Le tollé gronde depuis mardi: «Migros baisse ses standards de bien-être animal», titrent les médias romands, rebondissant sur la lettre ouverte envoyée au «Tages-Anzeiger» par 68 associations de défense des animaux.
Mais au fond, que change réellement cette décision pour la viande que les Suisses consomment? Blick a voulu en savoir plus sur les vrais chiffres des importations de viande.
Une promesse brisée
Replaçons le contexte: en novembre dernier, le directeur général de la Migros se confie sur «l’échec de la stratégie» de la marque, dans un entretien accordé à la SRF. Le média retranscrit la phrase suivante, qui met le feu aux poudres: «Migros a renoncé à garantir les mêmes standards minimaux pour la viande importée que pour la viande suisse.»
Une annonce qui fait l’effet d’un électrochoc. Les associations de défense des animaux s’allient pour envoyer une missive critique. Pour les signataires, la décision de Migros encourage la cruauté envers les animaux. Or, les standards de l’entreprise ne sont pas «abaissés». En réalité, c’est une promesse qui ne sera pas tenue: celle d’aligner systématiquement les importations aux standards suisses.
Morceaux spéciaux ou limités
«Pour divers produits d'origine animale, Migros a pu obtenir que les importations soient, elles aussi, au moins conformes à la loi suisse sur la protection des animaux, indique Tristan Cerf, porte-parole. Nous continuerons à l'avenir à imposer des exigences de protection animale aux produits importés», ajoute-t-il.
Pourquoi ne pas appliquer cette volonté à tous les produits? Notamment parce que Migros n’achète parfois que des produits spécifiques — filet, gigot ou entrecôte de bœuf — ou seulement pour une durée limitée.
L'entreprise rappelle que sa mission est d'écouler en priorité la production suisse. S'il faut importer, c'est selon le principe de la provenance la plus proche en qualité et quantité suffisante.
Les Suisses adorent le poulet
Mais alors, quelles quantités de viande étrangère se retrouvent dans les rayons? Elle est relativement faible. La viande fraîche de porc est suisse à près de 100%, précise Tristan Cerf. Celle de bœuf et de veau l’est à plus de 95% et le poulet l’est à 85%.
Pourquoi la volaille fait-elle figure d’exception? La demande est trop importante, assure le porte-parole. «Nous aimerions bien nous-même en produire plus, mais ce n'est pas possible actuellement. Une petite partie d'importation de viande de poulet est donc inévitable», souligne-t-il.
Production de masse au Brésil
Mais d’où vient cette viande? L’essentiel provient d’Europe. Le taux d’importation hors Union européenne est extrêmement faible, informe le communicant. Bien qu'en faibles quantités, certaines volailles viennent de beaucoup plus loin. En l’occurrence, du Brésil, fait savoir Barbara Wegmann, experte consommation chez Greenpeace Suisse.
C’est ici que la question du bien-être animal devient plus épineuse. Blick a contacté Thaina Landim De Barros, spécialiste de l’industrie de la volaille au niveau international à la fondation Quatre Pattes. Selon elle, la majorité de la production brésilienne est intensive.
Au Brésil, nourrir sa famille en priorité
Et c’est là que le bât blesse: «Le problème ne concerne pas seulement le Brésil, mais la production de masse partout dans le monde», assure la spécialiste. Elle ajoute qu'au Brésil, la demande pour des conditions de production respectueuses du bien-être n’existe pas encore.
«La plupart des gens veulent simplement pouvoir nourrir leurs familles, rappelle l'experte. La réflexion morale sur le bio, le bien-être animal, n'est pas encore prioritaire. Or en Suisse, oui, et les magasins choisissent tout de même d'acheter de la viande produite en masse.»
Pas de loi harmonisée pour les bêtes
Thainá Landim de Barros identifie un autre problème, celui de la transparence. «Au Brésil, le défi réside dans l'absence d'une législation harmonisée sur le bien-être animal. Les principaux exportateurs (ndlr: BRF et JBS) respectent les exigences des pays importateurs. Ainsi, c'est la Suisse qui fixe ses propres critères. C'est une négociation commerciale, dont nous ne connaissons pas les termes.»
Une mission pour les clients?
Face aux critiques, Migros se défausse-t-elle sur ses clients? «Outre nos propres principes d’approvisionnement, nous faisons appel à l’esprit de responsabilité de notre clientèle pour réduire l’impact global de la consommation de viande», relève Tristan Cerf.
Une réflexion qui fait bondir Greenpeace Suisse: «Nous constatons que Migros utilise toujours et encore la même excuse: elle rejette sa responsabilité sur le dos de sa clientèle», déplore Barbara Wegmann.
«Cesser la guerre des prix»
Proposer des prix toujours plus bas sur la viande est une incitation à en consommer davantage, estime l'experte. «Les scientifiques s’accordent à dire qu’il faut réduire notre consommation d’aliments d’origine animale pour limiter le réchauffement climatique et réduire l’impact sur la biodiversité», alerte-t-elle. À ce titre, elle juge les propos du géant orange «totalement inacceptables».
Greenpeace Suisse a une demande claire. «Il faut désormais que Migros, ainsi que le commerce de détail de manière générale, cessent de se livrer à une guerre des prix sur la viande et promeuvent à la place les protéines végétales. Pour y parvenir, des accords contraignants entre la Confédération et le commerce de détail sont nécessaires. Aux Pays-Bas par exemple, un tel accord existe déjà», salue Barbara Wegmann.
Agneau noté 1 sur 5 en bien-être
Migros rappelle que son engagement en faveur d’un élevage durable reste inchangé. L’entreprise coopérative est «le premier détaillant suisse», affirme-t-elle, à afficher l’évaluation du bien-être animal pour tous les produits avec le label M-Check.
Et l'outil est effectivement transparent. Prenez le filet d'agneau M-Classic: il est noté 1/5 en bien-être animal. Migros note aussi l'impact sur le climat et compare la fabrication, le transport et l'emballage des produits à des trajets en voiture. Le filet d'agneau en question, c'est 192 km roulés.
Finis les produits au bœuf brésilien
L'entreprise s'engage aussi à respecter sa politique d'approvisionnement sans déforestation. De la viande séchée et de la bresaola de la marque M-budget contenant du bœuf brésilien avaient été épinglés par Greenpeace. Mais Tristan Cerf assurait alors que ces charcuteries ne venaient pas de régions concernées par la déforestation.
Il ajoute aujourd'hui: «Pour les 2 derniers produits qui contenaient encore en 2024 de la viande en provenance du Brésil, la conversion est en cours, de sorte que dans un proche avenir, ces produits ne seront plus proposés avec de la viande de bœuf provenant du Brésil.»
Lucie Fehlbaum