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vendredi 10 février 2012

Ils ramassent les poubelles de Fribourg

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A la fin de leur tournée, Alain Montavon (à gauche) et Vincenzo Amore se débarrassent de leur récolte dans le décor dantesque de l’usine d’incinération de Châtillon.




Projetés dans la lucarne télévisuelle grâce à la série «CROM», les éboueurs font un métier souventpeu considéré. Mais à quoi ressemblerait la ville de Fribourg sans sa voirie? Reportage par moins dix degrés.

«Parfois, on voit des chamois par ici», sourit Romain Julmy en désignant une pente gelée de la vallée du Gottéron. Voilà plus de vingt ans qu’il conduit son camion-poubelle à travers les rues de Fribourg, dont il connaît chaque recoin au point d’arriver à se faufiler dans des passages qui feraient renâcler un conducteur de Smart. Agrippés à l’arrière du véhicule, Vincenzo Amore et Alain Montavon sont ses équipiers en ce début d’après-midi glacial. Leur mission, alors que le mercure stagne bien au-dessous de zéro: ramasser les sacs d’ordures et vider les containers disséminés à travers la Basse-Ville.

Les trois hommes font partie de l’équipe – ou du «team», comme on dit aujourd’hui – de la voirie de la ville de Fribourg. Un chauffeur, deux éboueurs. Trois destins. A priori, rien ne prédisposait Vincenzo Amore, l’ouvrier italien à la poigne d’ours, l’ancien fromager jurassien Alain Montavon et l’artiste du volant Romain Julmy à ramasser les poubelles sur les bords de la Sarine.Rien ne les prédestinait même à serencontrer.

Ça commence tôt

Et pourtant, les voilà réunis aujourd’hui sous le même uniforme orange, à effectuer un boulot que bien peu de gens aimeraient faire à leur place.

La voirie, c’est vraiment le bagne? A voir les rires et les vannes échangées par les équipages des cinq camions-poubelles de la ville, au moment de prendre leur service au dépôt communal des Neigles, on ne dirait pas. «Les premiers arrivent déjà ici vers cinq heures du matin, alors que le travail commence à sept heures moins quart», confiera plus tard, à l’heure du thé chaud, Marc-André Neuhaus, le boss de l’équipe déchets-chantiers-transports.

Dehors, le froid met les organismes à rude épreuve. «On se réchauffe en travaillant», relativise Alain Montavon, une brassée de sacs bleu clair dans chaque main. Compactés dans la benne du camion, les déchets seront ensuite conduits à l’usine d’incinération de Châtillon. Un site monumental, cauchemardesque, puant et d’une étrange beauté post-apocalyptique, où les éboueurs s’activent avec des balais pour expédier les ordures échappées des sacs dans la gigantesque fosse où elles seront brûlées.

Se faire «saucer» en été

Le froid, on s’y fait, assure Vincenzo Amore en projetant des paquets de sacs-poubelle figés par le gel dans la benne, avant d’arrimer, avec l’aide de son collègue, un container au système de levage du camion. «Mais en été, il y a les sauces…» Et se faire éclabousser de jus de tomate, même pour un Italien, ce n’est pas agréable.

«Soulever du lourd par contre, j’ai l’habitude», ajoute-t-il, lui qui en est à sa 44e année de labeur, dont neuf à la voirie de Fribourg. «Avant, j’ai travaillé à Berne pendant trente-cinq ans. Mais l’usine a été rachetée et elle a fermé deux ans plus tard. Je suis tombé au chômage.»

Alain Montavon, lui, a perdu son ancien job de fromager lorsque son patron a fermé sa laiterie. «Il aurait dû réinvestir pour être aux normes européennes, mais ça coûtait trop cher…» Lui aussi est passé par une période de chômage avant de se retrouver à la voirie de Fribourg.

Eboueur ou chauffeur de camion-poubelle, ce ne sont donc pas forcément des métiers que l’on choisit. Sous l’habit de travail orange, on retrouve des gens d’horizons divers, aux parcours de vie variés. Et donc une riche palette de personnalités. Un peu comme dans la série télévisée «CROM», qui met en scène le quotidien d’une équipe d’éboueurs yverdonnois. «Mes enfants sont fans de cette série», s’amuse Yves Tercier, responsable du «team chantiers». Et ancien maçon. «C’est vrai qu’on s’y retrouve un petit peu, surtout au niveau des caractères», sourit-il.

Pas de week-end

Comme dans «CROM», il y a une fille dans l’équipe fribourgeoise: la chauffeuse poids-lourds Tania Schroeter. «Sauf que Tania, elle n’a pas été placée ici pour faire du travail d’intérêt général», rigole un de ses collègues. La jeune femme se marre. Elle est habituée à évoluer parmi des mâles vanneurs, elle qui fait aussi partie du bataillon des sapeurs-pompiers de la ville de Fribourg.

En quittant le dépôt communal des Neigles, on repense aux cauchemardesques montagnes de déchets entassées à l’usine d’incinération de Châtillon. «Le week-end, ça n’existe pas à la voirie», expliquait un peu plus tôt Marc-André Neuhaus. «Un éboueur est toujours de permanence. En hiver, nous pouvons accorder un peu plus de congés, lorsqu’il y a par exemple moins de déchets verts.»

Cinq camions-poubelles sillonnent quotidiennement Fribourg et Villars-sur-Glâne pour assurer le ramassage des ordures ménagères, des déchets verts et du papier. On imagine ces monceaux de déchets éparpillés dans les rues. Et on se dit que le vrai cauchemar, ce serait un monde sans éboueurs. I

Camaraderie en orange

Il règne parmi tous ces professionnels de l’évacuation des déchets une «camaraderie militaire», comme le résume Alain Montavon. Un genre de relations qui ne se retrouve sans doute que dans les corps de métiers exigeant de l’engagement physique. La mauvaise image que traîne parfois ce boulot? «Ça ne me touche pas, le fait que certaines personnes pensent que nous sommes juste bons à ramasser les poubelles et que nous ne savons faire que ça», tranche l’éboueur de 35 ans. «Ces gens ne me connaissent pas. J’ai un CFC, j’ai fait des études.» Yves Tercier acquiesce, lui qui élève aussi des chevaux franches-montagnes à Ependes.

Entrer à la voirie, ce n’était pas un choix, reprend Alain Montavon. «Mais je suis content de travailler à l’extérieur et de retrouver les collègues chaque matin. Le jour où je me lèverai en étant emmerdé de devoir partir au boulot, il sera temps de passer à autre chose», lance-t-il. Quant au solide vétéran Vincenzo Amore, s’il admet se réjouir de l’imminence d’une retraite anticipée bien méritée, il dit apprécier le travail en équipe. «J’aime bien être au contact des gens, je ne pourrais pas travailler seul.»

A côté de lui, Yves Tercier confirme et se marre dans sa barbe. «Heureusement que tu as mal à la gorge aujourd’hui», lance-t-il à son collègue. «Sinon c’est les autres qui auraient mal aux oreilles.» Mais pas le temps de rigoler, il faut déjà repartir donner un coup de main à la déchetterie centrale. Une fois leur tournée achevée, les éboueurs s’occupent en effet du tri des derniers arrivages.



 Charles Ellena
 Marc-Roland Zoellig
La Liberté