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vendredi 10 juin 2011

Les Suisses surexposés au cancer de la peau

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A force de voyager au soleil et de grimper à la montagne, les Helvètes subissent l'attaque des rayons UV. Le pays est le champion d'Europe des mélanomes.

C’est une statistique préoccupante qui apparaît en même temps que le retour des beaux jours: la Suisse figure en tête de liste des pays européens en matière de cancer de la peau. L’Office fédéral de la statistique (OFS) dénombrait récemment 22 cas de mélanome par année pour 100′000 habitants, soit environ 1900 cas pour 276 décès annuels. Au niveau mondial, seules l’Australie et la Nouvelle-Zélande enregistrent une incidence plus élevée. Plus grave: les risques de développer cette maladie ne cessent d’augmenter et auraient plus que doublé depuis vingt-cinq ans.

Comment expliquer pareille progression? Les organismes de prévention mettent en avant un certain mode de vie helvétique associant «richesse et loisirs»: vacances fréquentes en été en Méditerranée, puis en hiver dans des pays tropicaux, longues expositions au soleil durant le week-end, etc. Les séjours en montagne jouent aussi un rôle important: «L’intensité des rayons solaires augmente de 10% tous les 1000 mètres», souligne Beat Gerber, physicien en charge des radiations optiques à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

L’utilisation particulièrement marquée des solariums est également en cause: près d’une Suissesse sur deux et plus d’un Suisse sur quatre ont déjà utilisé ces appareils selon l’OFSP, alors qu’un dixième de la population, notamment les plus jeunes, s’y expose régulièrement. «On devrait considérer qu’il s’agit là d’une activité cancérigène, au même titre que fumer», estime Jean-Philippe Cerottini, dermatologue coresponsable de la consultation multidisciplinaire du mélanome au CHUV. Le fait de fréquenter une fois par semaine un solarium double selon lui le risque de développer les phases préliminaires d’un cancer de la peau. «Les tubes à UVA utilisés ont un fort pouvoir vieillissant sur la peau. De plus, il n’existe aucune réglementation. La durée d’exposition ne veut donc rien dire: quinze minutes avec un tube neuf ou vieux, ce n’est pas du tout la même chose.»

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) relève pour sa part que les personnes ayant commencé à utiliser des solariums avant l’âge de 35 ans voient leur risque de développer un mélanome augmenter de 75%. L’utilisation des solariums serait responsable des trois quarts des cas chez les 18-29 ans. «A priori, 16% des mélanomes pourraient être évités si l’on bannissait les jeunes des solariums», relève Jean-Philippe Cerottini.

Il est illusoire d’imaginer que les gens arrêteront de profiter des belles journées en été. Mais un comportement «sensé» s’impose selon le médecin. A savoir: éviter les tubes à bronzage et les coups de soleil, préférer l’ombre au soleil entre 11 heures et 15 heures, porter idéalement un chapeau, des lunettes ou des habits protecteurs et mettre de la crème solaire. Il rappelle que les enfants de moins de 1 an doivent être maintenus à l’ombre et recommande de faire contrôler régulièrement ses grains de beauté — notamment dans le dos par son entourage — et de consulter au moindre doute.

Contrairement à une idée reçue, l’absence de coup de soleil ne signifie pas l’absence de tout risque. «La dose cumulée est également importante», souligne Jean-Philippe Cerottini. La relation entre l’exposition solaire et le risque de mélanome se modifie au cours d’une vie: la surexposition dans l’enfance, avant la puberté, augmente les risques de développer un mélanome à l’âge adulte. L’aptitude ou non à bronzer, ainsi que les variations d’intensité d’exposition permettent ensuite à certains de rester plus ou moins protégés. Le risque reste maximal chez les personnes au teint clair, qui bronzent peu ou pas du tout et qui sont sujettes aux coups de soleil: «Des études ont révélé l’existence d’un lien entre les enfants au teint clair et rousselé et l’apparition d’un mélanome malin à l’âge adulte», rappelle le dermatologue. Le facteur de prédisposition génétique serait pour sa part de l’ordre de 10%.

On parle ainsi parfois d’un capital de soleil que la peau peut «accepter» au cours d’une vie. Variable selon chaque individu, il permettrait de lutter contre une quantité déterminée d’UV, mais ne peut être renouvelé: une fois épuisé, les cellules endommagées ne peuvent plus être réparées et le risque de développer des cancers de la peau augmente.

En ce qui concerne le traitement, enfin, il est primordial de procéder le plus tôt possible. Il faut savoir que l’opération laisse d’inévitables traces: après avoir enlevé la tumeur, on doit retirer une marge de peau de sécurité supplémentaire, ce qui peut impliquer une cicatrice de 10 à 20 centimètres de long. En cas de mélanome avec métastase, aucun médicament miracle n’existe pour l’instant. Mais un espoir pointe à l’horizon pour les personnes atteintes: «Deux nouvelles molécules semblent prometteuses, au moins pour retarder l’échéance», souligne Jean-Philippe Cerottini. Des études présentées lors de la 47e Conférence annuelle de l’American Society of Oncology, qui a eu lieu au début de juin à Chicago, viennent d’ailleurs de mettre en avant d’importantes avancées dans le traitement du mélanome métastasé.

Les bons gestes



Attention aux indices élevés

Bien appliquée et en quantité suffisante, une crème solaire réduit, mais ne permettra pas de bloquer complètement la quantité d’UVB et d’UVA qui va atteindre la peau. «Il faut savoir que la protection augmente peu entre un indice 20 et un indice 50, par contre elle chute très rapidement en dessous de 20, note Jean-Philippe Cerottini. Mettre durant ses vacances un 30, puis un 20 et un 10 est donc une aberration totale.» Le temps que l’on peut rester au soleil sans protection avant un coup de soleil dépend du type de peau: en théorie, l’indice permet de multiplier ce temps par le facteur de protection (une personne qui attrape un coup de soleil après 10 minutes, reste protégée durant 200 minutes avec un indice 20). «Il s’agit d’une méthode relative, précise le médecin. Après ces 200 minutes, il ne devrait plus y avoir d’exposition durant la journée…»

Autre paramètre à prendre en compte: l’utilisation de crème solaire pour les sujets sans capacité de bronzage peut augmenter leur risque, car elle permet de prolonger leur exposition en supprimant le coup de soleil, «véritable sonnette d’alarme», rappelle Jean-Philippe Cerottini. Chez les personnes ayant acquis un bronzage, le danger peut également augmenter avec la durée d’exposition en raison d’une «fausse impression de sécurité», due à l’absence de coups de soleil.

Les signes pour consulter

Les signes alarmants comprennent toutes les lésions, plaies ou parties de la peau qui ne cicatrisent pas dans un délai raisonnable. Il faut aussi surveiller de près toutes les lésions pigmentées dont la taille, la couleur ou la forme évoluent. «Contrairement à ce que les gens pensent, on ne sent quasiment jamais la transformation en un mélanome», explique le dermatologue Jean-Philippe Cerottini.

Dès le moindre signe cutané suspect, il est recommandé de consulter un médecin plutôt que d’attendre que le problème devienne irrémédiable. Environ 80% des mélanomes apparaissent de manière spontanée, seuls 20% des cas surviennent sur un grain de beauté existant. Ils peuvent se retrouver sur toute la surface corporelle (on les rencontre plus fréquemment sur le dos pour les hommes et sur les jambes pour les femmes).

Les comportements à risque

Exposition intermittente et intensive au soleil ou au solarium, notamment lorsque celui-ci est utilisé avec l’illusion d’un «prébronzage» avant un départ en vacances.

Coups de soleil dans l’enfance.

Une exposition brutale après des mois sans soleil. Une exposition modérée et fréquente n’a aucun effet protecteur.

A noter que les mélanomes peuvent survenir tout au long de la vie et les premiers cas dès l’adolescence.


William Türler