Une radioactivité nous arrivant inoffensive et des abris antiatomiques qui se révèlent inutilisables: comment ne pas y voir la preuve que nous vivons bien dans un monde aussi irréel que parfait?
Des mesures inefficaces pour vaincre des menaces qui n’existent pas: à l’heure où le Japon flirte avec l’Apocalypse et où les printemps arabes n’en finissent pas de virer au rouge sang, la Suisse reste fidèle à sa réputation d’oasis hors du monde et du temps.
D’abord, la radioactivité d’origine nippone, dont on annonce l’arrivée chez nous des premières volutes — ou plutôt du panache radioactif, comme dit joliment Météosuissse — se révèle bien sûr totalement inoffensive.
Premièrement, parce que les poussières de Fukushima ne nous parviennent qu’en «quantités inférieures à celles que nous absorbons aujourd’hui, du fait des retombées d’essais nucléaires des années 1960 ou de Tchernobyl», explique ainsi l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Et puis, Cesium 137 et son frère de lait Iode 131 seront plutôt méchamment dilués après un si long voyage. 20′000 kilomètres d’errance dans l’atmosphère, ça vous éreinte même ces méchantes bêtes-là. Couché, Plutonium.
Les bonnes nouvelles, c’est connu, n’arrivent jamais seules. Pas de risque de se faire hara-kiri en avalant des salades japonaises. Car, quelle chance, l’activité agricole dans les zones irradiées est à peu près nulle: «Il n’y a plus d’eau et les champs sont couverts de neige». Quant au poisson, pas de sushi: «Les ports de pêches ont été dévastés». Tous en chœur, hip, hip, hip.
On a intérêt, en plus, à avaler tout cru ce mantra d’une radioactivité essoufflée, sans plus guère de nocivité. Dans le même temps en effet, comme l’a révélé à la presse dominicale le vice-président de la Fédération suisse de protection civile, Franco Giori, 50 % de nos fameux abris antiatomiques seraient inutilisables en cas d’urgence.
Pas seulement à cause du fatras inouï, hors grands crus, que vous et moi entassons dans ces bunkers. Mais aussi parce que souvent, les portes ne ferment plus et la ventilation a rendu l’âme. Notez que pour la ventilation, ce n’est pas bien grave: son principal effet serait d’amener de l’air frais mais contaminé à l’intérieur. D’ailleurs, en cas de nuage radioactif, se barricader dans une simple cave serait déjà bien suffisant, nous dit-on.
C’est un peu comme avec les minarets. Contre un péril largement fantasmé (qui peut croire à une Suisse transformée de force en califat ou en bastion d’Al-Qaida Rhodes-Intérieures?), on opte pour une mesure fantôme: voter une législation inapplicable.
On peut s’attendre à des initiatives populaires du même type, mais cette fois dirigées contre des bâtiments plus rondouillards: les centrales nucléaires. Des initiatives qui exigeront un arrêt immédiat et définitif.
Avec de bonnes chances d’aboutir, mais sans résoudre quoique ce soit, en tout cas pas l’approvisionnement énergétique futur de la Suisse. Autrement dit, un nouveau coup d’éclat législatif sans beaucoup de prise sur la réalité. De la même façon que dans les années 1960, on avait commencé de couvrir le pays d’abris antiatomiques aussi obligatoires qu’inutiles.
«Ils ont voté et puis après?» chantait Léo Ferré, dans les années 60 aussi. Après? Il semble que ce ne sont pas tant les lois et les gouvernants qui font avancer le monde. Mais plutôt les guerres, mais les révoltes, et parfois les désastres. Ainsi la zone d’exclusion de Tchernobyl, 30 kilomètres autour de la centrale, libérée donc de la bête humaine, est devenue en 25 ans une enclave bucolique à la biodiversité exceptionnellement riche.
Comme un jour, plus près d’ici, le réchauffement climatique pourrait bien purifier les cimes blanches de leurs encombrants maquereaux. L’occasion de citer un autre anarchiste, valaisan celui-là, feu l’écrivain Maurice Chappaz et son célèbre aphorisme: «Confiance dans la catastrophe».
Nicolas Martin