«La Suisse se réjouit de poursuivre son étroite collaboration avec la France et de renforcer encore les liens nombreux et variés qui lient nos deux pays». Tel est le communiqué du département fédéral des affaires étrangères (DFAE) qui salue l’élection de François Hollande à la tête de la République française.
Du bla-bla diplomatique? Il semble que oui et non. Oui parce que ces liens «nombreux et variés» unissant la petite Confédération à la grande République ne mangent à vrai dire pas beaucoup de pain, y compris sous forme de baguette. Non parce qu’il semble bien qu’on se réjouisse à Berne, ou plutôt qu’on veuille se réjouir, du changement de régime survenu à Paris.
Pour une raison très évanescente, qui tient plus de la psychologie élémentaire que de la fine analyse politique. Et qui est un peu la même que celle ayant guidé la main de l’électeur le 6 mai dernier dans l’Hexagone: «Pire qu’avec Sarko, ça se peut pas».
C’est en tout cas ce qu’a expliqué un fonctionnaire du DFAE au quotidien «Le Temps» et ce qu’a redit le conseiller aux Etats, certes socialiste, Didier Berberat. Evidemment Nicolas 1er n’a guère couvert notre pays de l’affectueuse attention qu’on aurait pu espérer d’un voisin plus grand et plus fort. Pas la plus petite visite officielle. Un mépris affiché. Une brève rencontre en catimini avec Doris Leuthard, des relations tendues avec une Calmy-Rey finissant par lâcher: «Nicolas Sarkozy a probablement un problème avec nous.» Après que le président eut proposé, il est vrai, de mettre la Suisse «au ban de la communauté internationale».
La Suisse sous Sarkozy a en effet été systématiquement considérée comme un nid à évasion fiscale, qu’il était de bon ton de menacer. Surtout pour la galerie, d’ailleurs, selon le principe très en vogue sous ce quinquennat de la rodomontade sans suite. Le choix du Gripen contre le tricolore et coûteux Rafale n’a fait évidemment qu’envenimer les choses.
De là tout de même à imaginer que François Hollande, candidat élu d’un parti peu connu pour ses indulgences en matière de prélèvements obligatoires, se montrera plus coulant avec la Suisse des coffres et des évasions, il y a un pas. Un gros pas. Que certains à Berne, encore traumatisés par les mauvaises manières du petit Nicolas, veulent néanmoins franchir tranquillement.
Quitte à se raccrocher à des branches mortes. Du genre compter sur la civilité et le sens de l’écoute et du dialogue du nouveau président. Au fait que l’un de ses proches, le maire de Dijon Rebsamen, possède aussi la nationalité suisse. Que Moscovici est député du Doubs voisin et que Valls a du sang tessinois, côté maternel. Ou que tellement gêné aux entournures budgétaires, le nouveau gouvernement socialo-communiste, comme on dit à droite de la droite, se contentera vite de récupérer déjà les grosses miettes de l’accord Rubik.
Moins naïfs, les Français de Suisse eux ne s’y sont pas trompés. Ils ont massivement plébiscité le perdant: 62% pour Sarkozy contre 38 à son rival socialiste. Certes François Hollande ne s’est pas montré aussi remonté que le camarade Mélenchon contre cette Suisse assimilée au«coffre-fort de tous les voyous de la terre». Il a néanmoins proposé de revoir l’accord de double imposition jugé pas assez strict, et même de soumettre les exilés fiscaux à l’impôt sur les grandes fortunes (ISF).
Il y a donc fort à parier que l’optimisme suisse face à une éventuelle bienveillance hollandaise soit vite déçu. Restera alors la possibilité de ressortir l’arme fatale dégainée lors de la visite officielle de Mitterrand en 1983: la fée verte. Mais cette fois en toute légalité. Ce qui ferait déjà un point des relations franco-suisse placé sous le signe du bon droit et de l’amitié.
Nicolas Martin