Certains l’ignorent encore, mais quatre Suisses sur cinq vivent avec du mercure et d’autres substances toxiques dans la bouche. La faute à l’amalgame dentaire, ce vulgaire plombage gris. Ses jours sont toutefois comptés: l’Union européenne va enquêter sur les risques sanitaires provoqués par les amalgames. Douleurs, migraines, allergies: la liste serait longue, mais la question divise. Une interdiction pure et simple aurait des effets jusqu’en Suisse, même si ce plombage est de moins en moins utilisé.
Quatre Suisses sur cinq environ vivent avec du mercure et d'autres substances toxiques dans la bouche. Et certains l'ignorent encore. Les amalgames dentaires destinés à soigner les caries sont-ils pour autant un cocktail de métaux dangereux pour la santé? La question divise les médecins-dentistes et les chercheurs depuis une quinzaine d'années. Elle est à nouveau d'actualité: la Commission européenne va lancer ce printemps une étude sur ces fameux plombages gris.Bruxelles, qui entend par ailleurs cesser d'utiliser des produits contenant du mercure dans l'Union européenne, décidera l'an prochain du sort des amalgames sur la base des résultats. Une interdiction aurait des effets jusqu'en Suisse. «Si la loi devient restrictive, on devra s'adapter», avise le médecin-dentiste Philippe Rusca, président de la commission pour la politique de la santé au sein de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO).
Moins de caries
Quoi qu'il arrive, l'amalgame a fait son temps au sein de la dentisterie suisse après 150 ans de bons et loyaux services. Cet alliage à base de mercure est tombé en désuétude ou presque, depuis une vingtaine d'années. «L'amalgame est un modèle en fin de course», confirme le praticien fribourgeois qui l'utilise encore «occasionnellement pour les retouches».S'il est impossible de connaître l'évolution du nombre d'amalgames posés par année, Kaladent, la plus grande entreprise du pays pour les cabinets et les laboratoires dentaires, avance une tendance. «On n'en vend pratiquement plus. La plupart des cliniciens ont abandonné leur utilisation. A part peut-être ceux qui sont plus âgés», observe une collaboratrice de la société basée à Urdorf (ZH). Une page se tourne pour ce produit dentaire le plus utilisé au monde.La SSO recommande d'ailleurs à ses 5000 membres de passer à autre chose: les produits composites ou les obturations en céramique chimiquement inerte. D'autant que ces alternatives sont plus esthétiques que les vulgaires plombages gris. Autre raison de cet abandon progressif: le nombre de caries est en chute libre chez les adolescents et les jeunes adultes grâce à l'information et à la prévention. Certains médecins-dentistes ont déjà fait une croix dessus. Par principe de précaution. C'est le cas du Bernois Paul Engel, à Nidau, qui a abandonné cet alliage de mercure et autres métaux en 1994 déjà, pour des raisons de santé. «C'est une menace pour l'organisme», insiste-t-il. «Le goutte-à-goutte du mercure ne cesse jamais.»
Douleurs, migraines
La nocivité présumée de cet alliage est d'ailleurs pointée du doigt par d'autres praticiens, des patients et des associations. Ils réclament son interdiction pure et simple. Comme l'association française «Non au mercure dentaire» qui relève que «le mercure traverse le placenta, puisque l'on retrouve du mercure d'origine dentaire dans le cordon et dans les organes du fœtus». La SSO recommande d'ailleurs de «rester prudent avec les femmes enceintes et de ne pas poser d'amalgame chez les jeunes individus», selon Philippe Rusca. Le mercure des amalgames pourrait accroître le risque de maladies telles que la sclérose en plaques ou l'Alzheimer chez des patients prédisposés génétiquement. Autres réactions possibles de l'organisme: des allergies, douleurs musculaires, migraines...«Mais pour l'heure, nous n'avons pas encore eu connaissance de cas avérés de personnes intoxiquées par le mercure des amalgames», assure Christine Rauber-Lüthy. Médecin responsable de l'information au Centre suisse d'information toxicologique (Tox), à Zurich, elle relativise les risques: «Quand on pose un amalgame ou s'il ne tient plus très bien, cela peut créer une légère élévation du taux de mercure dans le sang. Mais pas au point d'augmenter le taux plasmatique et d'entraîner une intoxication au mercure.»Aux yeux de Philippe Rusca, les conséquences ne sont pas clairement établies. «Il n'y a jamais eu d'étude neutre qui ait vraiment prouvé la toxicité ou non de l'amalgame.» Tout comme le lien de causalité entre les maladies et cet alliage. L'une des dernières études en date préconise pourtant l'abandon progressif du mercure dentaire dans l'UE. Mandatée par la Commission européenne, la société Bio Intelligence Service (Biois) a publié ce rapport l'an passé. Les querelles d'experts sont loin d'être terminées...
Thierry JACOLET