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jeudi 3 mai 2012

Faire pousser de la viande en laboratoire





Produire de la viande autrement. Non plus en élevant des animaux mais en cultivant à grande échelle des cellules musculaires de porc, de poulet ou de bœuf dans des bioréacteurs comme il en existe déjà pour fabriquer de la bière, des yaourts ou de l'insuline. De prime abord, le projet peut paraître fou mais c'est peut-être l'innovation à venir la plus radicale dans le domaine alimentaire. «Elle devrait aboutir d'ici une dizaine d'années», affirme Marloes Langelaan, de l'université d'Eindhoven, aux Pays-Bas, pays où les recherches sont les plus avancées. Avec des collègues de l'université de Maastricht, cette biologiste fait un tour d'horizon des problèmes techniques que pose la culture de tissus animaux à des fins alimentaires dans le numéro de février de Trends in Food Science and Technology, une revue britannique de référence pour la recherche en alimentation.

La piste de la viande in vitro est explorée depuis une dizaine d'années par plusieurs laboratoires dans le monde. La Nasa, l'agence spatiale américaine, a été la première à s'intéresser à ce procédé car il pourrait permettre de fournir des protéines à des astronautes lors d'un long voyage vers Mars. La technique est directement inspirée de la culture de cellules à des fins biomédicales. En 2000, des chercheurs du Touro College de New York ont annoncé, dans la revue Acta astraunotica, avoir réussi à produire de la chair de carpe à partir de cellules prélevées sur un spécimen vivant. Depuis, plusieurs équipes américaines et hollandaises ont publié toute une série d'études. Des brevets ont déjà été déposés par des firmes privées et des laboratoires universitaires.

Quel goût et quelle texture aura cette viande artificielle ? Sous quelle forme se présentera-t-elle ? Surimi ou spaghettis ? Les chercheurs hollandais ne le disent pas. «Ce sont des problèmes de marketing et ils seront abordés quand les verrous technologiques seront levés», expliquent-ils en conclusion. Cependant, grâce aux nutriments, facteurs de croissance et autres traitements biophysiques, il devrait être possible, selon eux, d'obtenir un produit proche de la viande sur pied. «Il sera même possible d'avoir une viande plus saine en jouant avec les substrats utilisés pour favoriser le métabolisme des cellules musculaires.»

«On n'en est qu'aux balbutiements. Les cultures de cellules obtenues actuellement en laboratoire sont très fines. Elles ressemblent plus à du carpaccio qu'à des steaks », ironise Jean François Hocquette, de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Clermont-Ferrand. L'Inra travaille sur les cultures de cellules mais pas pour produire de la viande in vitro. M. Hocquette estime que le projet des chercheurs hollandais est utopique. Arriver à une production massive de viande par ce procédé entraînerait, selon lui, des coûts exorbitants. L'addition pourrait être salée compte tenu des quantités d'hormones ou de facteurs de croissance nécessaires au développement des cellules musculaires et des antibiotiques pour éviter les contaminations. «En outre, il ne faut pas oublier le rôle important de l'élevage traditionnel pour l'entretien des territoires en herbe et des paysages», ajoute-t-il.

Rééquilibrer la consommation

En fait, les arguments en faveur de la culture de viande in vitro s'appuient sur l'accroissement continuel de la consommation mondiale de viande. Au début des années 1960, elle avoisinait les 70 millions de tonnes par an, mais depuis elle a explosé. Selon la FAO, elle était estimée en 2007 à 284 millions de tonnes et devrait doubler d'ici à 2050. «Ce n'est pas possible, il n'y aura pas assez de surfaces agricoles disponibles. Le mode de consommation calqué sur celui des Américains doit changer», assure Michel Griffon, agronome et économiste auteur de plusieurs ouvrages sur la sécurité alimentaire dans le monde.

Pour lui, la solution passe avant tout par une diminution de la consommation de viande dans les pays riches au profit des pays émergents comme la Chine ou l'Inde, où la consommation croît avec l'amélioration du niveau de vie. Pas emballé du tout par la solution de la viande in vitro, Michel Griffon estime qu'il serait plus efficace que les hommes consomment directement les protéines végétales - soja principalement - au lieu de les donner au bétail comme c'est le cas actuellement avec le système d'élevage intensif.

Le bilan des émissions de CO2 de l'élevage, équivalent à celui des transports, est un autre argument utilisé par les promoteurs de la culture de viande in vitro. Les pollutions induites par l'élevage industriel, comme les porcheries en Bretagne sont tout autant décriées. Certains défenseurs des animaux ont déclaré eux aussi qu'ils seraient prêts à manger ce type de viande artificielle plutôt que des animaux élevés en batterie dans des conditions épouvantables. La Peta, une association qui œuvre pour un traitement éthique des animaux, s'est dit prête à offrir un million de dollars à la première entreprise qui arriverait à mettre au point un procédé de culture de la viande industrielle.

Yves Miserey
Libération