On voulait voir la récolte. On avait acheté un chapeau, voyant 35 °C s'afficher au thermomètre. On était prêt. Il a fallu annuler. «Les oignons craignent les coups de soleil», explique Simon Egger au téléphone. Sans rire? Une semaine plus tard, après la canicule de fin juin, le jeune agriculteur nous accueille sur le domaine familial, à Chavornay. De quoi obtenir des explications, ainsi qu'une foule d'infos sur un ingrédient si présent dans nos assiettes qu'il suscite rarement la curiosité.
Le cœur high-tech de l'exploitation ne fait pourtant pas tout le travail. En tout, 10 à 15 employés du domaine se dédient entièrement aux oignons, en particulier en période de récolte. Il y en a deux par année. On tombe bien: sur environ deux semaines entre fin juin et début juillet, on ramasse les oignons «d'hiver». Simon en ramasse un sur le sol de son champ et fait la moue: «Ils ne sont pas très beaux!» Mais cette variété robuste a l'avantage de se semer à l'automne, de survivre à l'hiver et de se récolter en été. C'est ce qui permet à l'exploitation d'avoir toujours des oignons pour ses clients. Les oignons «d'été», plus beaux et plus délicats, se sèment au printemps, poussent à la belle saison et se récoltent en septembre. Ils forment le gros de la production. Une fois récoltés, ils passent l'hiver en chambre froide et sont écoulés petit à petit jusqu'en juin, coup d'envoi de la prochaine récolte. La boucle est bouclée.
L'été de tous les dangers
Pour les oignons d'hiver, c'est donc maintenant que cela se passe. Revenus des champs, ils sont triés, calibrés, et mis à sécher dans un hangar subtilement ventilé. À la sortie de la peleuse, des ouvriers effeuillent les bulbes récalcitrants avant de les emballer sous vide et les entreposer dans des cageots. C'est le sort de la plupart des oignons des frères Egger: récupérés par des entreprises de primeurs en gros, ils sont expédiés, non pas sur les étals des supermarchés, mais vers les cuisines de la restauration collective. «On en retrouve de Genève à Saint-Gall. En Suisse romande surtout, si votre plat à la cantine contient des oignons, il y a de fortes chances pour qu'ils viennent d'ici», sourit Simon.
Si pour les oignons d'hiver l'affaire est entendue, pour ceux d'été, c'est la saison de tous les dangers. «Nous faisons des échanges de terrains avec d'autres agriculteurs de la région. C'est une manière de répartir les risques géographiquement, en cas de grêle notamment», explique Simon. Mais dans la fertile plaine de l'Orbe, le précieux bulbe craint aussi les maladies. Et pour y parer, les frères Egger étudient les alternatives aux produits phytosanitaires. Dans l'un de leurs champs, l'arrosage classique, qui expose davantage les plantes, est remplacé par un système d'irrigation enterré. Piloté du bout des doigts par une application smartphone, il permet d'hydrater les cultures «au goutte-à-goutte», entraînant par la même occasion des économies d'eau. «Aucun paysan n'utilise les produits phytosanitaires de gaîté de cœur, défend Philippe. Le défi est de maintenir une production suisse sans avoir à importer des produits de l'étranger qui ne répondent pas aux mêmes normes que les nôtres.» Rendez-vous en septembre pour la grande récolte.
Chloé Banerjee-Din