Des centaines de tonnes de métaux lourds contaminent les abords des stands suisses. Leur assainissement coûtera près de 900 millions de francs aux autorités.
Lorsqu’un tireur amateur ou un citoyen-soldat appuie sur la gâchette, il n’imagine pas les conséquences environnementales de son acte. Une grande partie des balles qu’il envoie vers la cible finiront dans la terre, polluant ainsi les terrains avoisinants. Cette pollution sera surtout occasionnée par le plomb et l’antimoine (métal permettant de «durcir» le projectile) contenus dans les munitions. Des métaux lourds qui, une fois incrustés en terre, se dispersent et contaminent les plantes, puis les animaux qui les mangent (voir encadré).
Selon les estimations du Service de l’environnement du canton de Fribourg, particulièrement concerné avec près de 150 stands de tir, environ 90 millions de «coups» ont été tirés en 2007 dans l’ensemble de la Suisse, dans un peu plus de 2000 installations encore opérationnelles. Cela représente un dépôt annuel de 400 à 500 tonnes de plomb, et de 20 tonnes d’antimoine.
Alors que les Suisses s’apprêtent à se prononcer le 13 février sur l’initiative «Pour la protection face à la violence des armes», la question de ces nuisances indirectes mérite d’être abordée. D’autant que l’assainissement des sites concernés coûtera selon les prévisions de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) près de 900 millions de francs, et prendra près de 25 ans.
L’équation est simple: en vertu de l’Ordonnance sur les sites contaminés du 26 août 1998, la Suisse doit assainir environ 6000 stands de tir (en activité ou abandonnés), avec une moyenne de six cibles par stand, pour un coût par cible de 20 000 à 30 000 francs. «Cette somme de 900 millions est à mettre en perspective avec les 5 milliards de francs prévus sur la même période pour l’assainissement de tous les sites pollués du pays, notamment les décharges», relève Christiane Wermeille, de la section sites contaminés à l’OFEV. En résumé, la dépollution des stands de tir représente près d’un cinquième des dépenses totales de la Confédération en matière d’assainissement de sites contaminés.
La Confédération participe à ces frais par le biais d’un fonds spécial, l’OTAS (Ordonnance relative à la taxe pour l’assainissement des sites contaminés), alimenté lui-même par une taxe prélevée sur les déchets mis en décharge. Jusqu’à septembre 2009, cette subvention s’élevait à 40% des frais occasionnés, puis elle s’est établie à une somme forfaitaire de 8000 francs par cible. Les demandes formulées avant cette date bénéficient encore de l’ancien statut. «C’est pourquoi nous nous sommes empressés de réaliser les démarches nécessaires à temps», explique Patrice Jordan, syndic de Vaulruz (FR), commune qui a assaini cet automne son ancien stand de tir de 6 cibles, fermé depuis dix ans. Un assainissement qui a coûté 250 000 francs, dont 140 000 francs payés en taxes d’élimination et de recyclage.
«Les coûts d’assainissement ont tendance à augmenter», remarque Martin Kuhn, géologue au bureau Geotest, qui se consacre aux problèmes liés au sous-sol et à l’environnement. C’est notamment le cas pour les stands situés dans des zones reculées, où il est alors nécessaire de construire une route, spécifiquement pour évacuer les éléments excavés: à Vaulruz, cette dépense s’est chiffrée à 60 000 francs (soit plus du quart de la facture totale).
A l’avenir, il s’agit de mettre en place des cibles «zéro émission», c’est-àdire munies de caissons récupérant les projectiles (sortes de pare-balles artificiels coûtant entre 5000 et 6000 francs par cible). «La subvention de la Confédération ne sera versée pour l’assainissement des installations de tir que si aucun déchet n’a plus été déposé — donc qu’il n’y a plus eu de tirs dans le sol - après le 31 décembre 2012 dans le cas de sites situés dans une zone de protection des eaux souterraines et après le 31 décembre 2020 dans le cas des autres sites», résume Christiane Wermeille. Les communes ont donc deux possibilités: arrêter les tirs ou installer ces fameux pare-balles.
Dans le deuxième cas, un partage des tâches semble déjà s’être établi: «En général, les frais d’assainissement reviennent aux communes, alors que la pose des caissons est prise en charge par les sociétés de tir», observe Martin Kuhn, qui a participé à une quinzaine d’assainissements dans le canton de Fribourg.
Pour sa part, le Département fédéral de la défense (DDPS), relève participer à «une partie des nettoyages» dans le cas de tirs effectués par ses troupes en exercice, mais pas dans le cas des tirs obligatoires. «Les stands de tir et l’application de la législation sur les sites contaminés sont soumis à la souveraineté des cantons», dit le porte-parole Martin Bühler.
Au final, il revient donc aux communes d’assumer ces charges, puisqu’elles sont tenues par la loi de mettre à disposition de l’armée les infrastructures nécessaires à l’exercice des tirs. Elles disposent d’encore un peu de temps pour débuter les travaux, et le processus semble déjà bien entamé: à Fribourg une trentaine de stands (sur environ 150) sont déjà assainis.
En chiffres
L’assainissement total des stands de tir suisses coûtera entre 700 et 900 millions de francs.
Une balle contient en moyenne 5 grammes de plomb et 0,25 gramme d’antimoine.
Il faut excaver entre 150 et 200 tonnes de terre lors de l’assainissement d’un stand de tir.
La Suisse compte près de 6000 stands de tir, dont 2000 sont encore actifs. Le dépôt annuel de pollution s’élève à environ 400 tonnes de plomb, pour 20 tonnes d’antimoine.
90 millions de coups ont été tirés en Suisse en 2007.
La Fédération sportive suisse de tir compte 175 000 membres.
Eviter une contamination à long terme
«Le dispersement de la pollution des balles dépend de la nature des sols, souligne Martin Kuhn, du bureau Geotest. Sur des sols argileux, la pollution reste plus localisée que sur des sols sableux, où le déplacement des métaux lourds est plus important.» En fonction de l’humidité, le plomb et l’antimoine peuvent facilement se retrouver dans les plantes et donc être ingurgités par des animaux qui se trouvent à proximité d’un terrain de tir. La transmission est plus marquée dans le cas de moutons ou de chèvres, qui «tirent» l’herbe jusqu’à la racine, les vaches ayant plutôt tendance à l’arracher.
En surface, la contamination reste généralement limitée à la zone de tir. Des déplacements sont cependant possibles, «notamment lorsque la cible se trouve au-dessus d’un drain de captage des eaux souterraines et que l’on se trouve en présence de molasse», souligne Martin Kuhn.
Afin de prévenir les risques de contamination à long terme, l’assainissement se déroule en plusieurs phases. Il s’agit d’abord de déterminer la teneur en plomb et en antimoine autour de la butte en effectuant des mesures et des prélèvements sur un diamètre de 5 à 10 mètres et jusqu’à 1, 5 mètre de profondeur.
Il faut ensuite estimer les volumes à excaver, puis évacuer. En fonction de la teneur en plomb, ces volumes seront expédiés en décharge ou en recyclage. «Une balle tirée se désagrège très lentement une fois en terre», précise Martin Kuhn. Il n’est ainsi pas rare de découvrir des restes de balles datant d’il y a 50 ou 60 ans, époque à laquelle ont débuté en Suisse le gros des tirs. Point positif, mis en avant par l’OFEV (Office fédéral de l’environnement): depuis une vingtaine d’années, les balles deviennent plus légères et donc moins polluantes.
William Türler