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jeudi 22 août 2019

Par amour, les paysannes suisses travaillent souvent sans salaire


En Suisse, plus de 31'000 agricultrices ne bénéficient pas d'une protection sociale suffisante.
(© Keystone / Christian Merz)



Dans l’agriculture, 70% des femmes effectuent du travail non déclaré. Sans rémunération, ni couverture sociale suffisante, Monique* a tout perdu lors de son divorce. Pour éviter les ennuis, Laurence et Philippe Jobin ont, eux, réparti équitablement les revenus et les tâches liés à leur exploitation agricole.

«Je n’arrivais pas à franchir le pas de la porte, je sentais que je n’allais pas survivre.» Psychologiquement, Monique* était «à bout» lorsqu’elle a quitté son mari et son travail au sein de l’exploitation agricole familiale, dans le canton de Vaud. «Pourtant, j’aimais la terre», dit-elle sur un ton qui trahit la nostalgie. Si son cœur se serre encore lorsqu’elle observe de loin le travail des champs, elle ne regrette pas son choix et parvient à se reconstruire, pas à pas.

Au début des années 1990, l’infirmière de formation et son mari reprennent la ferme des beaux-parents. Passionnée par l’agriculture, elle n’hésite pas à abandonner son métier initial pour s’investir dans l’exploitation agricole. «J’élevais mes quatre enfants, je m’occupais du ménage, du jardin, de la basse-cour en passant par la comptabilité, la vente directe et la gestion du personnel», énumère-t-elle.

Les journées s’achèvent parfois à deux heures du matin, mais quand on aime on ne compte pas, et Monique ne compte ni ses heures ni les reproches qu’elle reçoit en guise de salaire. «Mon mari estimait que je ne travaillais pas assez et je me sentais constamment contrôlée par ma belle-famille», raconte-t-elle.

L’intimité ne fait pas non plus partie du lot. «Nous vivions les uns sur les autres.» Vie professionnelle et vie privée, dans la branche, tout est imbriqué. Et les vacances, lorsqu’il y en a, elles se prennent à tour de rôle. Engagée dans des associations professionnelles, Monique est bien placée pour constater que sa situation cloche mais elle endure, tout en espérant des jours meilleurs.

Le travail acharné, le manque de soutien, de reconnaissance et de respect de son entourage. Vingt-cinq ans durant, les jours se succèdent, se ressemblent et finissent pas briser sa passion pour le travail de la terre. Il y a quelques années, Monique décide de quitter son époux. Une décision lourde de conséquences puisqu’elle perd en même temps son emploi et son domicile. Comme elle n’a jamais été rémunérée, elle n’a pas droit non plus au chômage. «J’ai tout perdu», souligne-t-elle.

En puisant dans ses économies, elle peut suivre une formation accélérée de comptable et a désormais retrouvé un emploi à temps partiel. En revanche, les heures de travail investies pour le fonctionnement de la ferme de son mari ne seront probablement jamais reconnues. «Mon mari affirme que je n’ai rien fait», explique-t-elle. Et sans documents, pas de preuves.

Pour éviter d’en arriver à de telles extrémités, Laurence et Philippe Jobin, agriculteurs à Echichens, sur les hauteurs de la ville vaudoise de Morges, ont décidé de clarifier la question de la répartition des tâches et des rémunérations. On le découvre au travers de l’organigramme de l’entreprise, réalisé par Laurence Jobin qui effectue un brevet fédéral de gestionnaire d’entreprise.

«Nous rediscutons toutefois régulièrement les rôles de chacun en fonction de l’évolution de nos occupations», précise cette dernière. L’exploitation étant exclusivement consacrée aux cultures, elle s’occupe davantage des produits transformés et lui des tâches purement agricoles.

Le couple reprend la gestion du domaine de 36 hectares, qui appartenait au père de Laurence Jobin, en 2000. Neuf ans plus tard, les conjoints deviennent officiellement associés en rachetant ensemble l’exploitation. «Nous tenions à racheter le domaine conjointement et pas uniquement au nom de l’un ou de l’autre», soulignent-ils. Ainsi, les décisions doivent être prises ensemble et les documents officiels signés par les deux époux.

Depuis quelques années, Laurence Jobin est salariée pour son travail au sein de l’exploitation agricole, qui représente un taux d’occupation d’environ 50%. A côté, elle travaille à 30% à l’Office de la population de la municipalité. Elle a toutefois dû se battre pour convaincre son mari de lui attribuer un salaire: «Pour moi, c’était avant tout symbolique. Je voulais faire officiellement partie de l’entreprise et du paysage économique suisse. Mon travail à l’extérieur m’offrait une prévoyance sociale, il était donc normal que ce soit également le cas au sein du domaine.»

Au début, son époux n’était pas de cet avis. «Comme nous partagions tous les revenus, j’avais l’impression que ce n’était pas nécessaire et que nos finances en pâtiraient. D’ailleurs, notre comptable nous l’a même déconseillé», note-il. Aujourd’hui, il reconnaît que son épouse avait raison. «Une rémunération signifie non seulement une reconnaissance du travail accompli et une couverture sociale mais je trouve qu’elle est aussi avantageuse au niveau fiscal», assure l’agriculteur.

Il en est tellement convaincu qu’il milite politiquement pour encourager ses confrères à rémunérer leurs épouses. Également député au Grand Conseil du canton de Vaud et candidat au Conseil National (Chambre basse du Parlement), Philippe Jobin soutient «l’Appel en faveur des paysannes». Lancé le 12 juin dernier par l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF) et l’ONG Swissaid, il exige que la sécurité sociale des paysannes soit incluse dans la Politique agricole 2022+. Une revendication entendue par le gouvernement, qui a annoncé jeudi qu’il prévoyait des mesures de couverture sociale pour protéger le conjoint qui collabore à l'exploitation.

Deux jours avant la grève des femmes du 14 juin, l'USPF et Swissaid ont lancé 
"l'Appel en faveur des paysannes" sur la Place fédérale à Berne
(© Keystone / Anthony Anex)


Si de nombreuses femmes travaillent dans les exploitations agricoles en Suisse, les chiffres révèlent d’importantes lacunes: 31'000 d’entre elles ne bénéficient pas d'une protection sociale suffisante, selon les estimations de l’USPF. Elles représentent une main-d’œuvre gratuite et non déclarée, qui travaille 63 heures par semaine en moyenne. Seules 30% des agricultrices bénéficient d’une sécurité sociale et sont rémunérées pour leur labeur, selon la présidente de l’USPF Anne Challandes.

«Quand tout va bien, tout va bien», résume Anne Challandes. Mais les aléas de la vie n’épargnent personne, et c’est là que les problèmes commencent. En cas de divorce ou d’invalidité, l’agricultrice qui travaille gratuitement n’est pas protégée et risque de se retrouver dans une situation de précarité financière. En cas de grossesse, elle n’a pas droit à l’assurance maternité. Sans compter qu’à l’âge de la retraite, elle pourrait bien ne toucher qu’une rente minimale.

La réalité du monde agricole est parfois rude. Chaque année, des centaines d’exploitations agricoles disparaissent en Suisse. Depuis 1980, leur nombre a été réduit de moitié. Une pression financière qui n’incite hélas pas à la prévoyance. «Lorsqu’il reste de l’argent à la fin de l’année, les agriculteurs l’investissent plutôt pour renouveler leurs machines que dans une rémunération aux membres de leur famille», constate Anne Challandes.

La présidente de l’USPF incite toutefois les couples à discuter ensemble de la meilleure solution, même dans les situations financières précaires: «A chaque étape de la vie, il faudrait réexaminer la situation, la répartition des revenus et la couverture sociale.»

*nom connu de la rédaction

Chiffres clés

15’3864 personnes étaient actives dans l’agriculture en 2017.

36% sont des femmes.

30% sont des femmes membres de la famille

(conjointes ou partenaires en majorité).

3133 cheffes d’exploitation, contre 48487 chefs masculins (inclus dans ce premier chiffre les nombreux cas où l’épouse est à la tête de l’exploitation à cause de la retraite du mari propriétaire).

70% des femmes actives dans l’agriculture ne disposent pas d’une couverture sociale propre.




Katy Romy