terme d’un procès placé sous haute sécurité. Même si les accusés n’ont cessé de clamer leur innocence, les juges n’ont pas douté devant le faisceau de preuves, dont des traces ADN.

Procès en appel

Loin d’apporter un point final à cette affaire, le verdict sera au contraire le début d’une série de rebondissements, dont le prochain pourrait survenir la semaine prochaine. Mardi 3 juillet, Fljorin A. comparaîtra en effet devant la Cour d’appel pénal du Tribunal cantonal de Fribourg. Le Macédonien de 34 ans recourt contre sa condamnation. Celui-ci a toujours prétendu être étranger à ce crime, auquel il aurait été rattaché qu’indirectement de par sa connaissance de Bashkim L.. «Notre client a été un coupable par défaut. Cette condamnation est insoutenable. Nous espérons que les juges d’appel sauront porter un autre regard sur lui», confirme l’un de ses deux avocats d’office, Simon Perroud.

Pour bien prendre toute la mesure de cette affaire aux 1000 ramifications, il faut rappeler son contexte particulier, celui d’une escalade meurtrière à laquelle se livrent deux clans kosovars depuis la fin de la guerre d’indépendance dans la région montagneuse de Pejë, ville-carrefour de l’ouest du Kosovo, proche des frontières de la Serbie, du Monténégro et de l’Albanie. Une saga qui a déjà coûté la vie à une trentaine de personnes. Réputée pour sa violence, la mafia albanophone est l’une des neuf mafias identifiées dans le monde. C’est elle qui a la main sur la plus vieille route de la drogue, qui relie Pristina à Sarajevo, à travers les hauts plateaux du Sandzak. Ce corridor permet aux trafiquants de faire remonter en Europe occidentale l’héroïne venue d’Afghanistan, via Istanbul. Sans oublier le trafic de cigarettes, les réseaux de prostitution ou la contrebande d’essence.

Premier mort en 2000

Le flou demeure sur le point de départ de cette guerre clanique qui pourrait remonter à une simple bagarre survenue en 2000 dans une station de lavage au Kosovo, où les membres d’une famille auraient été déshonorés de s’être fait corriger. Le premier mort intervient rapidement. Un ancien soldat de l’Armée de libération du Kosovo, l’UCK, et frère de la victime de Frasses, est alors tué. La vendetta est lancée, fondée sur le Kanun, un droit coutumier médiéval. Même si son usage a largement disparu dans la société albanaise, notamment durant la période communiste, la mafia continue de s’y référer. Ce code impose la pratique du gjakmarrje, ou «la reprise du sang»: tout meurtre doit être vengé par la mort d’un membre de la famille du coupable.

En près de vingt ans, les morts se sont multipliés en toute impunité, la justice kosovare n’ayant pas prononcé la moindre inculpation. Les crimes sont souvent commis à la kalach. Mais des grenades, voire des bombes, ont également été utilisées… Ce conflit a pris une ampleur nationale, à tel point qu’il sera répertorié dans un rapport de l’Etat français sur la criminalité au Kosovo publié en octobre 2015. «Une affaire criminelle à multiples rebondissements revient plusieurs fois dans l’actualité de cette région […], les nombreux épisodes d’une vendetta opposant depuis le début des années 2000 deux familles de Pejë.» Un imam sera appelé pour réconcilier les deux camps. Sans succès.

Avec l’assassinat de Frasses, la vendetta franchit un cap. Dorénavant, elle s’exporte hors du Kosovo. Pour la première fois, un contrat est exécuté sur territoire helvétique. C’est un choc pour les Kosovars de Suisse, qui n’imaginaient pas que la mafia oserait frapper ici. Contactés, les membres de la communauté refusent que leur nom soit cité pour ne pas attirer l’attention. La mafia fait peur. Installé dans la Broye où il avait fait construire sa maison, Selim E. menait, lui, une vie tranquille, travaillant dans le bâtiment. Il avait voulu s’éloigner de toutes ces sanglantes histoires liées à sa famille. Mais on n’échappe pas à la loi du talion. «Il a été question de code de l’honneur dans cette affaire, moi, je n’y ai vu que de la lâcheté», commentera le président du Tribunal de la Broye, Michel Morel, au moment du jugement de première instance.

Evasion à la «Lucky Luke»

Un verdict donc aujourd’hui contesté par Fljorin A., qui se retrouvera seul à la barre. Son acolyte, Bashkim L. s’est en effet entre-temps fait la belle de la prison centrale de Fribourg. Le 2 septembre dernier, le Kosovar a réussi à scier les barreaux de sa cellule avec un fil diamanté, avant de descendre le mur d’enceinte à l’aide d’une corde fait de draps noués. Une évasion rocambolesque au cœur de la Basse Ville pour un scénario digne d’un album de Lucky Luke. Considéré comme l’un des détenus les plus dangereux du canton, son profil est pour le moins inquiétant: porte-flingue de la mafia, il se faisait surnommer «le djihadiste».

Bashkim L. court toujours. Des rumeurs laissent entendre qu’il se cacherait en Bosnie. Reste que deux complices présumés de sa fuite ont été arrêtés à Valence, en Espagne, fin novembre 2017. Il s’agit de deux jeunes Fribourgeois de 19 et 22 ans. Selon certaines informations, l’un des deux aurait fait la connaissance du Kosovar en prison. L’affaire est sensible. Le procureur général du canton de Fribourg, Fabien Gasser, n’a pas souhaité répondre aux questions du Temps.

Agression au port

Preuve s’il en fallait de l’extrême brutalité de toute cette affaire, le 8 mai dernier, les deux frères de Fljorin A. ont été sauvagement attaqués à coups d’objets métalliques, alors qu’ils étaient occupés à l’entretien d’un bateau à Portalban, petit village fribourgeois connu surtout pour le calme de son port de plaisance. Le père du Macédonien avait déjà été agressé en décembre 2017. Leur avocat a demandé à la justice fribourgeoise des mesures de protection: «La condamnation de notre client en première instance, contre laquelle il a fait appel, le désigne à tort à une des familles impliquées dans ce conflit. Sa vie est en danger et celle des siens également, justifie Simon Perroud. Il ne faudrait pas ajouter un drame au drame.»

Du côté de l’avocat de la compagne et de la sœur de la victime, Selim E., Stefan Disch, on «regrette tous ces événements qui parasitent l’affaire et détournent l’attention du fond, soit l’ignoble assassinat d’un père de famille devant ses enfants.» Il appelle à une audience sereine. Les «révélations» a posteriori des deux prévenus le laissent plus que sceptique: «Depuis le début, ils ont donné différentes versions peu cohérentes, promettant des informations décisives. Celles-ci s’avèrent pratiquement toutes invérifiables et personne ne peut les confirmer.»

La piste du troisième homme

En mars 2017, quatre ans après les faits, le Macédonien, suivi quelques jours après de son comparse, annonçait ainsi à la justice vouloir livrer des éléments nouveaux. Il en profite alors pour mettre en cause une troisième personne, Rexhep K., un homme assassiné en octobre 2013 au Kosovo. «C’est opportun d’incriminer quelqu’un qui n’est plus là pour s’expliquer…», souffle encore Stefan Disch. Rappelant que l’enquête a été minutieuse et que le procès de première instance a permis à chacun de livrer sa version des événements, l’avocat espère surtout qu’avec cette nouvelle audience, la justice étatique prenne enfin le pas sur la justice privée.

Rien n’est cependant moins sûr. Il se murmure que certains membres des clans ne se contenteront pas de la décision de juges suisses. L’honneur de la famille ne se lave que dans le sang.

Yan Pauchard