Il y a 20 ans, le 6 décembre 1992, peuple et cantons rejetaient à l'occasion d'un scrutin auquel 78,3% des citoyens ont participé, l'adhésion de la Suisse à l'Espace économique européen (EEE). Seul pays membre de l'Association européenne de libre-échange (AELE) à refuser l'Accord EEE et menacé de ce fait de voir se multiplier les obstacles dans l'accès au marché de son principal partenaire économique et commercial, la Suisse se devait d'imaginer une alternative à un isolement qui lui aurait été préjudiciable.
Une première mesure mise en œuvre par le Conseil fédéral a été le lancement d'un programme de revitalisation de l'économie, visant à préserver la compétitivité internationale du pays, notamment en assurant, là où cela s'avérait opportun, la compatibilité du droit suisse avec les normes européennes pertinentes. Ce programme, baptisé «Swisslex», a conduit à plusieurs réformes législatives importantes (p. ex. loi sur les cartels, loi sur le marché intérieur suisse, loi sur les entraves techniques au commerce). Mais c'est depuis 1988 déjà que les projets législatifs sont systématiquement examinés sous l'angle de leur relation avec le droit européen, afin d'éviter l'adoption de règles suisses dans l'ignorance des règles de notre principal voisin et partenaire commercial.
Mais «Swisslex» ne pouvait pas à elle-seule éliminer les obstacles rencontrés par les acteurs économiques suisses dans leur accès au marché de l'UE. Pour ce faire, dans bien des domaines, des accords aux termes desquels les deux parties s'entendent pour supprimer ces obstacles, par exemple en s'assurant de l'équivalence de leurs législations, s'avéraient nécessaires. L'Union européenne ayant des intérêts à l'égard de la Suisse, par exemple en matière de transit ou de libre circulation des personnes, elle s'est donc montrée disposée à négocier des accords sectoriels dans ce but et dans un certain nombre de domaines. C'est ainsi que la Suisse et l'UE se sont engagée sur la voie bilatérale, avec un succès d'autant plus indéniable que cet instrument de politique européenne jouit du soutien, plusieurs fois exprimé dans les urnes ces 20 dernières années, d'une majorité des citoyennes et citoyens suisses.
Parfois critiquée pour son manque de vision ou d'ambition, souvent louée comme représentant la solution «idéale» pour la Suisse dans ses relations avec l'UE, la voie bilatérale n'est ni la panacée, ni un objectif en soi: c'est un instrument de politique européenne, fruit de circonstances spécifiques et qui a fait ses preuves, mais dont le succès nécessite qu'il soit constamment réinventé.
En premier lieu, il faut que les deux partenaires demeurent intéressés à conclure des accords dans des domaines déterminés, ce qui nécessite toujours des concessions de part et d'autre. On se souviendra ainsi qu'après le premier paquet des «Bilatérales I» conclut en 1999, l'UE semblait exclure un nouveau développement de la voie bilatérale... C'est pourtant à sa demande que de nouvelles négociations s'ouvrirent pour aboutir en 2004 à la conclusion des «Bilatérales II», portant notamment sur la fiscalité de l'épargne (demande de l'UE) et la participation de la Suisse aux accords Schengen/Dublin (demande suisse). D'autre part, il faut également que les partenaires s'entendent sur les conditions régissant l'espace juridique commun créé par leur tissu d'accords, tout particulièrement en ce qui concerne la nécessaire homogénéité du droit applicable à l'accès réciproque à leurs marchés. C'est l'objet des actuelles discussions portant sur les questions dites institutionnelles et dont la résolution doit permettre de consolider l'instrument de la voie bilatérale, assurant ainsi sa pérennité et ouvrant la voie à de futurs développements, tout en préservant l'autonomie de la Suisse et son statut de pays non membre de l'UE.
Le défi est de taille. Il n'est pourtant pas le premier qui se présente sur le sentier, escarpé mais praticable, d'une voie bilatérale qui - aujourd'hui - a atteint l'âge de raison.
Hanspeter Mock