L’ancien industriel est mort hier à l’âge de 87 ans. Il avait fait de Vibro-Meter un fleuron de l’économie fribourgeoise. En 2007, il avait en outre offert la somme fabuleuse de 110 mio de francs à l’Université.
Ce regard qui voyait toujours plus loin a fini par se voiler. Adolphe Merkle est décédé hier des suites d’une longue maladie à l’âge de 87 ans. Le canton de Fribourg perd ainsi un grand capitaine d’industrie qui a fait de Vibro-Meter, à Villars-sur-Glâne (aujourd’hui rebaptisée Meggitt) une entreprise de renommée mondiale. Il pleure aussi le mécène qui a offert, depuis 2007, 110 millions de francs à l’Université de Fribourg pour lui permettre de développer, entre autres, un ambitieux pôle de compétence dans le domaine des nanotechnologies.«Donner en retour»
Homme de nature discrète, Adolphe Merkle n’en aura pas moins marqué l’histoire récente du canton. Son canton. «Je suis né dans le canton de Fribourg, j’ai étudié à l’Université de Fribourg, j’ai développé Vibro-Meter à Fribourg, je suis enraciné à Fribourg», confiait-il à «La Liberté» en novembre 2007 pour justifier son incroyable donation, la plus importante jamais offerte à une université suisse. Un cadeau conçu comme une manière de «donner quelque chose en retour» aux Fribourgeois et qui visait à faire entrer le canton dans une nouvelle ère: «Il faut des idées innovantes pour créer de nouvelles affaires. A mon sens, c’est une priorité pour Fribourg de se profiler dans des domaines porteurs. L’objectif global est d’améliorer la compétitivité économique du canton.»Depuis sa chambre de l’Hôpital cantonal, Adolphe Merkle suivait de très près le développement de l’institut qui porte son nom. Celui-ci est aujourd’hui logé dans les anciens locaux d’Ilford, à Marly, mais doit emménager dans l’ancienne clinique Garcia, au fond de Pérolles, à la fin 2013. Il emploie actuellement 55 personnes. Sitôt qu’il aura atteint sa pleine mesure, il devrait regrouper 120 chercheurs.
L’ami de Jo Siffert
Avant de jouer au mécène providentiel, c’est en industriel que le natif de Guin établi à Greng a imposé sa patte. Jeune docteur en économie de l’Université de Fribourg, il se lance à 27 ans en indépendant dans l’immobilier, faute de trouver un emploi plus intéressant. Il découvre alors une entreprise baptisée VibroMeter, qu’il contribue à tirer d’une passe financière délicate.Devenu directeur et actionnaire unique, il utilise l’électronique pour développer des systèmes de mesure des vibrations. Fiat, VW et Volvo, pour ne citer qu’eux, en équipent leurs voitures. Porsche aussi – écurie prestigieuse avec laquelle Adolphe Merkle est entré en contact grâce à Jo Siffert, devenu son ami après avoir travaillé à l’aménagement d’un véhicule de démonstration de Vibro-Meter.
La tête dans les étoiles
Dans les années 1960, la firme de Villars-sur-Glâne décolle – au propre et au figuré. Elle se lance dans les instruments de mesure à l’attention de l’aviation. Swissair, Boeing, Airbus, entre autres, figureront au rang de ses clients. En 1990, Vibro-Meter embarque même dans la fusée Ariane 5 pour prendre part à l’aventure spatiale.Un an plus tard, Adolphe Merkle juge le moment venu de s’appuyer sur un investisseur puissant, le groupe suisse Electrowatt, alors propriété du Credit Suisse, pour assurer la pérennité de son entreprise. Il passe définitivement la main en 1998, après le rachat de Vibro-Meter par un groupe britannique. Industriel visionnaire, Adolphe Merkle laisse le souvenir d’un patron attentif à ses employés. Pour les dix ans de Vibro-Meter, il leur offre un week-end à Athènes. Il crée aussi une cantine pour le personnel, ainsi qu’une caisse de pension d’entreprise, sans que la loi l’y oblige.
Pour l’ensemble de son œuvre, l’Université de Fribourg décerne sur le tard à son ancien étudiant en économie un doctorat honoris causa (2003). Signe de gratitude? Adolphe Merkle alloue un premier don de 4 millions à la Faculté des sciences. La «niaque» des chercheurs fribourgeois le convainc de léguer la somme fabuleuse de 100 millions, à laquelle il a ajouté depuis 10 millions pour la transformation de la clinique Garcia. Il faut dire qu’il n’avait pas d’héritier. Avec son épouse Simone, il avait eu le malheur de perdre son fils, tué sur la route à l’âge de 19 ans. I
VERBATIM
Isabelle Chassot
Conseillère d’Etat, directrice de l’Instruction publique.«Je suis très touchée par le décès de M. Merkle. Je savais que sa santé déclinait. Il s'est montré très courageux dans sa maladie. Le canton de Fribourg a perdu une personnalité remarquable, un visionnaire qui s'est toujours battu pour ce canton de Fribourg qu'il aimait tant. Il a été l'une des chevilles ouvrières du développement économique de Fribourg. Il a été un chef d'entreprise exemplaire, défendant envers et contre tout les places de travail et ses employés. Sa donation a été le moteur du développement de l'Institut des nanotechnologies qui enregistre déjà de très grands succès. Ce qui est sûr, c'est que nous poursuivrons sur le chemin qu'Adolphe Merkle a tracé.»
Joseph Deiss
Ancien conseiller fédéral, président du conseil de la Fondation Adolphe Merkle.«Fribourg perd tout d’abord un entrepreneur pionnier de la technique. Le canton voit disparaître aussi un docteur de la faculté des sciences économiques de l’Uni de Fribourg dont il était un des plus fervents supporters. Enfin, s’éteint le père fondateur de la Fondation Adolphe Merkle. Est né de cette fondation l’Institut Adolphe Merkle (AMI) actif dans une discipline de pointe, les nanotechnologies. Avec rigueur, il en a suivi le développement. Et il y a quelques semaines, il a pu voir que son directeur, le professeur Christoph Weder, a décroché une première distinction, remise par le Conseil européen de la recherche.»
Guido Vergauwen
Recteur de l’Université de Fribourg.«Les fonds considérables que M. Merkle a mis à notre disposition nous ont permis de lancer deux projets très importants pour Fribourg: l’Institut Merkle pour les nanotechnologies ainsi que le centre national de compétence du plurilinguisme. J’ai appris à le connaître en lui rendant souvent visite chez lui à Greng, puis plus tard dans sa chambre d’hôpital. C’était quelqu’un de très présent intellectuellement. Malgré la maladie et sa grande faiblesse, il n’avait jamais perdu son intérêt pour l’entreprise qu’il avait créée. C’était un homme avec une formidable volonté, qui, comme la plupart des chefs d’entreprise, n’aimait pas être contredit.»
Fribourg perd son généreux mécène
Adolphe Merkle
Egger Ph.
La Liberté.ch