Apprendre la programmation à l'école dès l’âge de six ans, c'est la démarche pionnière étrennée par l'Estonie, pays à l'avant-garde des nouvelles technologies.
Tallinn figure au patrimoine mondial de l’humanité grâce à sa vieille ville médiévale. Désormais, l’illustre capitale de l’Estonie est aussi celle du digital, au coeur du pays le plus connecté de la planète. En vingt ans, depuis leur indépendance en 1991, les Estoniens ont passé des Soviets à Internet.
Paradoxalement, le mérite en revient en partie aux Soviétiques. Leurs meilleurs informaticiens étaient concentrés dans les petites républiques baltes. Un terreau idéal qui a permis ensuite à des compagnies comme Skype de disposer d’excellents programmateurs peu coûteux pour développer leurs produits.
En Estonie, les citoyens disposent d’une carte d’identité au format carte de crédit qui est un véritable sésame pour la plupart des gestes quotidiens, ainsi que d’une adresse email officielle attribuée par leur gouvernement, qui leur permet de communiquer avec les autorités et de voter.
Aujourd’hui, ce petit pays de 1,3 millions d’habitants joue les pionniers en matière de formation. Alors que la France s’enorgueillit d’avoir introduit, à la rentrée 2012, l’enseignement de l’informatique pour les élèves de terminale scientifique au lycée, l’Estonie s’apprête à lancer l’apprentissage de la programmation numérique dès la première année primaire, soit à six ans.
Une initiative baptisée ProgeTiiger. Une vingtaine d’établissements scolaires en font déjà l’expérience, les autres suivront tout prochainement.
A l’origine de ce programme se trouve une femme de 31 ans, Ave Lauringson, de Tiger Leap Foundation, une organisation étatique qui oeuvre pour la promotion de la technologie à l’école. C’est en observant son jeune fils qu’est née son initiative. «Les enfants ne doivent pas imaginer que les ordinateurs sont des outils magiques mais au contraire des machines qu’ils peuvent dompter», estime-t-elle.
«Programmer ou être programmé»
Dans son essai Programmer ou être programmé, Douglas Roushkoff partage le point de vue de l’Estonienne. Il s’agit de ne pas abandonner le pouvoir aux machines. L’apprentissage de la programmation informatique est un outil d’émancipation, une nouvelle forme d’alphabétisation qui permet à chacun de comprendre et d’intervenir dans le monde qui l’entoure. Pour ce faire, les enfants estoniens apprendront donc des langages comme Java, Perl ou C++, mais aussi la pensée «computationnelle».
En Suisse, Juraj Hromkovic, professeur d’informatique à l’EPFZ, dénonce lui aussi notre «analphabétisme numérique», le bagage très limité en informatique des étudiants. Une situation aux conséquences néfastes sur la recherche et l’innovation dans notre pays.
Au-delà de ce handicap pour l’économie, l’enjeu de l’apprentissage du code à l’école est, de fait, un enjeu de société. L’école a toujours tenté de faire en sorte que les enfants comprennent le monde qui les entoure, d’où l’enseignement de la physique, de la chimie, de la biologie ou de l’histoire. Alors que les ordinateurs sont devenus omniprésents dans notre environnement, ne serait-il pas irresponsable de les laisser demeurer de simples utilisateurs d’outils dont ils ignorent tout? Nous succéderait alors «une génération de hamsters, piégés dans les roues scintillantes construites par des gens comme Mark Zuckerberg», comme l’écrivait récemment le Guardian.
L’Estonie ne souhaite pas avoir d’enfants-hamsters. Conscient qu’utiliser ce que l’on ne comprend pas a toujours rimé avec perte de liberté, on y a fait le choix de les familiariser avec la pensée «computationnelle». Une pensée qui consiste à comprendre la différence entre une intelligence artificielle et une intelligence humaine, qui se déploie de manière récursive, est consciente de la nécessité de la prévention, de la détection et de la protection contre les risques. Sans omettre d’utiliser l’abstraction et la décomposition pour s’attaquer à de vastes tâches, et déployer alors un raisonnement heuristique et pour découvrir des solutions à des problèmes complexes. Bref, une nouvelle manière de penser.
Alors que la technologie en apprend énormément sur nous, pourquoi renâcler à en apprendre un petit peu sur elle?