Les nouveaux billets de banque tardent à être mis en circulation, ce qui nuit à l'imprimeur zurichois. Cette société fondée en 1519 a cependant les capacités de rebondir.
Quand les nouveaux billets suisses arriveront-ils enfin dans nos portefeuilles? On les attendait pour 2010. Puis pour 2012. On espère désormais commencer à les dépenser au début 2014. La Banque nationale suisse (BNS) a en effet annoncé en février 2012 un nouveau report d’au moins un an et ne fixe désormais plus aucune date définitive de mise en circulation. Chez Orell Füssli, l’entreprise zurichoise responsable de l’impression, on se montre peu disert sur les raisons d’un tel retard. «En ce qui concerne les nouveaux billets, la BNS reste l’interlocuteur exclusif», tranche Michel Kunz, le CEO d’Orell Füssli. Dans un communiqué, l’entreprise a néanmoins évoqué «les retards de livraison pris par un fournisseur», sans le nommer, rendant impossible le démarrage immédiat de la production.
Pour Orell Füssli, ce report tombe mal. «Financièrement, il y aura un impact négatif sur les résultats, explique René Weber, analyste chez Vontobel. La non-exploitation des capacités prévues de production coûte cher.» Une situation fâcheuse alors que l’entreprise traverse une mauvaise passe. En 2011, Orell Füssli a enregistré un chiffre d’affaires de 288 millions de francs, en baisse de 10% par rapport à 2010, et un bénéfice de 2,4 millions en chute de 82%.
Ce nouveau report de la neuvième série de billets de banque suisse illustre la complexité d’intégrer dans un nouveau billet plusieurs éléments innovants censés garantir une sécurité maximale. Un domaine dans lequel l’entreprise zurichoise est pourtant l’une des plus qualifiées au monde. «Orell Füssli a les capacités d’imprimer des billets de banque avec les plus hautes exigences concernant la conception, le design et la production», se félicite le CEO Michel Kunz. Si la compagnie opère dans le monde entier, la Banque nationale suisse et la Confédération demeurent ses principaux clients. Orell Füssli imprime les billets de banque suisses depuis 1911 et fabrique les passeports suisses depuis 1959 — une bien courte période dans la très longue histoire de l’entreprise.
Aux racines de l’imprimerie
Fondée en 1519 par Christoph Froschauer, un imprimeur bavarois immigré à Zurich, Orell Füssli est l’une des plus vieilles sociétés au monde. A ses débuts, Orell Füssli est active dans l’imprimerie, avec notamment la production de la «Zürcher Bibel» en 1531 et l’impression de la première édition du journal «Zürcher Zeitung» en 1780. «Orell Füssli a toujours réussi à se développer conformément aux changements économiques et culturels, raconte Michel Kunz. C’est ce qui explique sa longévité.»
Depuis, l’entreprise s’est diversifiée: à l’activité historique d’éditeur et de vente de livres, qui assure toujours 40% du chiffre d’affaires, se sont ajoutées la division Security Printing (impression de billets de banque notamment) qui représente 30% du chiffre d’affaires et la filiale allemande Atlantic Zeiser, active dans les systèmes de numérisation et de codage de documents (près de 30% du chiffre d’affaires).
Trois activités dont les résultats ont déçu en 2011: la division librairie, qui subit le recul du marché des livres imprimés, a vu son chiffre d’affaires diminuer de 5,1% par rapport à 2010, à 113,8 millions de francs. Et ce n’est certainement pas fini: «Le marché du livre au détail est en déclin continu et l’offre en ligne ne parvient pas à compenser la chute», explique René Weber de Vontobel. A terme, il n’est pas exclu qu’Orell Füssli se sépare de sa division librairie, même si Michel Kunz refuse de commenter une telle possibilité.
Dans l’impression de sécurité, si l’activité s’est maintenue grâce aux exportations (90% des billets de banque produits en 2011 étaient destinés à l’étranger), le chiffre d’affaires a souffert du franc fort, s’élevant à 85,4 millions contre 99,3 un an auparavant. Quant à la division Atlantic Zeiser, ses ventes ont augmenté de 7% (en euro), mais cette hausse s’est révélée bien en deçà des prévisions.
En quête de nouveaux débouchés
«La crise mondiale, arrivée fin 2008, s’est répercutée sur les résultats de nos trois secteurs d’activité, confirme Michel Kunz. Dans l’impression de sécurité, il y a eu des retards sur des commandes importantes. Dans le secteur de la librairie, le franc fort a entraîné une forte baisse des prix de vente. Et enfin, les clients de notre division Atlantic Zeiser ont reporté leurs investissements.»
A tel point qu’Orell Füssli a dû se lancer dans un important plan de restructuration: «Nous avons réduit de 15% le personnel chez Atlantic Zeiser , et récemment nous avons fermé des magasins non rentables dans le secteur de la librairie, rapporte Michel Kunz. A l’avenir, Atlantic Zeiser va se concentrer davantage qu’avant sur des applications spécifiques. Le marché pharmaceutique, par exemple, est intéressant, car de nouveaux règlements concernant l’identification et l’authentification d’emballages de médicaments doivent être mis en place partout en Europe. Dans ce contexte, Atlantic Zeiser peut fournir les produits désirés et également les implémenter.»
Une orientation qui devrait porter ses fruits à terme, confirme René Weber, analyste chez Vontobel. Avec un retour à des résultats plus encourageants en 2013? «Cela dépendra du démarrage, ou non, de l’impression des nouveaux billets de banque suisses — la division security printing représentant quasiment la totalité du bénéfice…»