Le canton de Fribourg se montre très pointilleux en ce qui concerne l'hygiène sur les marchés. Depuis avril, le chimiste cantonal a réactualisé les directives en la matière. Et intensifié les contrôles sur les marchés. Derrière les étalages, l'humeur est plutôt à la grogne chez les petits producteurs. Ils dénoncent des mesures impossibles à appliquer, et des contrôles trop sévères. «Si ça continue, le pain devra être exposé dans un aquarium», se plaint l'un d'eux. Reportage et enquête au marché de Fribourg.
Les sacs de légumes, pesés et payés, passent de mains en mains. Posés sur les comptoirs, pains frais et gâteaux attirent les passants de quelques effluves tandis que toute une bassecour de poulets grillés tournent lentement sur la broche. Le marché bat son plein en ce mercredi matin sur la rue de Romont, à Fribourg.
Mais, derrière les étalages, l'humeur est plutôt à la grogne chez les petits commerçants. La raison? Depuis le mois d'avril, le Service de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (SAAV), chargé de surveiller la fabrication, l'entreposage, l'importation, le transfert et la vente de denrées alimentaires dans le canton, a intensifié les contrôles sur les marchés. Les petits artisans dénoncent des contraintes impossibles à appliquer. Qu'en est-il vraiment? Enquête.
S'adapter aux règles
«Si ça continue, le pain devra être exposé dans un aquarium en verre», peste un marchand. Pour lui et certains de ses confrères, le petit dépliant que leur ont remis ces derniers mois les services du chimiste cantonal, rappelant les instructions concernant la vente de denrées alimentaires, est trop sévère.
«Je ne dois présenter qu'une seule tomme sur mon étalage. Le reste doit être conservé au frais en attendant», explique Claude Piller, désignant du doigt la petite table sur laquelle il vend ses fromages de chèvre dans plusieurs marchés. «Mais quand on n'a qu'une seule pièce exposée, les gens pensent que c'est la dernière et ne l'achètent pas», regrette une vendeuse de gâteaux souhaitant garder l'anonymat. «Les clients pensent que l'on n'a plus de stock», renchérit un autre vendeur de pâtisseries qui dit avoir dû faire des frais pour acheter un grand présentoir en plexiglas pour protéger ses produits.
Claude Piller, quant à lui, a dû débourser plusieurs centaines de francs pour une glacière adaptée. «Et je dois toujours avoir un grand jerrican d'eau avec des serviettes et du savon. Mais mes produits sont en ordre, c'est de la bonne qualité», estime-t-il.
La mort des artisans?
Pour la vendeuse précitée, les directives transmises par le SAAV posent donc problème. «Ils astiquent les producteurs indépendants», déplore-t-elle. Donc ceux qui n'ont pas les moyens de se procurer du gros matériel tel qu'une roulotte réfrigérée ou un frigo.
Une vision partagée par Stéphane Rumpf, qui vend du pain et du fromage au marché de Fribourg le mercredi et le samedi. «On cherche à éliminer les petits commerçants. Ces normes sont difficilement applicables pour des marchands comme nous», s'exclame-t-il.
Pour faire passer son message, Stéphane Rumpf a imprimé des tracts qu'il distribue à ses clients. Il y parle de «l'extermination d'un patrimoine de goûts et de saveurs».
Récemment, un confrère de Claude Piller a même préféré jeter l'éponge. «Il ne vient plus sur les marchés. C'est devenu trop difficile», relate-t-il.
Des directives déjà connues
Responsable de la sécurité alimentaire au SAAV, le chimiste cantonal, Jean-Marie Pasquier, réfute ces accusations. «Notre intention n'a jamais été de tuer l'artisan. Au contraire, c'est un plus pour lui s'il peut démontrer qu'il élabore et commercialise ses produits dans le respect des règles d'hygiène», explique-t-il. Des règles d'hygiène (voir ci-après) qui ne sont d'ailleurs pas nouvelles. «Elles découlent de la loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels», insiste le chimiste cantonal.Alors pourquoi des plaintes surgissent-elles maintenant, dénonçant des contrôles plus sévères de la part des inspecteurs du SAAV? «On a réactualisé le document expliquant les règles en avril dans le cadre d'une campagne que nous menons. Depuis la fin mai, nous l'avons distribué aux commerçants en le leur expliquant et les informant qu'il y aurait bientôt des contrôles. Nous n'avons donc pas débarqué à l'improviste», précise Jean-Marie Pasquier.
Des règles souples
Le chimiste cantonal insiste sur un autre point: les règles se veulent souples. «Il y a une marge de manoeuvre. Et la situation diffère selon les produits. Pour les fruits et légumes, par exemple, nous n'avons pas fixé de règles particulières si ce n'est de ne pas les entreposer à même le sol.»
Et comment expliquer que les commerçants doivent s'équiper de matériel coûteux pour protéger leurs denrées sur les étalages? «Il n'est pas obligatoire de mettre un plexiglas. Les produits vendus en vrac doivent être protégés contre les contaminations. Mais, pour cela, un film alimentaire transparent peut suffire. De même, il peut être toléré d'avoir plus d'une pièce exposée sur le comptoir si le produit en question reste un court laps de temps exposé», indique le chimiste cantonal.
Les arguments fusent donc de chaque côté, entre marchands et chimiste cantonal. Mais, entre rigueur hygiénique et développement des produits du terroir, les limites à respecter restent floues.
La Liberté