Produire de la viande autrement. Non plus en élevant des animaux
mais en cultivant à grande échelle des cellules musculaires de porc, de poulet
ou de bœuf dans des bioréacteurs comme il en existe déjà pour fabriquer de la
bière, des yaourts ou de l'insuline. De prime abord, le projet peut paraître
fou mais c'est peut-être l'innovation à venir la plus radicale dans le domaine
alimentaire. «Elle devrait aboutir d'ici une dizaine d'années», affirme Marloes
Langelaan, de l'université d'Eindhoven, aux Pays-Bas, pays où les recherches
sont les plus avancées. Avec des collègues de l'université de Maastricht, cette
biologiste fait un tour d'horizon des problèmes techniques que pose la culture
de tissus animaux à des fins alimentaires dans le numéro de février de Trends in Food Science and
Technology, une revue britannique de référence pour la recherche
en alimentation.
La piste de la viande in vitro est explorée depuis une dizaine
d'années par plusieurs laboratoires dans le monde. La Nasa, l'agence spatiale
américaine, a été la première à s'intéresser à ce procédé car il pourrait
permettre de fournir des protéines à des astronautes lors d'un long voyage vers
Mars. La technique est directement inspirée de la culture de cellules à des
fins biomédicales. En 2000, des chercheurs du Touro College de New York ont
annoncé, dans la revue Acta
astraunotica, avoir réussi à produire de la chair de carpe à partir de cellules
prélevées sur un spécimen vivant. Depuis, plusieurs équipes américaines et
hollandaises ont publié toute une série d'études. Des brevets ont déjà été
déposés par des firmes privées et des laboratoires universitaires.
Quel goût et quelle texture aura cette viande artificielle ?
Sous quelle forme se présentera-t-elle ? Surimi ou spaghettis ? Les chercheurs
hollandais ne le disent pas. «Ce sont des problèmes de marketing et ils seront
abordés quand les verrous technologiques seront levés», expliquent-ils en
conclusion. Cependant, grâce aux nutriments, facteurs de croissance et autres
traitements biophysiques, il devrait être possible, selon eux, d'obtenir un
produit proche de la viande sur pied. «Il sera même possible d'avoir une viande
plus saine en jouant avec les substrats utilisés pour favoriser le métabolisme
des cellules musculaires.»
«On n'en est qu'aux balbutiements. Les cultures de cellules
obtenues actuellement en laboratoire sont très fines. Elles ressemblent plus à
du carpaccio qu'à des steaks », ironise Jean François Hocquette, de l'Institut
national de la recherche agronomique (Inra) à Clermont-Ferrand. L'Inra
travaille sur les cultures de cellules mais pas pour produire de la viande in
vitro. M. Hocquette estime que le projet des chercheurs hollandais est
utopique. Arriver à une production massive de viande par ce procédé
entraînerait, selon lui, des coûts exorbitants. L'addition pourrait être salée
compte tenu des quantités d'hormones ou de facteurs de croissance nécessaires
au développement des cellules musculaires et des antibiotiques pour éviter les
contaminations. «En outre, il ne faut pas oublier le rôle important de
l'élevage traditionnel pour l'entretien des territoires en herbe et des
paysages», ajoute-t-il.
Rééquilibrer la consommation
En fait, les arguments en faveur de la culture de viande in
vitro s'appuient sur l'accroissement continuel de la consommation mondiale de
viande. Au début des années 1960, elle avoisinait les 70 millions de tonnes par
an, mais depuis elle a explosé. Selon la FAO, elle était estimée en 2007 à 284
millions de tonnes et devrait doubler d'ici à 2050. «Ce n'est pas possible, il
n'y aura pas assez de surfaces agricoles disponibles. Le mode de consommation
calqué sur celui des Américains doit changer», assure Michel Griffon, agronome
et économiste auteur de plusieurs ouvrages sur la sécurité alimentaire dans le
monde.
Pour lui, la solution passe avant tout par une diminution de la
consommation de viande dans les pays riches au profit des pays émergents comme
la Chine ou l'Inde, où la consommation croît avec l'amélioration du niveau de
vie. Pas emballé du tout par la solution de la viande in vitro, Michel Griffon
estime qu'il serait plus efficace que les hommes consomment directement les
protéines végétales - soja principalement - au lieu de les donner au bétail
comme c'est le cas actuellement avec le système d'élevage intensif.
Le bilan des émissions de CO2 de l'élevage, équivalent à celui
des transports, est un autre argument utilisé par les promoteurs de la culture
de viande in vitro. Les pollutions induites par l'élevage industriel, comme les
porcheries en Bretagne sont tout autant décriées. Certains défenseurs des
animaux ont déclaré eux aussi qu'ils seraient prêts à manger ce type de viande
artificielle plutôt que des animaux élevés en batterie dans des conditions
épouvantables. La Peta, une association qui œuvre pour un traitement éthique
des animaux, s'est dit prête à offrir un million de dollars à la première
entreprise qui arriverait à mettre au point un procédé de culture de la viande
industrielle.
Libération