Plus de 500 centrales nucléaires sont répertoriées dans le monde, dont une centaine sont déjà hors service. Leur déconstruction doit suivre une procédure complexe. Reportage à Grenoble, avec photos exclusives.
Bâties au confluent de l’Isère et du Drac à Grenoble, les installations nucléaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) se vident peu à peu de leur substantifique moelle. 250 personnes travaillent à déconstruire deux réacteurs nucléaires de faible puissance utilisés autrefois pour la recherche. Pas question d’entrer sur le site comme dans un moulin. Après les formalités d’usage (contrôle des passeports et badges), il faut s’équiper: casque, blouse et chaussons jetables. Chaque visiteur doit également porter sur lui deux appareils: une dosicard et un dosimètre. Le premier sert d’alarme: il sonne si la radioactivité immédiate est trop importante. Le second permet le suivi à plus long terme.
«Vous n’avez rien à craindre! L’impact des rejets radioactifs est extrêmement faible pour les travailleurs et inexistant pour les populations alentours», assure, chiffres à l’appui, Frédéric Tournebize, responsable du démantèlement à Grenoble. En 2008, les salariés du site ont reçu une dose de radioactivité annuelle de 0,136 milliSivert (mSv) en moyenne, avec un maximum de 3,8 mSv (la limite réglementaire pour les travailleurs s’élève à 20 mSv). Côté environnement, les mesures réalisées sur les rejets de gaz et de liquides ainsi que sur les sols environnants n’ont relevé aucun impact significatif. Avant de pénétrer dans le réacteur Siloé, il faut encore franchir une série de sas et de portiques. A l’intérieur, les travaux de déconstruction s’apparentent à ceux d’un chantier classique. Les bruits de marteaux piqueurs et autres pelleteuses assourdissent. La cuve qui abritait le cœur du réacteur a déjà disparu, laissant place à des murs décrépis ornés ici ou là de tuyaux et de câbles électriques.
Mais il reste encore des points chauds, où l’on ne peut pénétrer. Derrière des films de plastiques roses, on distingue des travailleurs aux allures de bibendum portant des masques à gaz. «Ces pièces sont placées en légère dépression afin d’éviter que des poussières ne s’échappent à l’extérieur», explique Philippe Charlety, chef de la radioprotection.
2000 m³ de déchets par an
«La construction du réacteur Siloé s’est achevée en 1963, raconte Frédéric Tournebize. C’était un réacteur expérimental de type piscine, c’est-à-dire que les réactions nucléaires se faisaient dans une cuve d’eau.» En 1997, les dernières réactions nucléaires s’achèvent. Siloé est mis à l’arrêt. Pas question d’envoyer des ouvriers dans les zones fortement irradiées lorsque les premières opérations de déconstruction débutent. A leur place, des robots commandés à distance œuvrent entre 2005 et 2007 dans l’eau de la piscine, afin de démonter le cœur du réacteur. Depuis, la cuve de la piscine a elle aussi été détruite et les ouvriers ont pris le relais des machines pour démanteler l’héritage nucléaire français.
Le démantèlement de ces réacteurs de recherche constitue un enjeu de taille. A l’heure où nombre de pays souhaitent relancer l’énergie nucléaire, «ce type de chantier nous permet de prouver que nous pouvons mettre correctement un terme à la première génération de centrales, explique Frédéric Tournebize. Nous sommes un peu un laboratoire, où nous mettons en place des processus de déconstruction. Les enseignements apportés par ce chantier bénéficieront aussi bien aux autres opérations de démontage qu’à la conception des futurs réacteurs nucléaires.»
A l’intérieur de Siloé, les déchets radioactifs s’accumulent. Avant de les sortir du réacteur, des employés mesurent la radioactivité de chaque sac à l’aide de compteurs Geiger. A l’extérieur, d’autres fûts et sacs de déchets sont entreposés sous tente et, pour les déchets de haute activité (HA), dans une salle dédiée. Sur la seule année 2008, la déconstruction des unités nucléaires du site de Grenoble a engendré la production de 2’000 m³ de déchets radioactifs. Au total, la Commission européenne estime que le déclassement d’une centrale «moyenne» en produit 10’000 m³. «Mais attention, prévient Frédéric Tournebize. Il ne faut pas comparer le démantèlement d’un réacteur comme Siloé, qui avait une puissance de seulement 35 mégawatts (MW), à celui d’une centrale classique qui atteint 900 MW.»
Dans tous les cas, une extrême majorité des déchets sont de très faible, faible ou moyenne activité (TFA, FA ou MA). Devant Siloé, des camions les évacuent vers les sites de stockage définitifs. Pour les déchets HA, la gestion s’avère plus complexe: pour le moment, il n’existe aucun site de stockage durable pour eux en France. Les autorités nucléaires mènent des études sur le stockage géologique. En attendant, les déchets HA de Grenoble sont évacués par convoi spécial vers un site d’entreposage temporaire à Cadarache, 200 km plus au sud.
Reste la question du financement. «Pour tous ses sites nucléaires, le CEA a constitué deux fonds consacrés au démantèlement, l’un civil (ndlr: 3,96 milliards d’euros en 2006), l’autre militaire (4,18 milliards d’euros), explique Jean-Claude Thieblemont, responsable des opérations de démantèlement du CEA. Pour le seul site de Grenoble, le devis s’élève à 240 millions d’euros.» Hors gestion des déchets.
L’enjeu financier n’a pas échappé aux entreprises du bâtiment. A Grenoble, si le CEA gère les opérations, ce sont des sociétés privées qui assurent le gros œuvre. Les blouses des ouvriers portent les logos Bouygues ou Sogedec. Quelques chiffres permettent d’apprécier l’étendue de l’enjeu commercial: plus de 500 centrales nucléaires sont répertoriées dans le monde, dont une centaine hors service. «Le démantèlement est un business qui va occuper les entreprises pour au moins un siècle», souligne Frédéric Tournebize.
Le chantier de Grenoble devrait s’achever en 2012, soit une durée totale de près de douze ans. «Nous sommes dans les temps», assure Frédéric Tournebize, en sortant de la zone contaminée. Après avoir enlevé sa blouse et ses chaussons, il vérifie qu’il n’est pas contaminé. Un portique mesure la radioactivité des mains et des pieds. Puis, chaque visiteur insère son dosimètre dans un appareil de lecture. Résultat? Après une journée passée sur le site de Grenoble, nous avons reçu une dose de 0,0003 mSv. A titre de comparaison, une simple radiographie pulmonaire délivre 0,3 mSv.
Certaines zones, particulièrement irradiées, sont bâchées et placées en légère dépression afin d’éviter que des poussières radioactives ne s’échappent
Avant de les sortir du chantier, une ouvrière mesure la radioactivité de chaque sac de déchets grâce à un compteur Geiger.
La contamination de chaque déchet est scrupuleusement notée.
Les déchets fortement radioactifs sont stockés dans des cuves de plomb.
Les déchets moyennement radioactifs sont confinés dans des fûts.
Avant de sortir du chantier, chaque employé doit vérifier s’il a été contaminé.
Melusine
Le réacteur Melusine est désormais totalement démantelé. Sur les murs, chaque marque correspond à une mesure de la radioactivité prouvant que le site n’est désormais plus contaminé.
Photos: Thierry Parel
Bertrand Beauté