C'est en août prochain que l'on célébrera les vingt ans de la mort de Jean Tinguely, ce Fribourgeois qui compte parmi les grands artistes du XXe siècle. Et dont le Zurichois Thomas Thümena retrace le parcours dans un film dévoilé ce soir. Rencontre.
Retracer en moins de 90 minutes le parcours de Jean Tinguely (1925-1991), ce Fribourgeois qui compte parmi les artistes phares du XXe siècle: le pari était osé, Thomas Thümena l'a relevé. Et de fort belle manière, puisque son Tinguely - dont la première mondiale publique a lieu ce soir dans le cadre du FIFF - réussit le tour de force de résumer de manière synthétique la personnalité protéiforme de celui qui fut appelé le «roi des Suisses» - titre que lui a donné sa dernière épouse, Niki de Saint Phalle.Le documentaire n'oublie aucune étape essentielle de la vie de «Jeannot»: son mariage avec Eva Aeppli, leur départ pour Paris, la renommée internationale conquise à l'aide d'une machine autodestructrice présentée au MoMa de New York en 1960, l'aventure lausannoise d'Eurêka, monumentale machine présentée dans le cadre de l'Expo nationale de 1964, celle parisienne du Cyclop, sans oublier sa relation à la fois fusionnelle et houleuse avec Niki de Saint Phalle, parsemée de maîtresses et de deux enfants nés hors mariage - il avait déjà une fille, née de son union avec Eva Aeppli. Pour Thomas Thümena, le Fribourgeois était «un pionnier, tant dans sa vie artistique et son fonctionnement en tant qu'être humain».
On vous a découvert en 2004 avec Ma famille africaine, documentaire autobiographique en compétition au FIFF, on vous retrouve avec un film radicalement différent, un portrait d'artiste en partie réalisé à l'aide d'archives.
Comment est né ce projet: d'une envie personnelle, d'une commande?
Thomas Thümena: En 2005, la société Hugofilm, que j'ai créée avec Christian Davi et Christof Neracher, a produit un film sur Jo Siffert. On nous a alors dit qu'il y avait un autre Fribourgeois fameux qui attendait son monument cinématographique: Jean Tinguely. Christian (producteur qui est cette année membre du jury international du FIFF, ndlr) m'a alors demandé si je serais partant. Au départ, j'étais sceptique, étant donné que les souvenirs que j'avais de Tinguely se résumaient, pour être honnête, à une image assez floue d'un vieillard faisant le clown. Mais la curiosité l'a finalement emporté et, en découvrant sa vie, j'ai finalement compris toute la fascination qu'un homme comme lui a pu exercer sur ses contemporains.
Avez-vous commencé par appréhender le personnage en consultant des archives?
Non, c'est l'ancienne directrice du Musée Tinguely de Bâle Margrit Hahnloser, qui vivait alors à Fribourg et est maintenant à Zurich, qui m'a permis d'entrer dans le monde de Tinguely, qu'elle a connu personnellement. Le film fonctionne d'ailleurs grâce aux gens qui ont connu Tinguely et qui ont pu me raconter une tranche de sa vie. Ce n'est que plus tard que je me suis penché sur les livres et les biographies, tout en sachant que mon but était de faire un film et non une étude scientifique.
Vous laissez également une large place aux images d'archives. Leur sélection a-t-elle été difficile?
Je suis parti de l'idée que la vie de Tinguely était répartie en plusieurs cercles qui ne se mêlaient pas: le cercle de la famille, le cercle des amis, le cercle de la formule 1 ou encore le cercle artistique. A ce qu'on m'a dit, il a toujours essayé de dissocier ces cercles, ce qui m'a donné l'idée de montrer le personnage sous des perspectives différentes.
Raconter la vie de Tinguely de manière chronologique était une évidence ou une solution de facilité face à la masse d'informations à disposition?
C'était une évidence, car lorsque l'on est face à une vie qui fait sens si on la met en parallèle avec l'oeuvre, ce serait trahir le sujet que de commencer à rompre la chronologie. C'était important de montrer dans l'ordre la jeunesse, la réussite, l'âge mûr, la gloire et la fin de vie. D'autant plus que le sujet principal du film n'est pas l'art, mais l'homme qui a été en opposition avec son temps avant d'être porté aux nues sur la scène internationale puis nationale.
Tinguely se disait volontiers anarchiste, ce qu'il aura été tant dans sa démarche artistique que dans sa vie privée, notamment en ce qui concerne les femmes...
Mais malgré cela, il avait un don, celui de nous donner envie d'être son ami. Même si ce n'était sûrement pas facile de l'avoir comme ami, et Daniel Spoerri en témoigne... Il exerçait une réelle fascination. En ce qui concerne ses rapports avec la famille, l'impossibilité pour lui de lier vie de famille et sa carrière professionnelle, tout cela résonne de manière étrange aujourd'hui. Il a vécu ce que beaucoup de gens vivent aujourd'hui. Cette légende d'un artiste confronté à des turbulences humaines lui donne d'ailleurs quelque chose de véritablement charnel.
Le film est scandé par une magnifique bande originale du trio de jazz Rusconi. Parce que le jazz, une musique libre et aventureuse qui aime la déconstruction, peut être une métaphore de l'oeuvre de Tinguely?
J'ai demandé à ses amis quel genre de musique il écoutait. Et souvent, ils me disaient qu'il aimait bien le jazz. Alors que j'avais peur de trouver une musique, ça a été merveilleux de voir que celle de Rusconi colle parfaitement. Sans trop intervenir, elle apporte une fraîcheur au milieu de toute la poussière qu'il y a dans les images d'archives.
Stéphane GOBBO