J’ai bien failli ne pas en avoir connaissance. Certaines expositions ressemblent à des secrets d’État. En mieux gardés, si possible. Si Corinne Charles (qui participe en tant qu’historienne du mobilier médiéval à la chose) ne m’en avait pas parlé, je serais passé à côté. Je n’aurais pas vu «Les stalles d’Hauterive», que présente depuis le 28 juin le Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Sur place, devant l’institution occupant l’ancien Hôtel Ratzé, j’ai d’ailleurs noté une seule et unique affiche. Dommage, même s’il semble que cette présentation soit venue s’intercaler dans un programme déjà construit. Il s’agit en effet là d’une présentation exemplaire. Courte, mais instructive et complète. L’ensemble gothique reste par ailleurs peu connu, même si le couvent cistercien en question se visite. Les Suisses sont si obnubilés par les merveilles exotiques qu’ils en oublient d’aller voir ce qui se trouve à côté de chez eux.
Que découvriront-ils à Fribourg? Un ensemble conçu dans les années 1480. Il s’agissait alors d’installer dans le chœur de l’église romane une suite de sièges destinés aux moines. La congrégation était déjà ancienne. Elle remontait au XIIe siècle. Il s’agissait de la première incursion dans la future Suisse de l’ordre de Citeaux, connu pour sa rigueur quasi protestante (j’extrapole ici un peu). La règle s’était alors assouplie. Toutes les règles finissent comme cela. Un zeste de décor devenait enfin permis. La congrégation s’est donc offert des stalles dans le goût s’imposant à l’époque dans le duché de Savoie. Elles se fabriquaient souvent à Genève, où Jean de Vitry avait possédé son atelier. Je pourrais citer chez nous celles de Saint Pierre, qui constituent en fait un remontage des années 1850. Ou mieux encore l’ensemble considérable de Saint-Claude dans le Jura, en partie détruit par un incendie en 1983 (1). Des fragments de ce dernier se trouvent du reste au Louvre et au Victoria & Albert de Londres.
La création destinée à Hauterive, qui a fait travailler au moins quatre sculpteurs sur bois, a mieux traversé le temps. Pour tout dire, il ne lui est rien arrivé de bien grave depuis son installation avant 1486. Selon Corinne Charles, les différentes parties ne sont même jamais vues désassemblées. Aucune peinture nouvelle n’est venue s’ajouter aux rehauts de rouge, de noir, de bleu, de vert ou d’or. Des travaux s’imposaient aujourd’hui dans l’église, le reste du couvent ayant connu plusieurs constructions et réfections au cours du temps. C’était l’occasion de déposer sièges, miséricordes (2) et dorsaux servant aux moines venus louer le Seigneur huit fois par jour, sans relâche ni vacances. Il y avait tout de même des attaques d’humidité, des insectes et des champignons. Il fallait arranger tout cela, mais sans traitements de choc, comme en témoigne un film très bien fait au Musée d’art et d’histoire. On est ici resté dans les médecines douces.
Les travaux ne sont pas terminés dans cette exposition mise en scène par Stefan Gasser et Ivan Mariano (le directeur du Musée d’art et d’histoire). Un panneau se voit du reste montré à moitié remis en état. L’ensemble retournera ensuite dans l’abbaye, à l’histoire parfois tourmentée. Elle a été supprimée en 1848 après la courte Guerre du Sonderbund, perdue par les cantons catholiques «séparatistes». Les bâtiments se sont alors retrouvés voués à d’autres fonctions sans trop subir de dégradations. Les moines sont timidement revenus en 1939. Oh, pas bien nombreux! Ils seraient aujourd’hui moins de vingt dans des édifices immenses, même si Hauterive n’est tout de même pas Einsiedeln. Pour votre gouverne, sachez que l’abbé actuel se nomme Marc de Pothuau. Un homme de 54 ans qui se préparait à une carrière militaire en France. Il a succédé en 2010 au Tessinois Mauro Giuseppe Lepori, appelé à de hautes fonctions à Rome. Ce dernier s’est vu proposé par la suite comme évêque aux habitants catholiques de Coire, mais ceux-ci n’en ont pas voulu. Les chemins du Seigneur restent toujours aussi impénétrables…
(1) La partie détruite s’est depuis vue refaite à l’identique par des artisans. Un type de restauration qui fait grimper les puristes aux murs. Les puristes sont de véritables alpinistes.
(2) La miséricorde permet aux moines de s’asseoir en ayant l’air toujours debout.
N.B. Horreur! J’ai lu dans le dossier de presse que Genève formait à l’époque «une ville importante du duché de Savoie». C’était en fait un riche évêché indépendant convoité depuis le XIIIe siècle par les ducs, qui n’étaient jamais tout à fait parvenus à s’en emparer.
Pratique
«Les salles d’Hauterive, restauration d’un chef-d’œuvre médiéval», Musée d’art et d’histoire, 12, rue de Morat, Fribourg, jusqu’au 1er septembre. Tél. 026 305 51 40, site https://mahf.ch Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h,le jeudi jusqu’à 20h.
Etienne Dumont