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samedi 3 mars 2012

Six semaines de vacances, un cadeau empoisonné?

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Travailler moins pour un salaire identique: l’initiative de Travail.Suisse paraît séduisante pour les employés et bien moins pour les employeurs. A une semaine du scrutin, «La Liberté» fait le point.

Six semaines de vacances annuelles pour tous les travailleurs helvétiques, quel que soit leur âge et leur secteur d’activité: l’initiative de Travail.Suisse sur laquelle se prononcent les citoyens suisses le 11 mars est très séduisante. D’autant qu’en 25 ans, la productivité de la main-d’œuvre a explosé de 21,5% et que les répercussions sur la santé coûtent 10 milliards de francs annuels, tonne la faîtière syndicale.

Les milieux économiques, les partis bourgeois et le Conseil fédéral ne l’entendent pas de cette oreille. Selon eux, l’addition sera trop salée – une semaine de vacances supplémentaire se chiffrerait à 6,8 milliards de francs – et la proposition arrive au plus mauvais moment, crise du franc fort oblige. Les opposants au texte craignent surtout pour les PME, qui pourraient être contraintes de supprimer des emplois et de délocaliser.

C’est justement du côté d’une PME, Progin Métal SA, que «La Liberté» est allée prendre la température avant le scrutin, auprès du patron (Philippe Progin) et de l’un de ses employés (Guy Suard). Notre but: voir si, comme les 63% d’Helvètes sondés par la SSR lors de son 2e baromètre prévotations, ils comptent refuser l’initiative. Dans un second temps, nous avons demandé leur avis à Chantal Pugin, conseillère à l’œuvre suisse d’entraide ouvrière, ainsi qu’à René Nicolet, opérateur de quart à Groupe E.


Philippe Progin

Le bureau de Philippe Progin est un espace moderne, où le béton est rehaussé d’une touche d’orange vitaminé. Le patron – et fondateur en 1984 – de l’entreprise bulloise Progin Métal SA nous invite à jeter un coup d’œil par la haute fenêtre qui plonge sur la halle de montage. «C’est une surveillance qui va dans les deux sens: je vois si les employés sont à leur poste et ils voient si je suis au mien!» Leurs postes respectifs, le directeur et les 145 collaborateurs de Progin Métal SA continueront dans le futur à les occuper 48 semaines par année (47 pour être précis, étant donné que leur semaine compte 41h40 au lieu des 40 prévues par la convention collective de travail de la branche). C’est du moins ce qu’espère le Gruérien. «Accepter l’initiative serait un autogoal!»

De l’avis de Philippe Progin, les initiants sont «complètement irresponsables». D’une part parce qu’ils préconisent un bond de 4 à 6 semaines de vacances obligatoires, sans même passer par la case 5 semaines. «Pour la plupart des PME, c’est la quasi-intégralité du bénéfice annuel qui serait englouti». «Quand on voit ce qu’il reste actuellement de nos marges, ça interpelle...» Faiblesse de l’euro et conjoncture économique morose obligent, l’industrie suisse du métal a en effet dû rogner sur ses marges afin de rester attractive sur un marché envahi par la concurrence étrangère. Si le texte passe, «c’est la porte ouverte aux suppressions d’emplois et aux délocalisations, comme cela a été le cas en France en raison des 35 heures.»

«Bien sûr que des vacances supplémentaires, on en rêve tous», sourit le Bullois. Qui s’empresse d’ajouter qu’il est temps «que les Suisses réalisent qu’ils sont des privilégiés, avec des salaires bien plus élevés» que leurs voisins européens. «Vous l’aurez compris à ce stade: je suis contre l’initiative! Et je pense que l’argument de la productivité accrue est bidon. Un employé en vacances est un employé qui ne produit pas.»

L’augmentation du stress, Philippe Progin en est conscient. «Pour permettre à nos collaborateurs de mieux récupérer, nous avons introduit le système du long week-end.» Dans l’entreprise, on travaille davantage du lundi au jeudi mais pas du tout le vendredi après midi. «L’important pour éviter le surmenage, c’est de bien expliquer aux collaborateurs pourquoi ils doivent parfois travailler sous une importante pression. Et de reconnaître, par des petits mots, la qualité de leur travail.» PMI


Guy Suard

Il parque son grand corps dans une chaise, plante ses yeux vifs dans les nôtres et va droit au but: «Contrairement à ce que vous pourriez penser, je voterai contre les 6 semaines de vacances pour tous.» Avant de préciser que «c’est un vote de raison. Si on vous met sous le nez une plaque de chocolat, vous avez bien sûr envie de l’engloutir. Mais vous ne le faites pas.» Guy Suard, opérateur CNC (commande numérique) dans l’entreprise de construction métallique bulloise Progin Métal SA, dit «comprendre cette initiative de Travail.Suisse» mais estime néanmoins qu’elle arrive «au plus mauvais moment.» Il redoute qu’en cas de «oui», les emplois ne soient plus garantis dans les PME. Ces dernières, «frappées en pleine figure par la crise, ont déjà de la peine à joindre les deux bouts. Alors s’il faut en plus qu’elles déboursent pour des remplaçants...»

En décidant de glisser un «non» dans l’urne le 11 mars, c’est donc «à l’avenir professionnel de mes fils» que pense l’habitant de Romanens. Et aussi aux rapports qu’entretient la Confédération avec l’Union européenne. «Franchement, réclamer davantage de vacances alors que nous sommes plus riches que nos voisins, c’est de la provocation!» Pour Guy Suard et ses collègues, l’issue du scrutin ne fait pas l’ombre d’un doute: «Nous sommes tous d’avis que ça ne passera pas. Les Suisses sont raisonnables.» Mais est-il bien raisonnable de se priver de vacances supplémentaires alors que le stress au travail est en constante augmentation? «C’est vrai qu’on est de plus en plus sous pression.» L’opérateur CNC ajoute qu’il y a deux types de stress, «celui qu’on se met nous-même» et celui qui vient de l’extérieur. Dans la branche, certains contrats prévoient désormais des pénalités pour les sociétés ne parvenant pas à livrer dans les délais.

Reste que «si chaque employé a plus de vacances, une partie de son boulot se reportera sur ses collègues», estime le collaborateur de Progin Métal SA. La lutte contre le stress doit donc plutôt se situer au quotidien, sur le lieu de travail, via des éléments tels que la mise à disposition d’un médiateur ou encore la revalorisation des employés. Au sein d’un personnel effectuant majoritairement des gestes répétitifs, les maux les plus courants sont les tendinites et autres inflammations, ajoute M. Suard. «Je vais régulièrement chez l’osthéopathe. Et je ne trouve pas normal que ce soit mon assurance privée qui casque...» PMI


Chantal Pugin

Les dégâts du stress au travail, Chantal Pugin est aux premières loges pour les constater. Cette conseillère à l’Oseo (Œuvre suisse d’entraide ouvrière) travaille à la résinsertion professionnelle de chômeurs en fin de droit. Pour elle, passer à six semaines de vacances permettrait de répondre à la forte hausse de la productivité dans les entreprises. «Les coûts de la santé explosent avec la multiplication des burn-out et des arrêts maladie de longue durée. Les gens arrivent rarement en fin de carrière, ils sont mis en préretraite ou au chômage. Ce qui engendre des charges pour la collectivité.»

A titre personnel aussi, Chantal Pugin aspire à davantage de congés payés que ses 5 semaines actuelles: «J’ai un travail très prenant. S’occuper de personnes en situation difficile, parfois psychologiquement cassées, demande beaucoup d’empathie et d’énergie. Les vacances me servent de soupape de décompression, et j’en reviens à chaque fois fraîche et dispose.» Si l’initiative passe, le mariage entre sa vie privée et sa vie professionnelle s’en trouvera également facilité. «Je suis mère d’un enfant, et lorsque je travaille durant les vacances scolaires, je dois le faire garder. Une semaine de vacances supplémentaire m’aiderait à résoudre une partie du problème.»

Mais avec six semaines de vacances, ne craint-elle pas de crouler sous le travail à son retour? «Moyennant une bonne organisation, cela ne me paraît pas insurmontable. Lorsque je rentre de vacances, je me réserve deux à trois jours sans entretien pour rattraper les tâches administratives en souffrance.» De la même manière, la spécialiste en ressources humaines balaie l’argument des coûts supplémentaires à la charge des entreprises. «En Suisse, les salaires réels stagnent depuis des années, alors qu’on demande toujours plus aux employés. Ce serait un juste retour des choses que les entreprises leur accordent six semaines de vacances. Surtout au vu de leurs importants bénéfices.»SG


René Nicolet

Le 11 mars, René Nicolet votera oui aux six semaines de vacances pour tous. Pas en priorité pour lui: le Groupe E, où travaille ce monteur électricien de formation, offre déjà cinq semaines de congé à son personnel. Cette année, cet habitant de Chevrilles aura même droit à sept semaines, cadeau offert pour ses vingt ans de maison. «Mais beaucoup de salariés n’ont pas ma chance. Or, quatre semaines de vacances, c’est peu.»

Au sein de l’entreprise électrique, René Nicolet travaille comme opérateur de quart. En clair, il gère la distribution du courant, régule le niveau des lacs de retenue et la production des barrages. A ce titre, il aligne des périodes de sept jours de travail, tantôt de jour, tantôt de nuit. «Plus de vacances me permettrait de prendre plus de temps pour ma femme et mes enfants.»

Mais en cette période économique délicate, est-ce une bonne idée que d’ouvrir les vannes? «Pour les entreprises, ces six semaines ne constituent pas une charge, mais un investissement», réplique notre interlocuteur, qui siège au comité central du syndicat Syna. «Un travailleur reposé est plus productif.» Reste qu’au sein de la base, René Nicolet entend des craintes, attisées selon lui par les opposants, quant à de possibles pertes de salaire et d’emplois si le oui l’emporte. Il juge ces peurs infondées. «En 2010, 13 millions d’heures supplémentaires ont été effectuées. C’est l’équivalent de 108000 places de travail! On pourrait faire un peu moins d’heures et engager un peu plus de monde.»

L’autre argument avancé par le camp du non, c’est que si l’initiative passe, les entreprises n’auront plus les moyens d’octroyer des augmentations de salaires. Et René Nicolet, que choisirait-il? Plus d’argent, ou plus de temps libre? «Question difficile. Mais les six semaines de vacances seraient inscrites dans la loi et donc acquises. En revanche, les employés n’auraient aucune garantie de toucher des augmentations d’année en année.» SG

Patricia Michaud
Serge Gumy
La Liberté