Combien faut-il d’eau pour élever une vache, cultiver du café ou fabriquer un T-shirt en coton? Une fondation hollandaise a développé un outil permettant de calculer l’empreinte aquatique d’un produit, d’une personne et même d’un pays entiers. Avec des résultats surprenants.
Il faut 15’500 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf, 3’000 litres pour un kilo de riz, 2’700 litres pour un t-shirt en coton et 140 litres pour une tasse de café. Ces chiffres étonnants ont été calculés grâce à la méthode développée par Arjen Hoekstra, de la fondation hollandaise Water Footprint Network (WFN), qui permet de connaître l’empreinte hydrique d’un bien, d’un individu, d’une entreprise ou d’un pays. «Cette empreinte représente un outil pour mieux comprendre et gérer nos ressources en eau douce qui se font rares, explique le professeur. L’innovation de ce concept réside dans le fait que nous évaluons l’eau comme une ressource globale.»
L’empreinte aquatique d’un produit calcule le volume global d’«eau virtuelle» nécessaire à sa fabrication: il comprend aussi bien les quantités d’eau utilisées, et évaporées, que celles qui sont polluées lors de toutes les étapes de production d’un bien. Les 15′500 litres cachés derrière un kilo de bœuf se calculent de la manière suivante: un bœuf d’élevage industriel vit en moyenne 3 ans avant de produire environ 200 kilos de viande. Pendant cette période, l’animal ingurgite environ 1′300 kilos de blé et 7′200 kilos d’autres fourrages. La seule production de cette matière fourragère consomme déjà 15′300 litres d’eau. S’ajoute à cela l’eau potable et celle utilisée pour le nettoyage des étables.
L’agriculture est responsable de 85% de la consommation mondiale d’eau douce, l’industrie de 10% et les ménages de 5%. Il est alors particulièrement pertinent de s’interroger sur l’empreinte aquatique des produits agricoles. «Il existe toutefois des différences importantes entre différents morceaux de bœufs, t-shirts ou kilos de riz», note le professeur hollandais. Des variations qui sont dues à des méthodes, ainsi qu’à des conditions de production différentes. Pour Walter Wagner, du WWF Suisse, «les 140 litres d’eau liés à la production d’une tasse de café ne constituent pas forcément un problème en soi, car le café est produit dans des pays riches en eau et sans irrigation artificielle». Le vrai problème concerne les produits nécessitant beaucoup d’eau et fabriqués dans des régions arides, comme le coton de la région de la mer d’Aral ou les oranges d’Israël. Economiser de l’eau à la maison reste donc utile, mais davantage d’eau peut être épargnée en faisant attention à la provenance de ce que l’on achète au supermarché.
Depuis quelques années, le concept d’empreinte aquatique reçoit une attention croissante dans le monde académique, au sein des gouvernements et du coté des grandes entreprises. «Nous avons créé le WFN en 2008, afin de garantir que tout le monde utilise la même méthode de calcul quand nous formulons des objectifs pour la réduction des empreintes hydriques», précise Arjen Hoekstra. Le WWF et l’UNESCO sont les premiers à avoir reconnu l’empreinte aquatique. «Il s’agit d’un outil analytique très important pour nous, commente Martin Geiger du WWF Allemagne. Grâce à lui, nous espérons augmenter la conscience des acteurs par rapport à leur consommation d’eau.»
Au niveau des entreprises, on peut déjà observer une prise de conscience. Un nombre croissant de grandes sociétés, comme les multinationales Unilever et Nestlé, commencent à utiliser le concept de la fondation néerlandaise. «Comme l’eau représente la ressource de base pour un grand nombre de leurs produits, ces entreprises s’intéressent particulièrement à l’empreinte aquatique, pour diminuer leurs risques économiques liés à la rareté de l’eau, ainsi que celles de responsabilité sociale», poursuit Martin Geiger.
Quant à la Suisse, elle consomme 16 km3 d’eau par an, soit 6′100 litres par jour et par habitant. En comparaison, la moyenne globale se trouve à 3’400 litres quotidiens, un Chinois consomme environ 1900 litres d’eau par jour et un citoyen des Etats-Unis 6800 litres. On estime que 80% de l’empreinte aquatique helvétique est externe, c’est-à-dire qu’elle a été créée à l’étranger et importée sous forme de produits divers. Selon une étude du WWF Suisse, parmi les produits importés avec la plus grande empreinte hydrique figurent le café, le cacao, le sucre, les noix, le blé, la viande de bœuf et le riz. Pour connaître son empreinte aquatique personnelle, on peut utiliser le calculateur du site waterfootprint.org.
Richard Siegert