Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

lundi 2 août 2010

Lever le pied pour vivre mieux

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De nombreux cadres ne veulent plus de responsabilités. Ils préfèrent renoncer à leur carrière plutôt que d’accumuler le stress. Une tendance qui progresse.

«Lorsque l’une de mes employées a craqué, j’ai décidé qu’il fallait changer quelque chose à ma vie», raconte Sophie Barathieu, ancienne cheffe de l’administration et des finances d’une grande entreprise, qui s’est reconvertie dans le social. Souvent, c’est un évènement marquant qui pousse une personne à se remettre en question professionnellement: un changement de management, un licenciement, un burn-out, l’arrivée d’enfants, ou encore un divorce.

«Face à de telles situations, certains cadres ressentent un grand vide, observe Edna Didisheim, psychologue du travail et conseillère en management à Lausanne. Ils n’arrivent plus à donner du sens à leurs semaines de 80 heures. Ils décident alors de réduire leur temps de travail ou de se reconvertir professionnellement dans une activité plus proche de leurs valeurs.» Si cette situation concerne encore une minorité d’employés, la psychologue considère que «depuis environ cinq ans, cette tendance a progressé».

Une croissance corroborée par Eva von Rohr, directrice du cabinet de conseil en carrière Von Rohr: «Je constate dans ma pratique que de plus en plus de cadres cherchent à harmoniser leur vie privée et professionnelle et à aligner cette dernière selon leurs propres valeurs. Ils cherchent à mieux gérer leur temps et leur énergie disponible, quitte à gagner moins d’argent.» Un phénomène que la conseillère en carrière explique par une recherche de sens à la vie, face à un monde du travail de plus en plus orienté vers la production et le profit à court terme.

«Le modèle linéaire de progression de carrière est également mis à mal, ajoute Eva von Rohr. Il existe de moins en moins d’opportunités d’évolution car les structures hiérarchiques sont devenues plus horizontales. Alors certains cadres se disent que s’ils ne peuvent pas progresser, pourquoi ne pas opter pour une position moins stressante, à temps partiel même si elle est moins bien rémunérée.» Pour la sociologue du travail Nicky Le Feuvre, professeure à l’Université de Lausanne, cette tendance s’explique aussi par «une résistance à un horaire hebdomadaire qui se rallonge et un rythme de travail qui s’intensifie. Malheureusement, seule une minorité d’employés peuvent se permettre un tel changement, les autres n’ayant pas de salaires assez élevés pour cela.»

Conséquence logique de leur augmentation, les cadres qui choisissent de ralentir le rythme sont de moins en moins considérés comme atypiques, que ce soit au sein de l’entreprise ou auprès de leur entourage. «Le concept du work-life balance, qui nous vient des pays anglo-saxons, très en avance sur nous à ce sujet, commence à faire son chemin auprès des directeurs de ressources humaines», explique Vincent Chevalley, directeur de la région de Genève chez Manpower. Traditionnellement privilégié par les femmes avec enfants, le temps partiel commence par exemple à être davantage l’apanage des hommes et il est demandé pour des raisons autres que familiales. «Cela peut être pour une passion, un engagement politique ou associatif, ou souvent, pour bénéficier d’un mode de vie moins stressant», souligne Edna Didisheim.

Ces dernières années, plusieurs entreprises romandes ont mis en place des politiques de ressources humaines qui soutiennent les employés désireux d’évoluer vers d’autres fonctions ou plus de temps libre. Parmi celles-ci, on trouve de grandes sociétés comme Eli Lilly, Credit Suisse ou La Poste, et aussi de plus petites comme le CSEM à Neuchâtel. «Il s’agit d’une tendance de fond, indique Karin Berney, directrice des ressources humaines chez Eli Lilly. Nous l’intégrons dans notre politique: tout collaborateur peut demander à diminuer son temps de travail. Si cela n’est pas possible, nous évaluons ensemble la possibilité de changer de fonction. Actuellement, 20% de nos employés travaillent à temps partiel. Lorsque l’équilibre d’un employé est assuré, on peut compter sur une performance supérieure et un taux d’absentéisme plus bas que la moyenne.»

Même constat du côté du CSEM: «Notre personnel souhaite davantage d’équilibre de vie, commente Anne-Marie Van Rampaey, directrice des ressources humaines. 16% de nos ingénieurs travaillent à temps partiel, pour des raisons familiales ou pour vivre une passion en dehors du travail. Nous y gagnons en fidélisation du personnel et en efficacité.»

Si certaines entreprises sont plus ouvertes que d’autres, obtenir un temps partiel ou un changement de poste n’en reste pas moins délicat. «Il est plus facile de demander une réduction de temps de travail auprès de son employeur lorsque l’on est déjà au bénéfice d’un emploi que de chercher un poste à temps partiel sur le marché du travail, souligne Vincent Chevalley. En recherche d’emploi, il faut évidemment valoriser ses compétences, en montrant la valeur ajoutée que l’on apporte à l’entreprise.»

Pour Eva von Rohr, en cas de réorientation professionnelle, «il ne faut pas seulement quitter quelque chose, mais aller vers un objectif que l’on aura préalablement défini. Tous les aspects financiers et psychologiques doivent être pris en compte dans le nouveau projet. Se jeter dans le vide n’apporte souvent rien de bon.»

«J’apporte quelque chose à la société»
Sophie Barathieu, animatrice de Pro-Philo

A42 ans, Sophie Barathieu a déjà deux transitions de carrière à son actif. Entrée dans la vie professionnelle comme aide comptable, elle a gravi les échelons d’une grande entreprise genevoise et obtenu son brevet fédéral. Devenue cheffe des finances et de l’administration, elle confie avoir tout donné à son travail. «Je vivais dans un déséquilibre constant. Je ressentais une forte pression de la direction, qui me forçait à être exigeante et dure avec mes employés. Lorsque l’une de mes collaboratrices a craqué, je me suis regardée dans le miroir et je me suis rendu compte que ces valeurs ne me correspondaient pas.» Marquée par cette expérience, Sophie Barathieu crée alors une structure de coaching. «J’en ai aussi profité pour réduire un peu le rythme de travail. Cette expérience m’a fait prendre conscience que ce qui comptait le plus pour moi c’était les relations humaines.» A 40 ans, elle décide de faire le grand saut et s’inscrit à la Haute Ecole de travail social à Genève. Sur le point de terminer ses études, elle travaille actuellement comme animatrice à l’association Pro-Philo, dont l’objectif consiste à développer la société au moyen de la philosophie. «Il s’agit évidemment d’un sacrifice financier, que j’ai pu me permettre car je n’ai pas de charge de famille. Mais ma qualité de vie s’est tellement améliorée que je n’y pense même pas. J’apporte quelque chose à la société qui correspond à mes valeurs. Il me reste en plus du temps pour faire du sport et voir mon compagnon. Un pur bonheur!»

«On m’a traité de gonflé»
Marc Benninger, rédacteur en chef de «HR Today»

Sans être UDC ni conservateurs, ma femme et moi avons décidé de nous occuper nous-mêmes de nos quatre enfants. Nous souhaitions leur offrir une enfance stable, sans devoir courir partout ni leur imposer des horaires de fous.» Marc Benninger et son épouse ont décidé il y a dix ans de travailler les deux à 50%. «Je débutais alors dans le journalisme. J’ai été plusieurs fois sur le point d’obtenir des bons postes, mais lorsque j’avais fait part de mon souhait de travailler à 50%, mes futurs employeurs ne souhaitaient plus entrer en matière. On m’a souvent traité de «gonflé» de refuser de telles propositions.» Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 35 ans, persiste et signe. Et finit par trouver son bonheur, avec le poste de rédacteur en chef à 60% de la version française du magazine HR Today . «Bien sûr que je gagne moins et j’ai dû sacrifier des opportunités de carrière. Il faut assumer son choix. Je considère que ma qualité de vie est bien meilleure. Et je n’exclus pas d’augmenter peut-être mon temps de travail d’ici à quelques années.»

«Il est possible de gérer son entreprise à 80%»
Pietro Godenzi, codirecteur Ecoservices

On nous avait prévenus que ça allait être impossible, sourit Pietro Godenzi, cofondateur, avec Eric Dubouloz, de la PME genevoise Ecoservices. Lorsque nous sommes devenus pères, nous avons décidé d’engager une troisième collaboratrice afin de nous mettre tous à 80%.» Dix ans plus tard, leur entreprise prospère et emploie une vingtaine de personnes. Avec une particularité: pas un seul collaborateur ne travaille à plus de 80%.

«Nous avons un modèle atypique, concède Pietro Godenzi. Cela marche chez nous, mais je ne souhaiterais pas donner de leçons. Nous avons élaboré un modèle spécifique d’organisation et surtout accepté de gagner moins pour avoir plus de temps.» Spécialisée dans le conseil en environnement et en sécurité, Ecoservices a fait du développement durable sa priorité, également pour ses employés: «Nous privilégions la confiance et ne mettons pas de pression inutile sur les collaborateurs. Nous prenons diverses mesures pour préserver la santé de nos employés et investissons beaucoup dans leur formation.» Avec pour résultat, un taux de rotation et d’absentéisme quasi nul. Et surtout, Pietro Godenzi en est convaincu, beaucoup de créativité, car «les bonnes idées viennent lorsqu’on n’a pas le nez dans le guidon».

«La liberté n’a pas de prix»
Philippe Plan, vigneron

Tout allait bien pour Philippe Plan, responsable de produit dans une entreprise horlogère genevoise, jusqu’à un changement de management. «Avant, nous étions une équipe solidaire et passionnée par notre travail. Après, on nous a mis des objectifs et des plannings fantaisistes. Cela a détérioré l’ambiance et la motivation. D’un caractère habituellement sociable, j’ai pu être odieux avec certains de mes collègues car j’étais pris dans ce système.»

Du jour au lendemain, Philippe Plan décide de donner sa démission. Il a alors 31 ans et ne possède pas d’autre projet professionnel. «J’ai eu beaucoup de chance, car mon beau-père vigneron était sur le point de prendre sa retraite et il m’a proposé de reprendre le domaine.» Sans être un grand connaisseur de vin, Philippe Plan se met au travail et obtient un brevet d’œnologue à l’Ecole d’agriculture de Changins. «Je travaille parfois davantage qu’avant, pour un salaire moindre. Mais je suis beaucoup moins stressé! Car je suis libre et prends mes propres décisions. Je peux passer voir mes filles de 2 et 5 ans quand j’en ai envie et gérer mon emploi du temps comme je l’entends. Cela n’a pas de prix.» Philippe Plan apprécie également les relations humaines de son nouveau métier, qu’il considère comme plus authentiques. «Tout n’est pas rose, mais il existe une solidarité et un état d’esprit qui ont malheureusement disparu de l’industrie suisse.»


Geneviève Ruiz