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Jean Tinguely est un artiste suisse né le 22 mai 1925 à Fribourg et mort le 30 août 1991 (66 ans) à Berne.
« Jean dégage une énergie électrique dès qu’il rentre dans une pièce il remplit l’espace » c’est ainsi que commence le portrait de Tinguely brossé par Niki de Saint-Phalle. Quel que soit l’endroit où se manifeste sa personnalité d’artiste, on a le sentiment d’être en présence d’un tempérament dynamique et imprévisible, qui cherche l’échange, la communication, et exige de ses partenaires une faculté d’adaptation et un désir de participation permanents. Ne devrait-on pas réfléchir, en ce qui concerne Tinguely, dans le sens où le fit le Financial Times à propos de l’exposition de Venise : « Assurément tout cela est animé par plus d’un souffle démoniaque, bien que nous gardions calmement les doigts croisés… Et au-delà de toute la drôlerie de l’ensemble et du raffinement spirituel de la mécanique, on peut y découvrir une gaîté plus sombre qui s’apparente au désespoir. Ses machines fonctionnent merveilleusement bien, mais elles ne produisent rien, et c’est à nous de déchiffrer leurs messages sombres et ambigus. »
Son père, Charles Tinguely (1893-1970), originaire de Pont-La-Ville (La Roche), travaillait comme employé dans la fabrique de chocolats Peter, Cailler, Kohler, future société Nestlé ; il était en outre réputé pour ses talents de footballeur et exerçait sa passion dans la région de Bulle. Ce devait être un homme à la forte personnalité, autoritaire, mais libérale, et profondément attachée à une organisation patriarcale de la famille ne laissant qu'une faible liberté d'action à la femme.
La mère de Tinguely, Jeanne-Louise Ruffieux (1899-1980), était née à Le Pâquier dans une famille d'agriculteurs aux nombreux enfants. Avant son mariage elle était employée comme domestique. Sa silhouette mince et séduisante, ainsi que ses traits marqués mais empreints de finesse - qui caractériseront aussi son jeune fils surent très tôt attirer les regards des hommes.
Jean-Paul Tinguely est né le 22 mai 1925, le jour de l'anniversaire de sa mère. Sa biographie témoigne très tôt de tiraillements et de tensions entre lui et ses parents. II est Fribourgeois et jouit en même temps des droits civiques de la ville de Bâle(??) dans laquelle il grandit. II semble apprécier cette double appartenance qui lui donne la liberté de choisir et de changer. Ainsi se sent-il, selon son humeur, tantôt Fribourgeois, tantôt Bâlois. II trouve fréquemment refuge dans les bois des environs de Bâle, afin de s'adonner à la lecture sans être dérangé. Il y réalise les premières œuvres • méta-mécaniques. : des roues hydrauliques avec effets sonores. «Alors, j'ai commencé à faire une chose très bizarre : plusieurs samedis et dimanches de suite, j'ai commencé à construire de jolies petites roues en bois, bricolées comme ça, le long d'un ruisseau [...]. Aucune idée d'art [...]. Dans la forêt, j'utilisais un ruisseau : il faut dire que c'était une forêt de sapins qui formaient une sorte de cathédrale, avec les qualités sonores d'une cathédrale [...], les sons s'amplifiaient formidablement bien. J'ai fait jusqu'à deux douzaines de petites roues dont chacune avait sa propre vitesse, et parfois cette vitesse était variable selon la vitesse de l'eau, variable elle aussi. Chaque roue avait une came [...]. Une came, c'est une chose qui assure une irrégularité à la roue - tu vois ! Ça frappait, ça actionnait sur un petit marteau qui tapait sur différentes boîtes de conserve rouillées ou pas, des sonorités différentes. Ces sons, ces tonalités, à des rythmes différents, étaient répartis tous les cinq à six mètres, et ces concerts s'allongeaient parfois jusqu'à cent mètres dans la forêt. J'imaginais alors le promeneur solitaire lui aussi dans la forêt, qui entend d'abord ce concert avant d'entendre les bruits de la forêt. Parfois, ça fonctionnait jusqu'à quinze jours, c'était évidemment fragile mais il y en avait quelques-uns qui fonctionnaient pendant des mois. »
Les réactions imprévisibles d’un père alcoolique et autoritaire et les craintes qu’il occasionne chez sa mère restèrent ancrées dans sa mémoire. « J'avais très peur du noir, tout prenait alors des formes inquiétantes, et aujourd'hui encore je ne supporte pas les papiers à motifs, ils me rappellent mes angoisses enfantines. »
Adolescent, il fut traumatisé par le bombardement aveugle de Bâle. «Nous habitions à l'époque sur la Winkelriedplatz. C'était le 16 décembre 1940. Notre quartier fut particulièrement touché, les bombes explosaient tout près, faisant voler les fenêtres en éclats et détruisant tout sur leur passage.' Notre maison dut être évacuée. Une jeune mère allemande, Frau Zorn, avait pris son bébé dans les bras et, alors qu'elle cherchait un abri, elle fut frappée à la tête par un éclat d'obus. L'impact arracha sa calotte crânienne qui resta suspendue, avec les cheveux, au compteur électrique. La jeune femme gisait morte sur le sol. J'enlevai l'enfant de ses bras. Ma mère eut une crise d'hystérie. On dut l'écarter. Je me cachai dans les ruines, attendant l'ennemi. Je crois que s'il était venu, je l'aurais tué. Peut-être cet événement est-il à l'origine des images sombres qui habitent mon art. Qui sait?»
« En 1940, à 15 ans, je suis parti de Bâle, emportant la caisse des scouts, dans l'idée de venir en aide aux Grecs. À l'époque, les troupes italiennes attaquaient les Grecs à partir de l'Albanie. Une patrouille m'a découvert quelque part après le tunnel du St-Gothard alors que j'étais sur le wagon à charbon. On m'a mis sous les verrous à Bellinzona. Je débordais de fierté. J'étais dans une prison d'hommes, avec des adultes. Je me prenais très au sérieux, j'avais l'impression d'être extrêmement important et me refusais à tout aveu. On a fini par me reconduire à Bâle les menottes aux mains.»
Dans la maison du Dr Heinrich Koechlin à Bâle, où se retrouvaient réfugiés politiques, communistes et anarchistes, Tinguely puisait dans les conversations enflammées de quoi nourrir ses idées et enrichir sa formation politique. Friedrich Engels, les Russes Kropotkine et Bakounine, ainsi que Alexandre Herzen, comptaient parmi ses auteurs de prédilection. La lecture était devenue pour lui, qui avait un esprit si curieux, une véritable nécessité et sa mémoire exceptionnelle sut en faire l'une des sources de son vaste savoir.
Les plans, les rêves étaient une chose, mais il y avait aussi la vie quotidienne, les contraintes financières et la nécessité d'apprendre un métier. Tinguely devint décorateur de vitrines, une activité dans laquelle il ne craignit pas de provoquer le scandale. Son ami Daniel Spoerri, qu'il avait connu vers 1949 dans les milieux bohèmes de Zurich, se souvient: «Un jour, Tinguely apporta dans le magasin de fourrures Lindner à Bâle une vieille brouette crasseuse, maculée de taches de béton et remplie de vieux matériaux de construction puis, après avoir longé les précieuses fourrures au grand effroi des vendeuses, il déversa le contenu de sa brouette et jeta par-dessus un manteau de prix - tout ça pour le salaire non négligeable de 300 FS. Il y eut bien sûr aussitôt un attroupement et on appela la police.»
Si les vitrines décorées par Tinguely faisaient preuve d'une telle insouciance et d'une telle liberté, inhabituelles pour l'époque, c'est sans doute parce que Tinguely était profondément convaincu de sa vocation d'artiste et considérait ce travail comme une activité certes nécessaire, mais secondaire. II faut rappeler ici qu'il fréquenta également l'École des Arts appliqués de Bâle. D'après les descriptions de Daniel Spoerri, les compositions réalisées par Tinguely témoignaient, par la liberté même de leur exécution, d'une audace et d'un pouvoir magique extraordinaires. «II travaillait déjà avec des mouvements rotatifs et obtenait, à l'aide de dispositifs de traction, des effets comiques qu'il utilisait pour animer les figurines présentes dans ses compositions.» Le carnaval de Bâle qui anime la ville à chaque printemps depuis des siècles n'est sans doute pas étranger à son goût pour la dérision, la provocation pertinente et l'humour.
Tinguely pourtant ne montra aucune de ces créations au public. On sait aussi qu’il exécuta de nombreuses peintures à l’huile à propos desquelles il explique : « Je pouvais continuer sur une peinture pendant des mois, jusqu'à usure totale de la toile : racler, revenir, sans laisser sécher la peinture ! C'était impossible pour moi ; je n'arrivais pas à, disons, décider : Voilà, c'est terminé ... C'est à partir de là, au fond, que le mouvement s'est imposé à moi. Le mouvement me permettait tout simplement d'échapper à cette pétrification, à cette fin. »
L'artiste en quête de lui-même partit finalement pour Paris au cours de l'hiver 1952-1953. Son ami Daniel Spoerri se trouvait également depuis un semestre dans ce haut lieu de l'art. « Pour un spectacle de danse nous devions concevoir un décor. À la répétition générale, lorsque nous avons tiré sur les ficelles, alors que la musique avait déjà commencé, toute notre installation est tombée sur la tête des danseurs, c'était la catastrophe. Le ballet s'est poursuivi sans décor, avec la musique seulement. » Ce fut l'un des rares cas où Tinguely rata quelque chose.
De plus en plus ses sculptures évoluèrent vers des sortes d'œuvres d'art totales, sollicitant simultanément plusieurs sens : la vue, l'ouïe, le toucher et parfois même aussi l'odorat lorsqu'il y avait émission de fumées.
Tinguely n’était pas mécanicien, pas plus qu’il n’était technicien ou ingénieur. Aux yeux des spécialistes ses machines étaient construites de manière lamentable. Cependant Tinguely possédait le don infaillible de provoquer l’attention des passants, et d’établir ainsi une communication par l’emploi de mécanismes familiers qu’il détournait de leur sens et de leur finalité quotidienne. Avec Euréka une énorme machine conçue pour l’exposition nationale suisse de 1964, cette particularité apparut déjà comme une caractéristique essentielle de son art. Imprégné des œuvres de Marcel Duchamp (Ready-made traduction : objets usuels ironiquement promus œuvres d’art) il s’inscrit dans l’esprit dadaïste qui se manifeste par la bouffonnerie provocatrice et la dérision souvent au cours de manifestations publiques. En 1959, la Biennale de Paris est inaugurée par André Malraux, au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, avec une machine produisant des peintures en série.
C’est un sculpteur qui, avant tout, utilise des matériaux de récupération auxquels il redonne vie en utilisant des moteurs pour les animer. Tinguely est maître incontestable dont l’œuvre compte parmi les manifestations les plus vivantes de la sculpture du XXe siècle.
Il remet en question l’académisme de l’art. Il crée ses machines dans le contexte des « trente glorieuses » (les années d’après la deuxième guerre mondiale) et de son « culte » du progrès. Construites en partie à l'aide d'objets de récupération, les «machines» de Tinguely, consciemment imparfaites, refusent le culte de l'objet neuf produit par une société de consommation. Il est en avance sur son temps en pratiquant le recyclage. Il a su se trouver « une place écologique » dans la société pour pouvoir faire ce qui lui plaisait. Dans une société ou la machine est de plus en plus présente, il l’introduit dans l’art en montrant son aspect ludique et inutile. À l’instar de ses machines qui s’autodétruisent après trente minutes de fonctionnement, il délivre son message philosophique que dans la vie tout a une fin..
La fontaine Jo Siffert
Jean Tinguely est un artiste suisse né le 22 mai 1925 à Fribourg et mort le 30 août 1991 (66 ans) à Berne.
« Jean dégage une énergie électrique dès qu’il rentre dans une pièce il remplit l’espace » c’est ainsi que commence le portrait de Tinguely brossé par Niki de Saint-Phalle. Quel que soit l’endroit où se manifeste sa personnalité d’artiste, on a le sentiment d’être en présence d’un tempérament dynamique et imprévisible, qui cherche l’échange, la communication, et exige de ses partenaires une faculté d’adaptation et un désir de participation permanents. Ne devrait-on pas réfléchir, en ce qui concerne Tinguely, dans le sens où le fit le Financial Times à propos de l’exposition de Venise : « Assurément tout cela est animé par plus d’un souffle démoniaque, bien que nous gardions calmement les doigts croisés… Et au-delà de toute la drôlerie de l’ensemble et du raffinement spirituel de la mécanique, on peut y découvrir une gaîté plus sombre qui s’apparente au désespoir. Ses machines fonctionnent merveilleusement bien, mais elles ne produisent rien, et c’est à nous de déchiffrer leurs messages sombres et ambigus. »
Son père, Charles Tinguely (1893-1970), originaire de Pont-La-Ville (La Roche), travaillait comme employé dans la fabrique de chocolats Peter, Cailler, Kohler, future société Nestlé ; il était en outre réputé pour ses talents de footballeur et exerçait sa passion dans la région de Bulle. Ce devait être un homme à la forte personnalité, autoritaire, mais libérale, et profondément attachée à une organisation patriarcale de la famille ne laissant qu'une faible liberté d'action à la femme.
La mère de Tinguely, Jeanne-Louise Ruffieux (1899-1980), était née à Le Pâquier dans une famille d'agriculteurs aux nombreux enfants. Avant son mariage elle était employée comme domestique. Sa silhouette mince et séduisante, ainsi que ses traits marqués mais empreints de finesse - qui caractériseront aussi son jeune fils surent très tôt attirer les regards des hommes.
Jean-Paul Tinguely est né le 22 mai 1925, le jour de l'anniversaire de sa mère. Sa biographie témoigne très tôt de tiraillements et de tensions entre lui et ses parents. II est Fribourgeois et jouit en même temps des droits civiques de la ville de Bâle(??) dans laquelle il grandit. II semble apprécier cette double appartenance qui lui donne la liberté de choisir et de changer. Ainsi se sent-il, selon son humeur, tantôt Fribourgeois, tantôt Bâlois. II trouve fréquemment refuge dans les bois des environs de Bâle, afin de s'adonner à la lecture sans être dérangé. Il y réalise les premières œuvres • méta-mécaniques. : des roues hydrauliques avec effets sonores. «Alors, j'ai commencé à faire une chose très bizarre : plusieurs samedis et dimanches de suite, j'ai commencé à construire de jolies petites roues en bois, bricolées comme ça, le long d'un ruisseau [...]. Aucune idée d'art [...]. Dans la forêt, j'utilisais un ruisseau : il faut dire que c'était une forêt de sapins qui formaient une sorte de cathédrale, avec les qualités sonores d'une cathédrale [...], les sons s'amplifiaient formidablement bien. J'ai fait jusqu'à deux douzaines de petites roues dont chacune avait sa propre vitesse, et parfois cette vitesse était variable selon la vitesse de l'eau, variable elle aussi. Chaque roue avait une came [...]. Une came, c'est une chose qui assure une irrégularité à la roue - tu vois ! Ça frappait, ça actionnait sur un petit marteau qui tapait sur différentes boîtes de conserve rouillées ou pas, des sonorités différentes. Ces sons, ces tonalités, à des rythmes différents, étaient répartis tous les cinq à six mètres, et ces concerts s'allongeaient parfois jusqu'à cent mètres dans la forêt. J'imaginais alors le promeneur solitaire lui aussi dans la forêt, qui entend d'abord ce concert avant d'entendre les bruits de la forêt. Parfois, ça fonctionnait jusqu'à quinze jours, c'était évidemment fragile mais il y en avait quelques-uns qui fonctionnaient pendant des mois. »
Les réactions imprévisibles d’un père alcoolique et autoritaire et les craintes qu’il occasionne chez sa mère restèrent ancrées dans sa mémoire. « J'avais très peur du noir, tout prenait alors des formes inquiétantes, et aujourd'hui encore je ne supporte pas les papiers à motifs, ils me rappellent mes angoisses enfantines. »
Adolescent, il fut traumatisé par le bombardement aveugle de Bâle. «Nous habitions à l'époque sur la Winkelriedplatz. C'était le 16 décembre 1940. Notre quartier fut particulièrement touché, les bombes explosaient tout près, faisant voler les fenêtres en éclats et détruisant tout sur leur passage.' Notre maison dut être évacuée. Une jeune mère allemande, Frau Zorn, avait pris son bébé dans les bras et, alors qu'elle cherchait un abri, elle fut frappée à la tête par un éclat d'obus. L'impact arracha sa calotte crânienne qui resta suspendue, avec les cheveux, au compteur électrique. La jeune femme gisait morte sur le sol. J'enlevai l'enfant de ses bras. Ma mère eut une crise d'hystérie. On dut l'écarter. Je me cachai dans les ruines, attendant l'ennemi. Je crois que s'il était venu, je l'aurais tué. Peut-être cet événement est-il à l'origine des images sombres qui habitent mon art. Qui sait?»
« En 1940, à 15 ans, je suis parti de Bâle, emportant la caisse des scouts, dans l'idée de venir en aide aux Grecs. À l'époque, les troupes italiennes attaquaient les Grecs à partir de l'Albanie. Une patrouille m'a découvert quelque part après le tunnel du St-Gothard alors que j'étais sur le wagon à charbon. On m'a mis sous les verrous à Bellinzona. Je débordais de fierté. J'étais dans une prison d'hommes, avec des adultes. Je me prenais très au sérieux, j'avais l'impression d'être extrêmement important et me refusais à tout aveu. On a fini par me reconduire à Bâle les menottes aux mains.»
Dans la maison du Dr Heinrich Koechlin à Bâle, où se retrouvaient réfugiés politiques, communistes et anarchistes, Tinguely puisait dans les conversations enflammées de quoi nourrir ses idées et enrichir sa formation politique. Friedrich Engels, les Russes Kropotkine et Bakounine, ainsi que Alexandre Herzen, comptaient parmi ses auteurs de prédilection. La lecture était devenue pour lui, qui avait un esprit si curieux, une véritable nécessité et sa mémoire exceptionnelle sut en faire l'une des sources de son vaste savoir.
Les plans, les rêves étaient une chose, mais il y avait aussi la vie quotidienne, les contraintes financières et la nécessité d'apprendre un métier. Tinguely devint décorateur de vitrines, une activité dans laquelle il ne craignit pas de provoquer le scandale. Son ami Daniel Spoerri, qu'il avait connu vers 1949 dans les milieux bohèmes de Zurich, se souvient: «Un jour, Tinguely apporta dans le magasin de fourrures Lindner à Bâle une vieille brouette crasseuse, maculée de taches de béton et remplie de vieux matériaux de construction puis, après avoir longé les précieuses fourrures au grand effroi des vendeuses, il déversa le contenu de sa brouette et jeta par-dessus un manteau de prix - tout ça pour le salaire non négligeable de 300 FS. Il y eut bien sûr aussitôt un attroupement et on appela la police.»
Si les vitrines décorées par Tinguely faisaient preuve d'une telle insouciance et d'une telle liberté, inhabituelles pour l'époque, c'est sans doute parce que Tinguely était profondément convaincu de sa vocation d'artiste et considérait ce travail comme une activité certes nécessaire, mais secondaire. II faut rappeler ici qu'il fréquenta également l'École des Arts appliqués de Bâle. D'après les descriptions de Daniel Spoerri, les compositions réalisées par Tinguely témoignaient, par la liberté même de leur exécution, d'une audace et d'un pouvoir magique extraordinaires. «II travaillait déjà avec des mouvements rotatifs et obtenait, à l'aide de dispositifs de traction, des effets comiques qu'il utilisait pour animer les figurines présentes dans ses compositions.» Le carnaval de Bâle qui anime la ville à chaque printemps depuis des siècles n'est sans doute pas étranger à son goût pour la dérision, la provocation pertinente et l'humour.
Tinguely pourtant ne montra aucune de ces créations au public. On sait aussi qu’il exécuta de nombreuses peintures à l’huile à propos desquelles il explique : « Je pouvais continuer sur une peinture pendant des mois, jusqu'à usure totale de la toile : racler, revenir, sans laisser sécher la peinture ! C'était impossible pour moi ; je n'arrivais pas à, disons, décider : Voilà, c'est terminé ... C'est à partir de là, au fond, que le mouvement s'est imposé à moi. Le mouvement me permettait tout simplement d'échapper à cette pétrification, à cette fin. »
L'artiste en quête de lui-même partit finalement pour Paris au cours de l'hiver 1952-1953. Son ami Daniel Spoerri se trouvait également depuis un semestre dans ce haut lieu de l'art. « Pour un spectacle de danse nous devions concevoir un décor. À la répétition générale, lorsque nous avons tiré sur les ficelles, alors que la musique avait déjà commencé, toute notre installation est tombée sur la tête des danseurs, c'était la catastrophe. Le ballet s'est poursuivi sans décor, avec la musique seulement. » Ce fut l'un des rares cas où Tinguely rata quelque chose.
De plus en plus ses sculptures évoluèrent vers des sortes d'œuvres d'art totales, sollicitant simultanément plusieurs sens : la vue, l'ouïe, le toucher et parfois même aussi l'odorat lorsqu'il y avait émission de fumées.
Tinguely n’était pas mécanicien, pas plus qu’il n’était technicien ou ingénieur. Aux yeux des spécialistes ses machines étaient construites de manière lamentable. Cependant Tinguely possédait le don infaillible de provoquer l’attention des passants, et d’établir ainsi une communication par l’emploi de mécanismes familiers qu’il détournait de leur sens et de leur finalité quotidienne. Avec Euréka une énorme machine conçue pour l’exposition nationale suisse de 1964, cette particularité apparut déjà comme une caractéristique essentielle de son art. Imprégné des œuvres de Marcel Duchamp (Ready-made traduction : objets usuels ironiquement promus œuvres d’art) il s’inscrit dans l’esprit dadaïste qui se manifeste par la bouffonnerie provocatrice et la dérision souvent au cours de manifestations publiques. En 1959, la Biennale de Paris est inaugurée par André Malraux, au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, avec une machine produisant des peintures en série.
C’est un sculpteur qui, avant tout, utilise des matériaux de récupération auxquels il redonne vie en utilisant des moteurs pour les animer. Tinguely est maître incontestable dont l’œuvre compte parmi les manifestations les plus vivantes de la sculpture du XXe siècle.
Il remet en question l’académisme de l’art. Il crée ses machines dans le contexte des « trente glorieuses » (les années d’après la deuxième guerre mondiale) et de son « culte » du progrès. Construites en partie à l'aide d'objets de récupération, les «machines» de Tinguely, consciemment imparfaites, refusent le culte de l'objet neuf produit par une société de consommation. Il est en avance sur son temps en pratiquant le recyclage. Il a su se trouver « une place écologique » dans la société pour pouvoir faire ce qui lui plaisait. Dans une société ou la machine est de plus en plus présente, il l’introduit dans l’art en montrant son aspect ludique et inutile. À l’instar de ses machines qui s’autodétruisent après trente minutes de fonctionnement, il délivre son message philosophique que dans la vie tout a une fin.
La fontaine Jo Siffert
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L'oeuvre qu'il a dédiée au souvenir de son ami, le pilote de Formule 1 Jo Siffert, se dresse sur la pelouse des Grand-Places. Au centre d'un grand bassin de pierre, cette sculpture est composée de roues, d'éléments métalliques, ainsi que de tuyaux flexibles. Elle est animée par un moteur et gicle l'eau dans une joyeuse fantaisie. Le spectacle varie suivant les saisons, selon l'influence du soleil, des nuages ou du gel. On peut trouver d'autres oeuvres de Jean Tinguely et de Niki de Saint Phalle à l'Espace qui porte leur nom, situé au no 2 de la rue de Morat.
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Egger Ph.