Chu de che / Je suis d'ici / Sono di qui / Ich bin von hier ! Notre liberté ne nous a pas été donnée, mais combattue et priée par nos ancêtres plus d'une fois! Aujourd'hui, comme autrefois, notre existence en tant que peuple libre dépend du fait que nous nous battions pour cela chaque jour. Restez inébranlable et soyez un gardien de la patrie pour que nous puissions remettre une Suisse libre telle que nous la connaissions à la génération suivante. Nous n'avons qu'une seule patrie!

jeudi 23 décembre 2010

Le Noël des espions

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La Barbie Video Girl, dotée d’une caméra vidéo, permet de filmer des scènes, de les monter et de les copier sur un ordinateur. (Keystone)

Playmobil livrés avec caméra de surveillance, Barbie avec viseur dans le cœur, drone piloté par iPhone pour espionner ses voisins. 2010, année des cadeaux pour voyeurs?

Voilà un cadeau que les enfants aimeraient bien recevoir avant le Réveillon. Pour voir si le Père Noël descend vraiment par la cheminée. Ce cadeau, c’est le coffret «agent secret» de Playmobil, qui comprend une petite voiture (un 4X4) équipée d’une caméra. Pendant que le véhicule se promène, son œil tourne…

Qui voudrait pousser la surveillance plus loin dans la maison, pourra toujours offrir à sa petite sœur – ou à son petit frère – la Barbie Video Girl, dont le pendentif masque un objectif et le sac à dos un écran de visionnage.

Pour étudier le jardin des voisins, il est désormais possible de piloter de son iPhone une sorte d’hélicoptère muni de deux caméras (lire ci-dessous). Et signalons encore aux enfants souhaitant faire chanter leurs parents, les lunettes de soleil avec caméra et micro intégrés. Ou des stylos et des montres pareillement outillés. Depuis peu, même les animaux peuvent participer au climat d’espionnite, puisqu’il existe, à leur attention, de petits yeux enregistreurs à clipper sur leurs colliers… Bref, les caméras de surveillance ont investi le champ du jouet, du cadeau et du gadget. Tous voyeurs. Ou tous paranos? Silence, on tourne.

«La technologie, de plus en plus sophistiquée, miniaturisée et abordable, permet de nouvelles applications. On n’aurait pas imaginé une caméra dans un jouet il y a 30 ans, c’était trop cher et volumineux», explique Dominique Pécaud, chercheur à l’Université de Nantes et à l’Institut de l’homme et de la technologie.

«Cette tendance va de pair avec une certaine banalisation de la surveillance, complète Francisco Klauser, professeur à Neuchâtel et spécialiste de cette question. Poser une caméra dans un train ou un bus ne choque plus. La représentation de la surveillance est elle-même répandue. Lego et Playmobil fabriquent des portiques d’aéroport ou des camions de planque policière.» Sans compter que les caméras sont partout, de la rue au Natel en passant par l’ordinateur. Les petits les fréquentent au quotidien, pour certains depuis le premier instant de leur naissance, immortalisée sur film.

Antoine a 6 ans. Ce coffret d’agent secret Playmobil, il le veut, il l’attend. Mais pour quoi faire? «Pour espionner ma grande sœur», répond-il comme si cela allait de soi. Vrai que les jeux d’enfance sont pavés d’une irrésistible envie de voir: cache-cache, le trou de la serrure, la dissimulation et l’espionnage nourris par les héros comme James Bond, OSS 117 ou Austin Powers. «Les enfants ne savent rien à rien, mais ils devinent des tas de trucs. Beaucoup de choses leur échappent; la plus cardinale étant l’activité secrète de leurs parents», note le pédopsychiatre genevois Bertrand Cramer. «Pour palier ces incertitudes, ils s’inventent des histoires ou ils se transforment en voyeurs. Les adultes ont développé des croyances ou des idéologies pour répondre à leurs questions existentielles. Les petits pas encore.»

La même curiosité semble pousser le propriétaire d’un chien à lui installer une caméra autour du cou. Sur son site, Eyenimal, la société qui commercialise ce gadget pose les questions suivantes: «Que fait-il? Où va-t-il? Qui rencontre-t-il?» On pourrait penser qu’elle s’adresse à la communauté des conjoints trompés. Mais non, Eyenimal propose à ses clients d’«entrer dans la peau de leur animal favori». De fait, une vidéo de démonstration – qui donne le mal de mer – balade le spectateur d’un hérisson en plastic à un toutou goguenard en sautant sur le toit de la maison. «C’est l’idée de voir au travers de, c’est la posture de l’avatar développée il y a une vingtaine d’années avec les jeux vidéo», analyse le sociologue de l’image Gianni Haver.

Volonté ludique, soit. Mais l’idée de contrôle social n’est pas loin, selon le sociologue des nouvelles technologies Sami Coll: «Les modalités du contrôle social nées au XVIIIe siècle, devenu plus implicite, plus doux mais également plus efficace, s’affirment encore plus aujourd’hui avec la transparence croissante de la société. Un enfant allant espionner quelqu’un devient en quelque sorte un agent de ce contrôle social, sans en être forcément conscient. Il ira rapporter à ses parents s’il voit son frère ou sa sœur voler des biscuits.»

La multiplication de ces objets pose des questions de légalité. La loi interdit de filmer une personne sans son consentement – considéré comme tacite dans les magasins, la rue ou les transports publics dès lors que les individus sont informés de la surveillance et de son objectif. Or il semble laborieux de demander à sa fille ou à son chat de ne pas aller traquer les voisins, d’autant qu’un adolescent pourrait tout à fait avoir l’idée de mettre la vidéo récoltée sur Internet. Dans un autre registre, le FBI a mis en garde contre une utilisation pédophile des images tournées par la Barbie caméra, celle-ci étant dotée d’un câble permettant un transfert de données sur ordinateur. «Elle n’est pas prévue pour autre chose que de filmer ses poupées», réplique-t-on chez Mattel.

Certes, mais il arrive que le produit soit censuré, au-delà de l’utilisation qu’on en fera. Il y a deux ans environ, Logitech a lancé aux Etats-Unis un radio-réveil équipé d’une caméra quasiment invisible. La firme n’a pas eu le droit de le commercialiser en Suisse, au nom du respect de la vie privée. C’est que les juristes, sans doute, connaissent les penchants voyeurs des adultes. Les enfants, eux, sont déclarés innocents. Ils auront les mains pleines à Noël.

Caroline Stevan