Notre monde est en crise, déboussolé... Le répéter à Pâques, avec des exemples vécus en Egypte, n'apporterait rien de neuf: vous êtes aussi bien informés que nous sur le Printemps arabe
En fait, la crise d'aujourd'hui a des aspects communs, chez nous comme chez vous: c'est une crise de sens de la vie, des valeurs. Tout se passe comme si la parole des hommes se mettait à tourner à vide sur elle-même, toupie affolée, saturant les ondes et dévorant le papier.Le coeur assoiffé, nous faisons route avec les disciples d'Emmaüs, avec les femmes et les apôtres accourus au tombeau, et trouvé vide! Mais Pâques a la puissance d'insuffler courage et optimisme dans nos coeurs, lourds d'incertitudes, de peurs et de questions. Ce matin-là, celui qui connaît le mieux l'homme a fait un acte de foi en l'homme. Et depuis ce matin-là, comme le suggère l'évangéliste Luc, «nos coeurs ne sont-ils pas tout brûlants au-dedans de nous, quand il nous parle en chemin et qu'il nous explique les Ecritures?»
Depuis que Jésus ressuscité me précède dans le coeur de chaque personne rencontrée, quelle que soit sa religion, je ressens quelque chose de commun avec elle. Mais entrer en communion impose un coeur d'enfant, seul capable de reconnaître Jésus ressuscité, aujourd'hui! Pour cela, prenons le temps de nous libérer du souci d'«avoir plus» pour «être davantage». Aimons sans limites, car l'amour est inventif, créateur, contagieux...
Quand fait-il Pâques dans mon coeur? Le maître demande à son disciple:
- Quand commence le jour et finit la nuit?
- A l'aurore du matin...
- Non, dit le maître.
- Mais alors, comment le savoir?
- Face à un homme, si tu vois en lui un frère, il fait jour en toi. La nuit est terminée. Mais si tu vois en lui un étranger, il fait nuit dans ton coeur et le jour n'est pas encore levé.
En communion avec vous, faisant route avec Jésus ressuscité, nous écoutons les battements de son coeur dans le coeur de tous nos frères et soeurs, dans le quotidien incertain de nos vies, là où sa Providence nous a semés.Saintes Fêtes de Pâques 2011!
«J'en appelle à la révolution d'amour»
Le Père Joseph-Marie Grzesik, qui vit depuis 62 ans sur les rives du Nil, croit en l'avenir démocratique de l'Egypte. A l'occasion des fêtes de Pâques, il nous livre son vibrant témoignage.
«Nous devons faire en Egypte une révolution d'amour. Dans nos paroisses, dans nos diocèses, dans nos mosquées, à l'Université coranique al-Azhar, en politique, partout dans le coeur des gens. Il importe de parler avec le coeur, de revenir au Dieu Amour. On n'a plus besoin de murailles, on en a assez. Plutôt que de crier de toutes nos forces «Dieu est le plus grand», on devrait s'exclamer «Dieu est amour!»Malgré ses 86 ans, le Père Joseph-Marie Grzesik a le ton vif, l'oeil pétillant. Il nous accueille dans le salon de son petit appartement d'Assiout, ville de Haute-Egypte à forte présence copte, située à 380 km au sud du Caire. De sa fenêtre, le 11 février dernier, il a vu passer 3000 personnes qui manifestaient pour le départ de Hosni Moubarak. Au même moment, la télévision annonçait l'abdication du président égyptien. «J'ai reçu alors un appel d'une vieille connaissance de Bourg-Saint-Maurice. Je me suis mis à pleurer de joie comme un enfant. Elle a dû attendre que je me calme au téléphone. Je lui ai expliqué que quelque chose de grandiose venait de se passer. Coptes et musulmans portaient ensemble le drapeau égyptien!»Même émotion le 19 mars, lors du référendum constitutionnel. «Toute la journée, de 7 h à 18 h, des familles entières ont fait la queue pour aller voter. C'était la première fois en 62 ans que je voyais pareil spectacle. Avant, il y avait bien des votations, mais elles étaient truquées. Cette fois, peu importait le résultat. Le miracle, c'est que toute l'Egypte bougeait, comme une sorte d'interpellation nationale.»
Fraternité des jeunes
D'origine polonaise, mais nationalisé égyptien, le Père Joseph-Marie voit désormais son pays renaître: «Avant, les Egyptiens étaient écrasés par les pachas, par Nasser, par Sadate, par Moubarak... Maintenant les jeunes de la place Tahrir chantent main dans la main, musulmans et chrétiens. Ils ont repris conscience que nous sommes tous uns, que sur cette base, nous pouvons construire l'avenir. Ils ont vécu la fraternité universelle. On est un seul peuple! Mais la révolution prendra du temps. Car nous avons 40% d'analphabètes dans le pays. Et les gens sont encore pétrifiés par la religion, qu'ils soient musulmans ou chrétiens.»«La religion, quelle qu'elle soit, ne devrait pas nous obnubiler. Nous n'avons pas à affirmer la différence entre musulmans et chrétiens», ajoute le Père, qui a été directeur d'un collège catholique au Caire avant de fonder l'Institut des catéchistes à Assiout, rayonnant pendant 40 ans sur toute la Haute-Egypte. «Trop souvent, en Egypte, la religion prétend avoir réponse à tout: c'est une religion de l'absolu. Il fau-drait se garder des sermons, du bourrage de crâne, des simplifications dans la presse, et s'ouvrir aux autres cultures.
Malheureusement, pour l'instant, trop de religieux ne vivent pas à l'unisson du pays. Souvent mal formés, peu ouverts au monde, ils ne nouent pas d'amitiés avec les autres confessions, ne connaissent pas personnellement les habitants de leur quartier. C'est très grave, de s'ignorer mutuellement!»«Autrefois, rappelle-t-il, les gens se parlaient, se respectaient. On se rendait visite entre communautés religieuses pendant les jeûnes des musulmans et des chrétiens. Chaque village, chaque quartier, fonctionnait en communauté de vie, avec sa mosquée et son église. Mais à partir des années 1960, avec l'électrification, avec l'arrivée de la télévision et la mise en valeur du mode de vie occidental, avec l'installation de haut-parleurs sur les minarets - alors qu'il n'y avait rien de plus beau que la voix humaine pour l'appel à la prière -, les relations se sont peu à peu dégradées entre musulmans et chrétiens.»
Processus d'ouverture
Aujourd'hui, grâce à la révolution, un «processus d'ouverture et d'écoute» s'est engagé. «Nous sommes à l'époque de facebook et d'internet, des médias que l'on ne peut plus contrôler. C'est un choc terrible pour les gens à l'esprit ficelé, bourrés de phrases toutes prêtes, donnant réponse à tout. Un choc pour tous ces cheikhs, imams ou prêtres coptes qui ont évité la place Tahrir. Et pour le patriarche orthodoxe Shenouda, qui n'a pas vu le vent tourner. Il aurait mieux fait d'imiter Jean-Paul II, notre pape polonais qui a voyagé dans 112 pays, baisant la terre à genoux. Heureusement, il y a en Egypte des hommes cultivés, ouverts au monde, prêts à répondre à l'appel de la jeunesse.»Le Père Joseph-Marie plaide pour un Etat laïc: «L'Egypte est un des rares pays qui inscrive encore la religion sur la carte d'identité, sur l'acte de naissance, sur le carnet de santé et de vaccination, sur les demandes de permis de conduire. Il faut sortir des ghettos! Je m'oppose aux Frères musulmans qui veulent laisser l'inscription de l'islam dans la nouvelle Constitution. Nous croyons en Dieu, très bien, et nous l'affirmons tous. Mais il ne faut pas de référence à l'islam. Dans les traités de l'Union européenne, par exemple, il n'est pas question de christianisme, mais uniquement d'héritages culturels, religieux et humanistes.»
Minorité méprisée
«Ici, nous sommes tous les enfants du même Dieu», souligne encore le Père copte catholique. Pourtant, regrette-t-il, les chrétiens, au nombre de 13 millions en Egypte, sont souvent considérés comme des citoyens de seconde zone et méprisés. «Un jour, raconte-t-il, la nièce de notre évêque, au bénéfice d'un doctorat, a postulé pour obtenir une place de professeur à l'université. Une musulmane, avec pratiquement les mêmes qualifications, s'est présentée pour le même emploi. Pour que les gens ne se plaignent pas de discrimination, on a supprimé le poste...»Malgré l'élan de fraternité des jeunes de la révolution, l'évolution des mentalités risque bien de traîner. «Imaginez! Il faudra même refaire les manuels scolaires! Dans les livres d'école, l'histoire de l'Egypte ne commence qu'avec l'arrivée des musulmans. Les chrétiens «coptes» - ce qui signifie pourtant littéralement «égyptiens» - ne sont mentionnés que sur deux ou trois pages! Et les cheikhs se gardent bien d'en parler dans leurs prêches du vendredi.»Pareilles mutations se feront lentement, le Père Joseph-Marie en est bien conscient. «Je suis très optimiste de nature, sans être ni idéaliste, ni idiot. On va y arriver tout doucement. Cela prendra dix ans, quinze ans, une génération. Mais j'ai confiance. J'aime mon pays. Aujourd'hui, je me sens un coeur de vingt ans!»
PERE JOSEPH-MARIE
Le Père Joseph-Marie Grzesik, 86 ans, est prêtre catholique à Assiout, ville de Haute-Egypte à forte présence copte