La libre circulation du travail et les accords sectoriels avec l’UE relèvent d’une véritable idéologie en Suisse. Avec ses mythes fondateurs et ses clichés épuisés.
Le vote populaire du 27 septembre prochain sur l’initiative de limitation donne évidemment l’occasion d’en faire une sorte de revue. Loin d’être exhaustive. La quasi-totalité des arguments des opposants sont erronés et ne reposent sur à peu près rien.
(Ces idées fausses renvoient en général à un article de blog. Lorsque des données particulières ne figurent pas dans les articles, la source est directement mentionnée.)
IMMIGRATION EUROPEENNE
La fin de l’Accord de libre circulation des personnes provoquera des pénuries de talents, de spécialistes et de main d’œuvre en Suisse.
FAUX. La Suisse n’a nullement besoin d’accord contraignant avec l’UE pour accueillir tous les citoyens européens dont son économie et ses services publics ont vraiment besoin (y compris dans le secteur de la santé). La politique migratoire ne serait pas non plus fixée par l’UDC seule. Ne compte-t-elle pas actuellement pour 25% seulement au Conseil national, et moins de 15% au Conseil des Etats?
La Suisse aurait en revanche la possibilité de restreindre l’immigration européenne et le travail frontalier dans certains secteurs. Pour favoriser de facto les résidents, mais aussi des spécialistes en provenance du reste du monde. Cette diversification des provenances correspondrait beaucoup mieux à l’ouverture élevée et croissante de la Suisse, sur le plan économique en particulier (+/- 54% des exportations vont en dehors de l’UE).
Il s’agit en ce sens de mettre fin à la préférence nationale européenne en Suisse par rapport aux ressortissants du reste du monde. Ce qui faciliterait aussi l’intégration des non-Européens déjà résidents, qui ne trouvent pas de travail ou sont empêchés de travailler (les citoyens européens étant servis en premier). Regroupements familiaux et requérants d’asile déboutés en particulier, que l’on ne peut renvoyer pour des raisons humanitaires, et qui se retrouvent trop souvent à l’aide sociale.
La fin de l’accord de libre circulation entraînera la fin des mesures d’accompagnement.
FAUX. Destinées à protéger les niveaux salariaux, ces mesures sont liées historiquement à l’accord, mais la situation a évolué : c’est l’immigration européenne et le travail frontalier eux-mêmes qui les rendent nécessaires. Il s’agit d’un acquis que le Parlement n’annulera certainement pas (la gauche lancerait d’ailleurs à coup sûr un référendum).
Le chômage est en Suisse l’un des plus bas d’Europe, malgré le libre accès des Européens au marché du travail.
FAUX. Ce genre de comparaison n’est possible qu’en se référant aux taux de chômage calculés selon les critères du Bureau international du travail (demandeurs d’emplois disponibles tout de suite, pas forcément inscrits aux offices régionaux de placement). Or ce taux de chômage BIT était déjà de plus de 4% avant la crise sanitaire. Ce qui relègue la Suisse dans le peloton européen du chômage: dixième position seulement en décembre 2019. Loin derrière l’Autriche et l’Allemagne, et des Etats comme la République tchèque, la Pologne ou la Hongrie. Le chômage est donc un vrai problème en Suisse, en particulier dans les cantons frontaliers.
La fin de l’accord sera un retour au régime migratoire de quotas annuels globaux d’avant 2002.
FAUX. Plus de 160 Etats dans le monde, dont les plus développés et les plus attractifs, régulent leur politique migratoire de manière autonome. Y compris les Etats membres de l’UE s’agissant d’immigration extra-communautaire (600 000 personnes l’an dernier en Pologne par exemple, à peu près autant en Allemagne). Le parlement voudra évidemment s’inspirer des meilleures pratiques plutôt que de revenir au régime d’avant 2002.
ACCORDS BILATERAUX I
La résiliation de la libre circulation entraînera la fin des Accords bilatéraux I. Donc la fin irrévocable de l’accès privilégié au marché européen.
FAUX. Sur les sept Accords bilatéraux I, quatre sont des accords de voisinage, forcément privilégiés par rapport à l’Australie ou les Etats-Unis: libre circulation, transports terrestres et marchés publics, qui bénéficient quasi exclusivement à l’UE. L’accord sur les transports aériens bénéficie principalement à Swiss, filiale de Lufthansa. L’accord sur la recherche n’est officiellement pas un accord d’accès au marché.
Les deux seuls accords commerciaux d’accès réciproque aux marchés portent sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) et l’agriculture. Ils bénéficient bien davantage à l’UE qu’à la Suisse. La reconnaissance mutuelle dans l’industrie des machines et des équipements médicaux a en plus été accordée par l’UE à d’autres Etats non membres, sans libre circulation des personnes: Canada et Etats-Unis en particulier, le traité n’étant pas encore appliqué dans le cas des USA.
La Suisse ne parviendra pas à reconduire ni renégocier ces accords avec l’Union. Ce sera aussi la fin de tout nouvel accord de voisinage, commercial ou institutionnel possible.
FAUX. Le Brexit a mis fin à la libre circulation des personnes en Grande-Bretagne, ce que l’Union Européenne a tout de suite accepté. Cela n’empêche pas l’UE de proposer depuis quatre ans au Royaume-Uni de négocier des accords sectoriels, de voisinage et institutionnel. (Les deux principaux obstacles sont l’accord sur la pêche – dont Londres ne veut pas – et le refus des Britanniques que la Cour de Justice de l’UE soit l’ultime instance de règlement des différends.)
Même si l’accord sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques (ARM) avec l’UE est le seul véritable « accès privilégié » au marché européen, les exportateurs pourront difficilement s’en passer.
FAUX. La fin (peu probable) de l’ARM n’empêcherait pas d’exporter. Elle augmenterait simplement les coûts d’homologation dans certains cas. Cette augmentation représenterait 0,5% à 1,5% d’un quart seulement de la valeur des exportations suisses de biens en Europe (pour autant que les homologations déjà existantes soient annulées, ce qui est vraiment très peu probable).
Ces « grandeurs » sont à mettre en relation avec les chocs monétaires que les exportateurs suisses affrontent depuis trente ans (mark puis euro). L’affaiblissement de l’euro par rapport au franc n’a-t-il pas renchéri les exportations suisses en Europe de près d’un tiers en vingt ans ? Sous-estimer le sens de l’anticipation et les capacités d’adaptation des exportateurs suisses a souvent été une erreur.
La Chine et les Etats-Unis n’ont pas d’accord commercial avec l’Union Européenne. Ils y exportent pourtant 3,5 et 2,5 fois plus de biens que la Suisse (Eurostat 2018). Dont une majorité d’équipements électroniques, électriques, mécaniques ou encore de transport requérant en général des homologations. Y compris dans le domaine des machines et équipements médicaux.
La fin des accords bilatéraux I serait quand même périlleuse pour l’industrie suisse d’exportation.
FAUX. Le commerce de biens avec l’UE repose à près de 100% sur les accords multilatéraux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), actuellement défendus par l’UE (théoriquement du moins), et sur l’accord commercial de 1972.
L’Europe est quand même un marché clé pour l’industrie suisse d’exportation.
FAUX. Depuis 1992, la part des exportations suisses dans l’UE est passée de plus de 66% à moins de 52% (moins de 47% en tenant compte du Brexit). Bien que l’élargissement de l’UE ait été de 50 millions de personnes dans les années 2000. La Grande-Bretagne a connu la même trajectoire (45% aujourd’hui). Alors que des pays comme les Pays-Bas, la Belgique ou l’Autriche sont à plus de 70% de dépendance européenne. L’Allemagne, la France et la Suède à près de 60% (Eurostat 2018).
Sous pression monétaire, et portée par les niveaux salariaux élevés en Suisse, l’industrie s’est de plus en plus concentrée sur des spécialités à faibles volumes et marges élevées, dont le marché est tout de suite global. Plutôt que d’affronter la concurrence sur les prix avec des produits plus ou moins standards sur le marché européen (largement dominé par l’Allemagne).
Malgré les performances de l’Allemagne et de l’Europe du nord, l’Union connaît en plus un sérieux déclin dans le monde sur le plan technologique et industriel. Ses taux de croissance sont chroniquement faibles. Or les taux de croissance des régions de destination sont décisifs pour l’industrie suisse d’exportation.
Sans libre circulation du travail, Accords bilatéraux I ni voie bilatérale d’intégration, l’Union Européenne va considérer la Suisse comme une concurrente plutôt qu’une partenaire.
FAUX. Ou en tout cas guère davantage qu’aujourd’hui. Le pragmatisme finit en général par rattraper les idéologies. La Suisse est le quatrième client de l’Union dans le monde, avec une balance commerciale largement bénéficiaire pour les Européens. Dans les +/- 20 milliards de francs d’excédents d’exportation que l’UE enregistre chaque année avec la Suisse, une part importante (malheureusement non chiffrée) sont des composants. Intégrés ensuite dans des produits ou systèmes (ré)exportés par la Suisse dans le monde. Les clients de l’industrie suisse dans le monde sont en ce sens de précieux éléments de diversification pour l’industrie européenne.
L’Europe est le marché naturel de la Suisse, il est normal qu’elle s’y intègre progressivement plutôt que de s’isoler.
FAUX. Dans une phase historique marquée par la rivalité et le protectionnisme croissant des grands marchés et grandes puissances (Etats-Unis, Union Européenne, Chine, Russie), il est important que la Suisse n’apparaisse pas dans le monde comme un partenaire ou client privilégié et subordonné de l’UE (ne pas se lier aux concurrents de ses propres clients).
La Suisse devrait mieux se profiler comme un leader de la neutralité économique et de l’égalité des nations (multilatéralisme). Par les actes, pas seulement en théorie. Revendiquer le droit, pour plus de 160 puissances secondaires et petits Etats, de commercer avec tout le monde sur une base d’égalité de traitement. Plutôt que de s’enfermer dans une zone d’influence économique. La question est d’une grande actualité en Asie, en Afrique et en Amérique. La Suisse n’est pas isolée dans le monde.
Ces accords bilatéraux « d’accès au marché européen » ont été « durement » négociés par la Suisse.
FAUX. Ou alors le résultat n’est guère compréhensible : les Bilatérales I sont essentiellement à exclusivement des accords d’accès au marché suisse. Négociés comme transitoires à une époque où l’adhésion de la Suisse à l’Union était l’objectif du Conseil fédéral et d’une grande partie du Parlement. La clause guillotine devant rendre la libre circulation du travail irréversible, principe de base de l’intégration.
Ces accords ont surtout été négociés par rapport à un objectif de politique économique constant dans cette phase très néo-libérale: briser les résistances du marché intérieur et favoriser les importations pour faire baisser les prix et les salaires. Ce qui devait augmenter la compétitivité de l’industrie d’exportation (sur le marché européen en particulier). C’est peu dire que la Suisse n’a plus besoin aujourd’hui de ce genre d’accord pour importer tout ce qu’elle veut.
Cet objectif de réduction de l’ « îlot de cherté » a d’ailleurs largement échoué sur le fond : le différentiel de prix est resté de l’ordre de 20% à 40% (plus élevé encore sur le plan des salaires). Les mesures de protection des salaires imposées par la gauche (accompagnement) ont d’ailleurs largement contribué à éviter cette déflation.
Elles ont surtout incité les technologies, le luxe et l’industrie en général à ne pas trop s’enfermer dans le marché européen. Et à se hisser parmi les plus grands gagnants de la globalisation d’après-Guerre froide (en phase de correction actuellement, mais forcément limitée). On peut dire en ce sens que ces mesures d’accompagnement sont constitutives du succès économique (et social) de la Suisse depuis 2002 (c’est bien pour cela qu’elles survivront sans problème à la voie bilatérale).
DIMENSION POLITIQUE
Accepter l’initiative exposerait la Suisse à des représailles, des complications rédhibitoitres, et à une instabilité insurmontable par apport à l’Union Européenne.
FAUX. Rien ne serait insurmontable. Les relations passeraient par une phase d’agitation (surtout verbale), puis d’arrangements ponctuels suivis d’une normalisation progressive mais rapide (beaucoup plus simple que dans le cas du Royaume-Uni).
Continuer sur la voie bilatérale serait en revanche synonyme de tensions, d’instabilité et d’impuissance continuelles. La Suisse s’obstinant à relever contre son gré de la politique d’élargissement de l’Union, plutôt que de la Politique européenne de voisinage (PEV). Et les Suisses continueraient d’apparaître aux yeux des Européens comme des adeptes du double jeu (dedans et dehors), passagers clandestins de l’Europe, bénéficiant du beurre et de l’argent du beurre, profiteurs minables méritant de bonnes corrections.
L’accord sur la recherche est vital pour la place scientifique et technologique suisse.
FAUX. Cet accord ne porte que sur une part très minoritaire des financements publics de la recherche. Ils concernent essentiellement les écoles polytechniques et les universités, soucieuses de ne pas être « corrompues » par des fonds privés. Ces financements viennent indirectement, et plus ou moins intégralement de la Confédération. En cas de représailles, celle-ci pourrait aussi financer directement les participations suisses aux programmes publics européens de recherche (comme en 2014-2016). En fait, les financements couverts par cet accord ne représentent pas 1% des investissements annuels dans la recherche et développement en Suisse.
Treize Etats relevant de la Politique européenne de voisinage ont en plus le même statut d’associé que la Suisse dans les programmes européens de recherche. Dont Israël, la Turquie, l’Albanie, la Moldavie ou la Géorgie. Sans libre circulation des personnes ni Accords bilatéraux I.
Les chercheurs Suisses sont très forts dans la captation de subventions publiques en Europe. Il ne doivent cependant pas perdre de vue que les pôles de recherche les plus concurrentiels et les plus performants se trouvent aux Etats-Unis et en Asie.
La fin de la libre circulation des personnes signifierait le retour du contrôle systématique des personnes aux frontières.
FAUX. Les opposants à l’initiative de limitation jouent sur les mots, sur les traités et surtout sur la peur. La libre circulation des personnes que combat l’initiative est une question migratoire. Le contrôle des personnes aux frontières relève de l’Accord de Schengen, qui n’est pas en cause en l’occurrence. Bien que certains fonctionnaires français bien intentionnés à Bruxelles aient apparemment laissé entendre que l’UE pourrait dénoncer en guise de représailles l’appartenance de la Suisse à l’espace Schengen (accord typique de voisinage). De même que l’ambassadeur de France à Berne, sans le dire clairement non plus, dans un entretien d’anthologie avec Darius Rochebin.
Ce n’est pas le moment, en pleine crise sanitaire et économique, de provoquer une nouvelle crise avec l’UE.
FAUX. Ou alors ce ne sera jamais le moment. Les opposants à l’initiative peuvent-ils nous dire quand ce sera le moment ? La réalité est que la Suisse s’est mise dans une position qui ne lui permet plus de dire non à quoi que ce soit venant de l’Union Européenne. Il s’agit de sortir de cette dynamique morbide, et le plus tôt sera le mieux. Les Britanniques ont dû rompre de gros câbles. La Suisse n’a encore qu’un bout de ficelle à couper.
Bien des Européens, y compris dans l’administration bruxelloise, ne seraient d’ailleurs ni surpris ni déçus que les Suisses clarifient eux-mêmes un processus d’intégration d’une complexité et d’une lenteur à leurs yeux décourageantes et peu crédibles.
Les partisans de l’initiative de résiliation n’ont pas de plan B.
FAUX. Ils veulent simplement que la Suisse soit considérée à Bruxelles comme un Etat tiers à part entière. Avec des accords spécifiques de voisinage, et des accords commerciaux résiliables, sans clause guillotine ni dimension idéologique. Et sans subordination contrainte du droit suisse au droit européen.
Sans libre circulation des personnes surtout, qui met le marché du travail sur le même plan que les marchés des capitaux, des biens et des services. Sans possibilité pour la Suisse de le réguler. N’est-ce pas difficile de comprendre que l’on puisse être de gauche et accepter cela?
Ce sont en réalité les opposants qui n’ont pas de plan B, et manquent en plus singulièrement d’ambition. Le vrai problème politique de cette initiative ne serait-il pas que le Parlement et le Conseil fédéral devraient l’appliquer alors qu’ils l’auraient combattue ? Et qu’ils ne croient pas qu’il puisse y avoir un plan B, consistant à dire non à Bruxelles? Cet exercice d’équilibrisme n’a vraiment réussi ni en 1992, ni en 2014. Mais le système politique suisse a des ressources insoupçonnées quand il le faut.
Les rapports de force entre l’Europe et la Suisse ne valent pas la peine qu’on s’oppose à l’UE.
FAUX. L’humanisme n’est-il pas un combat permanent contre la loi des plus forts ?
La centralité géographique de la Suisse en Europe empêche les Européens d’envisager que la Suisse ne soit pas intégrée progressivement en vue d’une adhésion, même tardive.
JUSTE. Y renoncer définitivement, et sans rétorsions particulières, témoignera de la capacité de l’Union Européenne franco-allemande à ne pas être une puissance impériale triviale et décevante sur le plan des valeurs politiques. Le souverainisme des Suisses a une vaste légitimité à l’échelle du monde et de l’histoire.
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INSTRUMENTALISATION DE L’HISTOIRE
Avant l’accord de libre accès des indépendants et salariés européens au marché suisse du travail (libre circulation en 2002), les plafonds d’immigration et de travail frontalier entravaient la croissance économique (contingents).
FAUX. Dans les années 1980, 1990 et jusqu’en 2001 (fin du système), les quotas fixés par la Confédération n’étaient jamais atteints.
Ce sont les Accords bilatéraux I, dont la libre circulation du travail, qui ont permis à la Suisse de sortir du marasme économique des années 1990 (prétendument provoqué par la non-adhésion à l’Espace économique européen en 1993).
FAUX. Spécifique à la Suisse, la profonde crise économique a été provoquée par un crash immobilier et une crise bancaire. Elle a commencé en 1990-1991, deux ans avant le vote sur l’EEE. Vigoureuse, la reprise a eu lieu en 1997, cinq ans avant l’application progressive des accords avec l’Union (2002).
Les sept Accords bilatéraux I, dont la libre circulation du travail, ont ensuite favorisé la croissance économique.
FAUX. La progression annuelle moyenne du produit intérieur (PIB) a effectivement été de 0.66% seulement pendant les années de crise économique en Suisse (1991-1996). Mais la croissance moyenne a ensuite été de… 2.44% entre 1997 et 2001, avant l’application progressive des Accords bilatéraux I.
Elle est toutefois retombée à 2.02% dans la période transitoire de 2002 à 2006. Une fois l’application complète des Bilatérales I réalisée en 2007, et jusqu’en 2018, la croissance moyenne du PIB s’est clairement et durablement affaiblie: 1.4%. C’est néanmoins durant cette période que l’immigration a été de loin la plus élevée : solde migratoire annuel moyen de 73 000 personnes environ, dont 50 000 Européens.
Des études d’ensemble montrent les effets positifs des Accords bilatéraux I et de la voie bilatérale d’intégration sur la croissance économique depuis 2002.
FAUX. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucun suivi global de ce genre n’a été réalisé. Ni par l’administration fédérale, ni par les économistes bancaires ou académiques. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un rapport annuel, bisannuel, ou rien que quinquennal sur un thème aussi sensible. Et plus l’on cherche à établir des corrélations à partir des données disponibles, plus l’on se rend compte de l’inconsistance abyssale de ces accords pour l’économie.
Suite au vote populaire du 9 février 2014, le Secrétariat à l’économie (SECO) a finalement mandaté dans l’urgence BAK Economics à Bâle et Ecoplan à Berne. Mais pas pour rattraper le temps perdu. Pour faire au contraire une projection à… vingt ans (2035).
Projection de la croissance du produit intérieur (PIB) dans le cas où les accords bilatéraux seraient résiliés. Basée sur des paramètres standards importés de commerce international. Alors que l’on admet en général que les prévisions économiques à plus de deux ans n’ont pas de sens. Et que l’immigration européenne en Suisse depuis treize ans a accusé un différentiel moyen de 500% par rapport aux prévisions.
Imposées et totalement irréalistes, les hypothèses de base sur lesquelles ont alors mouliné les deux modèles macro-économiques ésotériques, hors de portée de la critique? L’immigration annuelle nette diminue d’un quart, les accords sectoriels ne sont remplacés par rien (même les accords de voisinage), et l’économie ne réagit pas (le parlement et le gouvernement non plus). Un scénario catastrophe de jeu vidéo.
Publiés en 2015, les résultats ont été sans surprise à la hauteur des attentes. La croissance annuelle du PIB dans vingt ans serait, sans Accords bilatéraux I, inférieure de 0,25 à 0,35 point de base. C’est-à-dire de 1,65% à 1,75% au lieux de 2% par exemple. Pas même de quoi s’alarmer connaissant la volatilité des taux de croissance annuels sur longue période.
Mais c’est surtout le manque à gagner cumulé sur vingt ans qui était destiné à faire peur : 430 à 630 milliards de francs, soit en gros un PIB annuel ! A noter que c’est en premier lieu, et de loin, l’assèchement hypothétique du marché du travail qui est en cause. Les accords sur la reconnaissance mutuelle des normes techniques et le transport aérien suivent loin derrière. Les quatre autres accords sont négligeables.
Invraisemblables, ces chiffres n’ont pas eu de retentissement particulier à l’époque. Ils sont néanmoins brandis depuis quelques semaines par les opposants à l’initiative, jusqu’au plus haut niveau fédéral (sans parler d’economiesuisse).
François Schaller