Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

vendredi 24 septembre 2010

«Une télévision de l'immondice»

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A force de flatter les pulsions et de transgresser les tabous, la télévision menace la société d'explosion. C'est l'avis de Christophe Nick, producteur du «Temps de cerveau disponible».

Au mois de mars, Christophe Nick (52 ans) a bouleversé le monde médiatique en réalisant «Le Jeu de la mort», où il démontra que dans le cadre d'un jeu télévisé, 80% des candidats peuvent aller jusqu'à tuer quelqu'un sous l'oeil d'une caméra et les injonctions d'une animatrice.

Aujourd'hui, il signe «Temps de cerveau disponible», diffusé dimanche sur TSR2, qui dénonce les dérives de la télé-réalité.

Vos deux films, «Le Jeu de la mort» et «Temps de cerveau disponible», attaquent la toute-puissance de la télévision. Pensez-vous qu'il faille un contre-pouvoir à la télévision?

Christophe Nick: Normalement, la télévision est un contre-pouvoir, par ses émissions d'information, ses documentaires... Mais, d'un autre côté, on s'aperçoit bien que la télévision n'a plus du tout l'envie de contrebalancer le pouvoir: depuis une vingtaine d'années, elle cherche les plus grandes parts de marché possibles, en s'appuyant sur le sexe, l'humiliation, la violence ou la cruauté. Face à cette dérive, je pense qu'il faudrait d'abord concevoir une éducation à l'image: les enfants apprendraient à décrypter une image comme ils apprennent à lire ou à calculer. Ils apprendraient à se méfier des étiquettes: la télé-réalité n'emprunte pas au réel, mais à la fiction et à la mise en scène. »Ensuite, je pense qu'il faudrait que les professionnels de la télévision mesurent toute leur responsabilité: face à une caméra, sur un plateau de télévision, un être humain abandonne toutes ses convictions pour faire ce qu'on attend de lui. C'est manifeste dans «Le Jeu de la mort»: les candidats n'avaient pas l'intention de tuer l'homme qui était en face d'eux, ils voulaient simplement faire ce que la télévision attendait d'eux; ils voulaient se comporter en «bon candidat».»Enfin, j'attendrais de ceux qui détiennent le pouvoir, les propriétaires des chaînes de télé, qu'ils ne cherchent pas seulement à garantir la meilleure diffusion de la publicité. A mon avis, on n'est pas obligé de sombrer dans l'immondice pour gagner de l'argent.

Vous datez l'irruption de la télé-réalité en France à 1983, avec l'émission Psy Show de Pascale Breugnot, sur France 2, une émission que vous qualifiez de voyeuriste...

Chaque pays a sa date charnière. Pour la France, indiscutablement, c'est 1983 et Psy Show. A ce moment, la télévision bascule: elle n'est plus «cette fenêtre ouverte sur le monde», selon la formule. La caméra n'emmène plus les téléspectateurs sur la Lune, comme ce fut le cas avec la conquête spatiale, ou au fond des océans, avec Cousteau, mais elle se retourne vers l'intime et abolit toute distance. Et là, nous voyons des gens s'exhiber sur les plateaux! La télévision se lance dans ce qui deviendra la recette de tous les talk-shows: la transgression des tabous.

Quand on regarde ces émissions de confession, chez Delarue par exemple, on se demande quelle est la motivation des gens qui viennent témoigner?

En passant à la télé, en venant raconter ses malheurs, on trouve une écoute devenue rare. Chez tous les gens qui passent à la télé, que ce soit en participant à un documentaire ou à un talk-show, il y a le besoin d'être entendu. Ils viennent pour parler non pas à la multitude, aux millions de téléspectateurs qui sont sur leurs canapés, mais à leur entourage. Ils veulent être entendus de leurs parents, de leurs enfants, de leur tonton... Vous savez, ce phénomène est bien connu des psychanalystes: filmer une séance est un formidable accélérateur. C'est d'ailleurs la force et le danger de la caméra: elle accentue les caractères. Devant une caméra, vous serez ou plus intelligent ou plus bête que d'ordinaire. Cela donne ces moments de vérité qui sont tant recherchés par les producteurs, comme si la télévision engendrait le lapsus révélateur. Regardez le zapping de Canal+: vous trouverez presque chaque soir une déclaration non contrôlée. Dans le film «Temps de cerveau disponible», nous avons ressorti cette scène où l'animateur demande à une femme si elle a déjà connu l'orgasme. Elle répond: «Oui, mais pas avec mon mari.» Or le mari est sur le plateau. Gros plan sur lui. Le mec ne s'en remettra jamais! »Vous avez dans ce plan un condensé de la télé-réalité: on zoome sur la petite larme, on cherche la question qui déstabilise, on exacerbe le conflit. La pulsion voyeuriste, celle du téléspectateur, et la pulsion exhibitionniste, celle du participant à l'émission, deviendront les ingrédients de la télé commerciale dans les années nonante.

Votre film donne largement la parole au philosophe Bernard Stiegler qui dit que la télévision conduit à la guerre civile. Partagez-vous cette terrible prédiction?

Si vous êtes d'accord avec Bernard Stiegler pour dire que la télé-réalité, après avoir flatté la pulsion de vie (c'était la mise en scène du sexe), encourage maintenant la pulsion de mort; si vous êtes d'accord pour dire que la télévision, au lieu de contrôler les pulsions, les encourage, alors vous vous dites que nous sommes au bord d'un passage à l'acte, d'une explosion de violence. Bernard Stiegler pose cette question: «Faut-il laisser la télévision exploiter la pulsion comme un automatisme qui pousse au crime?» Aujourd'hui, sur Channel 4, on peut voir le samedi soir la dissection d'un cadavre. Au début de l'année 2010, cette même chaîne a lancé un appel: elle cherche un malade en phase terminale qui serait disposé à se faire momifier devant les caméras... Bernard Stiegler dit que cette mise en scène commerciale de la mort, qui aurait été autrefois qualifiée de diabolique, produit de l'incontrôlable. Ça ne peut que conduire à l'hyper-violence et à la guerre civile. D'ailleurs, pour réaliser ce film, j'ai cherché à savoir si, par le passé, une époque avait déjà produit un pareil spectacle. Je n'ai trouvé que les années 30, dans la période qui a suivi la grande crise. On sait où cela nous a menés...

Jean AMMANN