Ils sont dégoûtés. Oui, le mot convient bien. Du dégoût. Plus qu’un ras-le-bol. 73% des Français réclament, selon la dernière enquête du Centre d’études de la vie politique (CEVIPOF) «un vrai chef en France pour remettre de l’ordre». Ce n’est pas la première fois que les citoyens brandissent un carton rouge devant leurs élites dirigeantes. Mais cette fois, l’ampleur du ressentiment impressionne: «Méfiance, lassitude, morosité: Voilà les termes qui dominent lorsque l’on interroge les Français sur leur état d’esprit actuel», notent les chercheurs qui ont réalisé ce très attendu baromètre politique annuel publié le 12 février.
Le Cevipof est habitué à tirer le signal d’alarme. Il n’est pas étonnant non plus que nos voisins soient de plus en plus désespérés, alors que le gouvernement de François Bayrou est en sursis permanent malgré le vote récent du budget 2025, et que des nouvelles inquiétantes parviennent chaque jour sur le front de l’insécurité (une jeune fille tuée le 7 février à Longjumeau, près de Paris; une attaque à la grenade le 12 février dans un café associatif de Grenoble, des affaires récurrentes liées au trafic de stupéfiants).
Perte de confiance massive
Restent les chiffres qui font peur. 45% des Français n’ont plus confiance dans leurs dirigeants, contre 38% il y a un an. 40% ne croient plus à un possible changement positif dans les conditions actuelles. A contrario, seuls 15% disent ressentir du bien-être, 14% de la sérénité, et 13% de la confiance!
Les fautifs de cette plongée vertigineuse? Pas les élus en général. Les maires demeurent grosso modo soutenus par l’opinion. Ils demeurent perçus comme le rempart contre le délitement souvent cité des services publics, dans un pays où l’Etat est omniprésent et où six millions d’actifs (sur 25 millions) sont fonctionnaires ou assimilés.
Le premier fautif est la politique. 74% des Français interrogés indiquent ne plus avoir du toute confiance dans leur représentation (+ 4 points par rapport à 2024). Plus grave: ils sont 83% à considérer que les responsables politiques, en général, ne tiennent pas compte de leur avis. Là aussi, ce n’est pas le constat qui est inquiétant, mais la glissade toujours plus prononcée vers un rejet du «système». Exemple type: Emmanuel Macron a promis, dans ses vœux aux Français le 31 janvier, qu’ils auront à se prononcer prochainement. Une invitation donc, à un ou plusieurs référendums, ce que les citoyens demandent. Or rien ne bouge. L’idée d’un référendum sur l’immigration, défendue par le Rassemblement national, a été accueillie par un tir de barrage des autres formations parlementaires. De quoi ajouter la frustration à la colère…
Le système dans le viseur
Le second fautif de cette quasi-descente aux enfers de la République et de ses valeurs est l’inefficacité du système Français. Inefficacité? Pire, même: une paralysie entretenue et voulue. 74% des personnes interrogées estiment ainsi que le personnel politique est corrompu (+ 6% sur un an). On continue? 78% remettent en cause la légitimité des représentants politiques, y compris ceux qui ont été élus. L’Assemblée nationale ne recueille que 24% d’opinions favorables (contre 32% pour le Sénat). Et François Bayrou, nommé Premier ministre le 13 décembre? 76% des Français indiquent ne pas faire confiance à son gouvernement et 68% le jugent illégitime. On n’est pas loin du précipice…
Les remèdes maintenant? Ce sont eux qui font le plus réfléchir, car au vu des résultats de ce sondage très sérieux, tout apparaît possible dans un pays aussi éruptif que la France: un retour des «Gilets Jaunes» de 2018-2019, des mouvements sociaux incontrôlés, voire une remise en cause de la démocratie. Jugez plutôt: 56% des Français considèrent leur président de la République comme le premier responsable de la crise actuelle, avec dans leur viseur sa dissolution de l’Assemblée le 9 juin 2024. 71% estiment que la démocratie fonctionne mal. 45% ne voient pas de prochaines élections comme un remède.
Au pays de Bonaparte
Et voilà le retour d’un grand classique tricolore, au pays de Bonaparte, Clemenceau ou Charles de Gaulle: le besoin d’un homme fort, si possible en uniforme. 48% de nos voisins pensent que «dans une démocratie rien n’avance, et qu’il vaudrait mieux moins de démocratie mais plus d’efficacité». 73% des Français réclament «un vrai chef en France pour remettre de l’ordre».
Préparez vos tablettes et inscrivez les noms des «chefs» auxquels vous pensez… La France est déboussolée, on le savait. Elle attend désormais celui ou celle qui, pour la sauver, va se mettre à la commander sans partage, au nom de l’efficacité retrouvée.
Richard Werly