Le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim abandonne le développement de sa molécule destinée à stimuler la libido des femmes. La fin d’un leurre.
Espéré depuis 2009, le «viagra féminin» ne verra pas le jour. Le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim a annoncé, au début d’octobre, la fin du développement de la flibansérine, une molécule censée augmenter la libido féminine. En cause: un avis négatif émis par la Food and Drug Administration (FDA), qui a jugé les bénéfices apportés par la molécule peu convaincants au regard des effets secondaires (fatigue, évanouissements, dépression).
De quoi relancer le débat: est-il possible de médicaliser le désir? Déjà en 2004, Pfizer, qui a introduit le Viagra en 1998, avait abandonné le développement d’un médicament similaire. «L’idée de développer une pilule magique qui stimule la libido résume le désir a quelque chose d’extrêmement simple, pour ne pas dire simpliste, estime Denise Medico, psychologue et sexologue basée à Lausanne. Cela nie l’aspect relationnel si important dans la sexualité des couples, comme si l’envie se résumait à une pulsion, avec des normes bien établies en deçà ou au-dessus desquelles vous êtes malades. Mais l’absence de désir est-elle vraiment une pathologie?»
Oui, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (la bible des psychiatres), qui considère la baisse ou l’absence de désir comme une pathologie mentale au même titre que la dépression.
Non, selon Ray Moynihan, journaliste au British Medical Journal, pour qui le manque de désir, ou «dysfonctionnement sexuel féminin» dans le jargon médical, n’est rien d’autre qu’une maladie inventée de toutes pièces par l’industrie pharmaceutique afin de remplir son tiroir-caisse. Un avis partagé par Denise Medico: «Les laboratoires ont créé une maladie qui n’existait pas, pour ensuite vendre la pilule qui la soignera.»
Et le marché est immense. «Actuellement, un couple sur deux se sépare, et dans 20% des cas la rupture résulte d’un problème lié à la sexualité, rappelle Marc Wisard, urologue à Lausanne. De plus en plus de femmes, mais aussi d’hommes, viennent consulter en raison d’un manque d’appétit sexuel.» Selon une étude américaine, 30% des femmes et 15% des hommes souffrent d’une absence de désir sexuel.
Dans ce contexte, tous les laboratoires caressent l’espoir de rééditer le succès du Viagra et autres pilules érectiles, qui cumulent 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an. «Notre société se dirige vers une médicalisation à outrance, constate Marc Wisard. Il existe des pilules pour stimuler l’érection, retarder l’éjaculation et, un jour ou l’autre, pour stimuler le désir.»
Depuis 2007, Procter & Gamble commercialise en Europe des patchs de testostérone baptisés Intrinsa, censés restaurer la libido des femmes ayant subi une ablation des ovaires ou de l’utérus (ce qui provoque une diminution des concentrations sanguines de testostérone).
Mais, en dehors de ces cas particuliers, l’absence de désir n’est a priori pas une maladie et une éventuelle solution ne se trouve pas forcément dans la chimie. «Il n’existe pas un portrait type d’une personne sans envies, mais une multitude de cas, explique Denise Medico. Il est donc peu probable qu’une molécule parvienne à agir avec la même efficacité sur tout le monde.»
Contrairement au Viagra, dont l’effet est mécanique (vasodilatateur), les molécules censées augmenter l’appétence sexuelle agissent au niveau cérébral, sur les voies neuronales du désir. Problème: ces mécanismes demeurent mal connus. Si les études ont montré que la flibansérine augmentait légèrement le désir, elles ont aussi prouvé que cette molécule accroissait le nombre de dépressions.
Bertrand Beauté