La nouvelle avait provoqué une profonde consternation. Dans un arrêt du 22 novembre 2023, le Tribunal fédéral estimait que la «durée relativement courte» d’un viol constituait un argument plaidant en faveur d’une diminution de la peine infligée au prévenu. L’incompréhension fut totale. Atténuer la peine pour cause brièveté de l’acte revenait à relativiser l’épreuve subie par la victime. C’était presque lui dire qu’elle s’en tirait bien dans la mesure où l’agresseur n’avait pas été long.
Scandalisée par cette décision, j’ai choisi de déposer une initiative parlementaire à Berne visant à ce que «la culpabilité de l’auteur s’apprécie sans égard à la durée de la contrainte subie, celle-ci pouvant cependant en tout état réaliser la circonstance aggravante de la cruauté». Le Conseil national a choisi de donner suite tandis que le Conseil des Etats a pris la décision inverse le 27 juin dernier, considérant que le but était atteint au vu d’un arrêt du Tribunal fédéral du 18 septembre 2024 par lequel l’instance judiciaire suprême clarifie sa position.
Le Tribunal fédéral statue
Le Tribunal fédéral écrit notamment ceci: «La désignation de 'viol de courte durée' constitue un non-sens, tant l'atteinte au bien juridique protégé est consommée dès les premiers instants de l'acte sexuel. Sous l'angle de la culpabilité, on ne saurait récompenser l'auteur d'un viol en fonction de la durée de son activité criminelle. En aucun cas la durée 'relativement courte' d'un viol ne saurait être érigée en facteur atténuant (…) En revanche, rien n'empêche de prendre en compte la durée de l'activité criminelle dans un sens aggravant de la culpabilité dans la mesure où son prolongement dans le temps est susceptible de correspondre au déploiement d'une énergie criminelle d'autant plus conséquente.»
C’est rassurant. Le Tribunal fédéral considère que la durée de l’acte ne peut être prise en compte que lorsqu’elle témoigne d’un acharnement particulier, ce qui constitue un facteur aggravant. C’est un message positif adressé aux victimes qu’on reconnait en tant que telles sans relativiser l’agression sous prétexte que l’acte aurait été bref. Tout comme le Conseil des Etats, je considère que le but est atteint et suis satisfaite des précisions apportées par le Tribunal fédéral.
Indignation générale, marche et bouquets de fleurs, et puis?
La satisfaction éprouvée a malheureusement bien vite été estompée par une terrible nouvelle. Samedi 5 juillet dernier, nous apprenions qu’une femme et son bébé de six semaines étaient morts sous les coups de couteau infligés par le mari et père. La longue liste de féminicides commis depuis le début de l’année comptait ainsi dix-neuf cas. Avec l’habitude, les réactions sont bien rodées; indignation générale, plus jamais ça, nous allons prendre des mesures, marche et bouquets de fleurs en mémoire des victimes, déclarations indignées de quelques féministes. Puis plus rien.
Aucun numéro d’urgence dédié aux violences de genre à l’horizon. Les places en foyers d’accueil sont notoirement insuffisantes quel que soit le canton concerné tandis qu’on forme timidement les professionnels de la santé à identifier les victimes souvent réticentes à dénoncer leur bourreau. Les autorités prennent leur temps tandis que le compteur tourne. Tandis que des femmes meurent.
Au Conseil fédéral, on traîne les pieds
En Espagne, depuis plus de quinze ans, on fait largement usage du bracelet électronique avec surveillance active. Le succès est éclatant, on ne déplore pratiquement plus le moindre féminicide au cours depuis l’entrée en vigueur du dispositif. En 2009, le Conseil fédéral a été invité à déployer ce système de protection dont l’efficacité est largement prouvée. Rien n’est fait malgré plusieurs rappels au fil des années. A Berne, les choses prennent du temps.
On étudie, on lance des phases test ici ou là, on se demande si ce qui prévaut en Espagne est réellement possible en Suisse. En clair, on traine les pieds. Et cela risque de durer. Le conseiller fédéral Beat Jans revient de Madrid où il s’est rendu pour s’inspirer de la façon dont les autorités procèdent. Il espère être en mesure d’établir un bilan des projets pilotes cantonaux dans le courant de l’année prochaine. Il faudra ensuite étudier ce bilan et éventuellement en tirer certaines conclusions pouvant possiblement déboucher sur des décisions politiques. Quand, mais quand les choses bougeront-elles enfin?
Céline Amaudruz