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vendredi 16 mars 2012

Percer le secret du bonheur

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Télécharger une application pour comprendre ce qui nous rend heureux: la science étudie l’humain dans son envi­ron­nement naturel et non plus en labo.

Comment ça va? Ce n’est pas votre collègue qui vous pose la question, mais votre smartphone. Accumulées jour après jour, vos réponses permettront à George MacKerron, un chercheur de la London School of Economics, de mieux appréhender les facteurs qui influencent notre humeur.

L’idée de son app «Mappiness» — utiliser les smartphones pour faire des sondages — est irrésistiblement simple, et c’est pourquoi elle augure un changement profond de la pratique scientifique. Tout ce qui caractérise et influence les êtres humains — de l’humeur à la santé en passant par le sport, les réseaux sociaux — est désormais passé au crible d’une meute de psychologues, sociologues et épidémiologistes lancés dans une quête sans fin: amasser des données, toujours plus de données. Les cartes de fidélité l’avaient déjà fait pour nos achats, les smartphones couplés à des senseurs électroniques le feront pour le reste.

Lancée en août 2010, Mappiness demande deux fois par jour de décrire son humeur et son activité à l’aide d’un curseur et de quelques questions. L’horloge et le GPS du téléphone indexent automatiquement les données et leur associe la météo locale ainsi que des informations sur l’environnement (milieu urbain, parc, campagne, etc.).

«Mon but est de mieux comprendre les facteurs qui font que nous sommes heureux ou pas, explique George MacKerron. Nos travaux, qui notamment tentent de quantifier l’impact positif d’un environnement naturel, pourraient être utiles dans des discussions publiques portant sur l’aménagement du territoire.» Certains résultats obtenus sont évidents: être malade cloué au lit réduit en moyenne de 19 points notre niveau de félicité sur les 100 que contient l’échelle, avoir des relations intimes en rajoute 12. D’autres le sont moins: se trouver au bord de la mer augmente en moyenne de 5 points notre niveau de bonheur, marcher en rajoute deux. Le chercheur souligne que le défi est de bien distinguer les simples coïncidences statistiques des vraies influences (voir encadré p. 44).

Mappiness fait l’hypothèse que les effets sont additifs: boire un verre avec des amis dans un parc accumulera les points de bonheur; se trouver coincé dans un bouchon sous la pluie les fera chuter. «Nous n’avons pas encore étudié les interactions pouvant exister entre les différents facteurs», poursuit le chercheur. L’effet de se trouver seul, par exemple, dépend clairement de l’activité – probablement négatif lorsqu’on boit un verre mais neutre ou même positif lorsqu’on lit un livre.

Célébrée par les médias comme révolutionnaire, l’approche de Mappiness consiste en une simple extension des études en «Ecological Momentary Assessment» (EMA) visant à sonder des participants non pas en laboratoire mais dans leur milieu. Jusqu’à présent, elles étaient effectuées à l’aide de questionnaires téléphoniques pré-enregistrés, de sms ou encore de Palm Pilots prêtés le temps de l’expérience. Si la méthode n’est pas neuve, les résultats sont impressionnants: avec 3 millions de réponses données par près de 50’000 utilisateurs (chacun fournit en moyenne 50 réponses pendant six semaines), Mappiness a démontré l’attrait de la méthode. Car davantage de données signifie des statistiques — et donc des interprétations — plus fiables.

Ce changement de paradigme de la recherche en psychologie — quitter les laboratoires pour suivre les gens dans leur vie quotidienne — soulève des questions méthodologiques. Faut-il craindre de sacrifier la qualité pour la quantité? Les réponses sont-elles fiables, les protocoles bien pensés? «Il n’existe pas encore d’étude sur la validité des questions utilisées par Mappiness, répond Delphine Courvoisier, statisticienne au département de psychologie de l’Université de Harvard et auteure

de plusieurs études sur le bien-être et les EMA. Mais nous avions déjà pu confirmer que l’utilisation de questionnaires téléphoniques fonctionne aussi bien que sur papier, pour autant bien sûr qu’ils soient adaptés au média: questions simples et courtes, pas d’énumération, etc.» George MacKerron se dit d’ailleurs surpris de ne pas avoir reçu davantage de critiques de la part de chercheurs en psychologie, qui utilisent généralement pour estimer l’humeur des outils plus sophistiqués qu’un simple curseur.

La science contemporaine semble parfois hypnotisée par la possibilité d’accumuler des données, mais Delphine Courvoisier conseille de garder la tête froide. «Il est tentant d’interroger sans arrêt les participants, mais on prend le risque de les lasser. Ils peuvent alors répondre de manière automatique et donc peu fiable.»

D’autres chercheurs développent des senseurs pour estimer nos émotions de manière automatique et continue. Au Medialab du MIT, Rosalind Picard explore l’utilisation d’un bracelet mesurant la conductivité électrique de la peau, la température et les accélérations. Ce senseur réagit entre autres aux changements du système nerveux sympathique et peut indiquer un surcroît d’excitation, d’anxiété ou d’attention. Rosalind Picard, qui porte elle-même deux bracelets continuellement, a récemment découvert une piste étonnante: les signaux mesurés sur les poignets gauche et droit semblent parfois diverger lors d’une grande tristesse. Si vérifié, ce phénomène ouvrirait des possibilités pour distinguer émotions positives et négatives. «Cela pourrait avoir un rapport avec l’asymétrie des deux hémisphères cérébraux, mais tout cela reste encore seulement une hypothèse», souligne la chercheuse.

Rosalind Picard s’est aussi intéressée aux machines capables de reconnaître les émotions dans le but d’aider des personnes autistes à s’exprimer. Le domaine, l’«affective computing», intéresse fortement les spécialistes du marketing, qui veulent pouvoir mesurer la capacité des produits et des publicités à générer les émotions désirées. Si George MacKerron de Mappiness «avoue penser à fonder une start­up», Rosalind Picard l’a déjà fait: sa société Affectiva commercialise ses bracelets et logiciels d’analyses. L’un de ses clients, une compagnie de marketing, a, par exemple, envoyé 40 personnes équipées de bracelets dans un magasin d’électronique pour identifier les sentiments de frustration ou de confusion pouvant survenir lors d’un achat. Affectiva développe également un algorithme d’analyse des visages par vidéo capable de reconnaître si une personne sourit ou fronce les sourcils. Ce dispositif est actuellement testé sur internet pour analyser l’effet de vidéos publicitaires humoristiques sur des internautes observés via leur webcam.

Le vrai potentiel de ces technologies de récolte de données ne deviendra apparent qu’avec leur mise en commun, ce qui exigera la mise au point de plateformes capables de combiner des données très hétérogènes autant subjectives (humeur, relations humaines, alimentation) qu’objectives (conductivité de la peau, rythme cardiaque, taux de cholestérol, kilomètres parcourus). Les possibilités de synergie, infinies, préfigurent l’arrivée de l’informatique omniprésente (le «swarm») basée sur la généralisation de senseurs électroniques («l’internet des objets»).

«De plus en plus de recherches scientifiques s’appuieront sur ces supports, prédit George MacKerron. Il s’agit d’une évolution irrésistible.» «De la même manière que certaines personnes choisissent aujourd’hui de ne pas être trop connectées, je ne pense pas que tout le monde doive s’équiper de senseurs, commente Rosalind Picard. Le plus important est que l’utilisateur puisse comprendre ce que les appareils peuvent et ne peuvent pas faire.» Theodore Walls, de l’Université de Rhode Island (Etats-Unis), soulève une question étonnante: «Les nouvelles générations s’adaptent extrêmement rapidement aux nouveaux appareils électroniques – leurs intérêts fusionnent avec eux en quelque sorte. Elles arriveront un jour à une telle maîtrise qu’elles commenceront à les manipuler afin, par exemple, de se présenter sous un meilleur jour — de la même manière que nous utilisons le langage corporel inconsciemment. Il est naïf de considérer ces appareils comme de simples instruments de mesure. Ce sont également des outils de communication, et ils seront utilisés comme tels.»


La cause et l’effet

Comme tout projet basé sur une analyse statistique, Mappiness doit distinguer les simples corrélations de relations de causes à effets. «Il faut prendre garde aux dépendances cachées, explique George MacKerron. Une personne se trouvant à la campagne ou au bord de la mer se trouve probablement en vacances ou en week-end, ce qui influence bien entendu son humeur. Mais ce genre d’effets peuvent être compensés en comparant, par exemple, uniquement des données enregistrées le week-end, ce qui permet d’isoler le facteur «se trouver au bord de la mer».»

Un autre piège est celui de la causalité inverse: «Le fait d’être heureux dans un parc démontre-t-il l’influence positive du parc, ou simplement le fait que j’ai choisi de m’y rendre précisément parce que je me sentais bien? Cette difficulté est difficilement évitable dans le cas de facteurs que nous sommes en mesure d’influencer comme ce que nous faisons ou l’endroit où nous décidons d’aller. On rencontre moins de problèmes lorsque nous analysons des facteurs qui échappent entièrement à notre contrôle, comme la météo  on ne peut bien entendu pas choisir qu’il fasse beau lorsqu’on est heureux! Un aspect très important, lorsqu’on veut mieux comprendre une propriété subjective comme l’humeur, est de s’assurer que les causes possibles soient le plus possible décrites par des données objectives.»


Le fumeur observé

Theodore Walls veut étudier la consommation de tabac. Mais demander à un fumeur quand et combien de cigarettes il a consommées n’est pas forcément une bonne idée, dit le chercheur de l’Université de Rhode Island (Etats-Unis). «Les réponses ne sont pas toujours fiables, car les gens peuvent oublier quand ils ont fumé ou ne pas répondre de manière complètement honnête.» C’est pourquoi le chercheur développe des outils de monitoring automatique.

Embarquant des accéléromètres, des senseurs portés sur le poignet et le coude, permettent de reconstituer le mouvement de la main et d’identifier chez un fumeur le nombre de cigarettes consommées et de bouffées inhalées — une méthode qui fonctionne avec une précision de 99%, selon le chercheur. En croisant cette information avec un questionnaire rempli régulièrement par les participants, Theodore Walls veut comprendre les facteurs qui influencent la consommation de tabac.

Daniel Saraga