Les volailles suisses dorment tranquillement: voilà près de 40 ans que les tuyaux métalliques servant à les bourrer de maïs broyé ne les hantent plus dans leurs cauchemars. La production de foie gras est effectivement interdite en terres helvétiques depuis 1978, suggérant que cette «délicatesse» de Noël ne vaut pas la torture d’animaux innocents, gavés à mort pour satisfaire des papilles attachées à leurs petites traditions de certains et certaines.
Le problème, c’est que les Romands en raffolent quand même. À tel point qu’en 2023, près de 200 tonnes de foie gras ont été importées d’autres pays, dont principalement la France, rappelle «Le Temps». Et le Conseil fédéral souhaiterait que cela reste ainsi, puisqu’il vient de recommander le refus de l’initiative populaire visant à interdire l’importation de foie gras. Ainsi que le soulignait Elisabeth Baume-Schneider lors d’une brève conférence de presse, l’idée «va trop loin» et semble «difficilement compatible avec les traités internationaux conclus par la Suisse».
Trop loin, vraiment, alors que le gavage est déjà illicite depuis 40 ans? Si l’on part du principe que le cadre légal d’un pays exprime aussi ses valeurs profondes, comment peut-on interdire la production d’un produit pour se hâter de l’importer d’ailleurs? Protéger la dignité et le bien-être animal, c’est essentiel. Contourner cette résolution quand cela nous arrange pour festoyer en plein déni, c’est hypocrite. Nos voisins peuvent bien gaver toutes les oies qu’ils veulent chez eux, nous avons le droit de rester cohérents avec nos propres lois.
Étiqueter les produits, le susucre insuffisant
En l’absence de contre-projet, le Conseil fédéral propose d’étiqueter systématiquement le foie gras pour mettre en lumière son mode de production. Il m’est difficile de croire que les acheteurs n’ont toujours pas compris d’où venait leur amuse-bouche préféré…
On sait déjà que des oies et des canards sont gavés, que leur foie doit devenir aussi proéminent que possible en l’espace de quelques jours, que leurs derniers instants se résument à un supplice inimaginable. Ce n’est tout de même pas pour rien que la pratique est interdite en Suisse! Et si l’annonce «vous allez mourir dans d’atroces souffrances» n’empêche pas le quart de la population d’acheter des paquets de cigarettes, comment une étiquette rappelant que «des canards sont morts dans d’atroces souffrances» pourrait-elle susciter une réflexion dans un supermarché bondé? Surtout quand on peut facilement se justifier: «Allez, juste pour cette fois, fichons-nous du bien-être animal: après tout, c’est Noël!»
Ellen De Meester