Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

lundi 25 juin 2018

la Nati a réussi ce que l'Ex-Yougoslavie n'a pas fait


A Belgrade, on ne comprend pas comment les Suisses peuvent avaler le symbole grand-albanais exhibé par leurs joueurs secondos. D’autant que la Confédération passe pour le pays idéal aux yeux des Serbes


Attablé dans un immense restaurant du centre de Belgrade vendredi soir, j’ai suivi le match Suisse-Serbie avec quelques centaines de spectateurs. Les gesticulations grand-albanaises de Xhaqa puis de Shaqiri n’ont pas suscité l’ombre d’une éruption scandalisée. Juste un soupir de déception. Le plus grand éclat de voix a été provoqué par l’arbitre, lorsqu’il a refusé d’accorder aux Serbes un penalty pourtant évident. Durant la seconde mi-temps, les spectateurs montraient surtout des signes d’exaspération envers leur équipe, incapable de se reprendre après une première mi-temps pourtant prometteuse.

Une fois le match terminé et la défaite consommée, la soirée a repris. C’était un vendredi et les gens se sont mis à danser et à s’amuser. Le lendemain, la presse et les commentaires de bistrot faisaient la part belle à l’arbitre. Comme il est Allemand, la méfiance était palpable. L’Allemagne en effet n’a pas laissé les meilleurs souvenirs dans cette région, à laquelle elle a réservé un traitement digne d’Attila au cours des deux guerres mondiales.

Concours de démagogie

Ce n’est que dans la soirée du lendemain que l’attitude des joueurs de la Nati a commencé à susciter des interrogations. La presse dominicale en faisait ses choux gras et les politiques, ici comme en Suisse, se lançaient dans leur habituel concours de démagogie. Mais au-delà de ces phénomènes attendus, la stupeur a saisi la société serbe. Que les Kosovars puissent leur en vouloir n’est pas exactement une nouveauté, et c’est évidemment réciproque. En revanche, ce qui provoque des commentaires nourris sur la toile et dans les cafés, c’est l’attitude des Suisses.

Qu’un joueur qui a l’honneur insigne d’arborer les couleurs helvétiques sorte soudain un autre drapeau a résonné ici comme un outrage pour la Suisse

Pour comprendre cela, il faut savoir que la Suisse, dans l’imaginaire serbe, c’est le paradis. Tout ce qui est suisse, qui vient de Suisse, qui porte un drapeau suisse est immédiatement magnifique et indiscutable. J’ai récemment vendu ma voiture à un Belgradois qui a même refusé de l’essayer: «Tu es Suisse, ça me suffit», m’a-t-il affirmé la main sur le cœur.

La Suisse est tout ce que la Serbie rêve de devenir, c’est son Canaan, son Eldorado. Beaucoup de commentaires distillaient samedi matin ce complexe sur le mode: nous sommes nuls, nous méritions d’être battus, ne cherchons pas d’excuses, la Suisse sera toujours meilleure que nous, ne rêvons pas, etc.

Insulte et déshonneur

Ainsi ce qui a stupéfié les Serbes, c’est de constater que les Suisses ne semblent pas avoir pris conscience de l’insulte que, du point de vue serbe, les deux joueurs victorieux leur adressaient. Qu’à ce moment crucial, sous les caméras du monde entier, un joueur qui a l’honneur insigne d’arborer les couleurs helvétiques sorte soudain un autre drapeau a résonné ici comme un déshonneur et un outrage pour la Suisse, considérant ce que je viens d’expliquer.

Les Serbes ont mal à leur paradis. D’autant plus mal que les habitants dudit paradis semblaient s’en régaler. Voilà tel journaliste du service public qui se met à faire l’aigle bicéphale, tel député qui vante une «intégration réussie» devant une réalité qui, au mieux, devrait poser quelques questions. Et qu’auraient-ils dit, ces Suisses si tolérants et généreux, si cette même équipe avait perdu? Se souviennent-ils, me rappelait un ami journaliste, de l’euphorie française «black-blanc-beur» dans la victoire de 1998, devenue déchirement identitaire dans la déconfiture de 2002?

Cette histoire met en lumière une différence de fond entre ces deux petits pays. La Suisse, et c’est une spécificité heureuse, n’est pas une nation. Elle n’a pas conquis son indépendance dans la douleur et ne connaît pas – tant mieux! – le prix du sang. La Serbie, elle, se bat pour exister depuis des siècles et a consenti pour cet idéal à des sacrifices insensés. Le patriotisme, ici comme au Kosovo, on vient d’en avoir la preuve, n’est pas en option. Les Serbes ont donc réagi non pas en tant qu’adversaires du Kosovo, mais en tant que patriotes, que l’absence de ce réflexe chez autrui scandalise.

Alors que Shaqiri et Xhaqa faisaient, eux, la preuve éclatante de leur patriotisme, les Suisses hypnotisés ne regardaient que le score. Ce rapport utilitariste à leur drapeau choque les Serbes, si admiratifs de la Suisse et critiques envers eux-mêmes. Les plus exemplaires auront été les joueurs serbes, qui sont restés disciplinés durant tout le match en dépit des provocations – les «aigles albanais» de Xhaqa et Shaqiri – et qui ont rappelé à tous la signification du sport et la fierté, surtout dans la défaite, de porter les couleurs de son pays.

Cette équipe, c'est la Suisse qui rayonne. Bien sûr, ça va à l'encontre des yeux bleus de Heidi...

C'est ça, la vraie polémique: les propos de Roger Köppel, dont le seul but est de casser, d'égratigner une image d'une Suisse unie qui gagne. Avant le match contre la Serbie, Embolo dansait sur une musique albanaise qu'avait mis Xhaka. En fait, la Nati a réussi ce que l'Ex-Yougoslavie n'a pas fait.



David Laufer
Galeriste et entrepreneur suisse établi à Belgrade