L'Escalade, célébrée dans la nuit du 11 au 12 décembre à Genève, marque la victoire de la ville aujourd'hui suisse sur les troupes du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier à l'occasion de l'attaque savoyarde lancé dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602 (selon le calendrier julien). Le nom escalade évoque la tentative d'escalade par les Savoyards des murailles de la ville au moyen d'échelles.
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Depuis plusieurs années, les ducs de Savoie convoitent la ville riche et prospère qui compte environ 12 000 habitants. Lorsque Charles-Emmanuel Ier monte sur le trône en 1580, il projette de faire de Genève sa capitale au nord des Alpes et de combattre le calvinisme avec l'appui du pape Clément VIII. Cela ne plaît pas du tout au roi Henri IV de France qui envoie quelques soudards pour atteindre une garnison forte d'une centaine d'hommes.
En 1602, Charles-Emmanuel Ier décide d'en finir. Il réunit une troupe d'environ 2000 mercenaires principalement espagnols (fournis par son beau-frère Philippe III d'Espagne) et italiens car les Savoyards ne sont pas fiables à ses yeux (trop de liens avec Genève). D'ailleurs tous ceux qui peuvent apercevoir la concentration de troupes sont systématiquement arrêtés afin qu'ils ne puissent pas donner l'alerte. La date est fixée : ce sera la nuit du 11 au 12 décembre (selon le calendrier julien), l'une des plus longues de l'année. La lune est cachée et les vigiles ont plus tendance à se réchauffer à l'intérieur qu'à rester sur les murs de la ville.
Les 2000 hommes se mettent en branle, longent l'Arve et se rassemblent à Plainpalais à 2h du matin. Le plan original est d'ouvrir les portes (à l'aide de commandos) afin de pouvoir laisser entrer les soldats. Le plan semble se dérouler à merveille et l'avant-garde escalade la porte de la Monnaie qui n'est plus gardée par mesure d'économie. On envoie même un émissaire chargé de négocier la paix, histoire d'endormir les soupçons. Les fascines comblent le fossé, les échelles sont dressées, plus de 200 Savoyards sont déjà dans la place et leurs chefs parcourent les rues désertes de la cité. D'Albigny envoie même un message à Charles-Emmanuel Ier (« C'est fait ») et dépêche immédiatement des messagers dans toute l'Europe.
Entendant un bruit bizarre, deux sentinelles sortent sur le rempart de la Monnaie et tombent nez à nez avec l'avant-garde savoyarde. Le premier est rapidement estourbi mais le second a le temps de lâcher un coup d'arquebuse. L'alarme est donnée à 2h30, la Clémence (cloche de la cathédrale Saint-Pierre) sonne le tocsin qui est relayé par toutes les cloches des églises. Les citoyens se lèvent, saisissent des armes et, en chemise de nuit, viennent prêter main forte aux milices bourgeoises. Même les femmes s'en mêlent et on en voit manipulant lances et hallebardes comme de vieux briscards. La bataille fait rage dans tous les coins de la ville mais les Savoyards peuvent encore l'emporter s'ils arrivent à ouvrir la porte de Neuve. Ils réussissent à s'en emparer et s'apprêtent à en faire sauter les gonds quand Isaac Mercier, un Lorrain, fait tomber la grande herse qui résiste à tous les assauts. Le gros des troupes restent hors les murs alors que ceux qui réussissent à les franchir sont massacrés ou refoulés. Les rares prisonniers, et parmi eux la fine fleur de la noblesse d'épée savoyarde, sont confiés dès le lendemain aux bons soins du bourreau Tabazan et les 67 têtes, sur des piques, ornent jusqu'en juillet les murs du rempart de l'Oie. Genève, quant à elle, pleure la mort de 18 de ses citoyens.
De retour auprès de Charles-Emmanuel Ier, d'Albigny s'entendit dire : « De cette escalade, Monsieur, vous avez fait une belle cacade » et c'est ce mot que l'histoire retient. On dit qu'Henri IV, en recevant le tout premier message de Charles-Emmanuel Ier de Savoie, murmure entre ses dents : « Savoie a pris Genève. Il ne la gardera pas très longtemps. » Le lendemain, à la réception du second message, il part d'un éclat de rire qui résonne longtemps dans les couloirs du palais du Louvre.
Après sa défaite, Charles-Emmanuel Ier est obligé d'accepter une paix durable scellée par le traité de Saint-Julien du 12 juillet 1603.
Les festivités ont lieu le 12 décembre de chaque année et les commémorations officielles durant le week-end le plus proche de la date historique. Cette commémoration est considérée comme la fête nationale genevoise culminant par le feu de joie sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre au son du Cé qu'è lainô, l'hymne genevois, écrit en arpitan, glorifiant cet événement historique.
La coutume veut que les enfants se déguisent et défilent durant cette nuit dans les rues ou chantent aux portes la fameuse chanson Ah ! La Belle Escalade. Les étudiants des niveaux post-obligatoires font également un défilé diurne dans les rues de la ville. La population se déguise aussi pour participer à la multitude de soirées qui sont organisées en marge des évènements officiels.
L'un des symboles les plus connus de cette fête est la mère Royaume qui, selon la légende, verse par sa fenêtre, durant la bataille nocturne, une marmite de soupe chaude sur les soldats savoyards passant dans sa rue. De là vient la fameuse marmite en chocolat (remplie de bonbons, emballés aux couleurs genevoises et accompagnés de petits pétards, et de légumes en massepain) et la soupe de légumes dégustés à cette occasion. La marmite est traditionnellement brisée après la récitation de la phrase rituelle (« Ainsi périrent les ennemis de la République ! ») par les mains jointes du benjamin et du doyen de l'assistance.
Un grand cortège historique composé de 800 participants en costumes d'époque, hallebardiers, arquebusiers, cavaliers (et personnages historiques) défile le dimanche soir dans les rues de la Vieille Ville. Durant ces trois jours, des démonstrations de tir de mousquet, de maniement de hallebarde ou tirs au canon ont également lieu.
L'étroit passage Monnetier est ouvert au public uniquement à l'occasion de la commémoration de l'Escalade.
La célébration de l'Escalade, relativement récente, prend la forme d'un carnaval au cœur de la Genève protestante où ce type de célébration était formellement interdit depuis la Réforme.
Très tôt, la victoire militaire de l'Escalade se double de célébrations profanes qui s'enracinent dans les mentalités, en dépit des interdictions et des remontrances des pasteurs. Dans un État où toute fête religieuse est bannie, la commémoration de l'Escalade s'impose très vite et réintroduit la fête à Genève.
Progressivement, deux tendances de célébration vont s'opposer nettement jusqu'à représenter un véritable enjeu social. Il y a ceux qui veulent faire de l'Escalade une véritable fête patriotique (digne et grave avec culte, cortège et banquets) et ceux qui entendent célébrer l'Escalade dans la liesse et d'une manière proche du carnaval ou du charivari.
En 1898, un groupe de citoyens fondent l'Association patriotique genevoise pour la rénovation de l'Escalade. Celle-ci est rebaptisée en 1926 sous le nom de Compagnie de 1602. Cette association se donne pour tâche de maintenir à la commémoration de l'Escalade « le caractère de dignité patriotique qui lui sied et de stimuler le zèle de tous ceux qui veulent conserver les nobles traditions du passé. »
En 1960, une ordonnance du Conseil d'État n'autorisant les déguisements sur la voie publique qu'aux seuls enfants de moins de 15 ans, est promulguée en raison « d'atteintes à la solennité de la cérémonie de 1602. » L'interdiction est reconduite en 1978.
En marge des commémorations solennelles se déroule depuis 1978, le week-end précédent le traditionnel défilé historique, une course pédestre populaire à travers la vieille-ville. Lors de la première course de l'Escalade, le nombre de coureurs déguisés est quasi inexistant. La tradition du déguisement ne s'impose que très progressivement. Ce n'est qu'en 1985 que le déguisement est reconnu, avant d'être institutionnalisé en 1991 par la création de l'épreuve de « La marmite ».
On peut raisonnablement penser que la course de l'Escalade est, et d'une certaine manière reste, un moyen de contourner l'interdit officiel de 1960. Car l'épreuve genevoise prolonge de manière inattendue et originale le long conflit ayant opposé depuis le XVIIe siècle les défenseurs de la commémoration solennelle et ceux de la fête humoristique. La création de la course de l'Escalade est ressentie par la Compagnie de 1602 comme une tentative de remise en question des valeurs traditionnelles. Finalement, c'est la population genevoise elle-même qui donne à cette course sa popularité. Aujourd'hui, elle constitue le plus grand événement du genre en Suisse.