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jeudi 24 janvier 2013

Rendez-nous notre argent!


Après la décision des sénateurs, les assurés sont en colère. Et les cantons lésés préparent déjà la riposte.

C’est une pilule particulièrement dure à avaler pour les Genevois, les Vaudois, les Neuchâtelois et les Fribourgeois. La Commission de la santé publique du Conseil des Etats leur propose de faire tout simplement table rase du passé. Autrement dit: mettre une croix sur l’argent qu’ils ont versé en trop de 1996 à 2011. Selon notre sondage, vous êtes 7 personnes sur 10 à trouver la situation scandaleuse.

PEUT-ON ESPÉRER REVOIR NOTRE ARGENT?

«Certes, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats a donné un mauvais signal, mais tout n’est pas joué», explique Guy Parmelin (UDC/VD), membre de la commission analogue du National. En effet, la Chambre des cantons doit encore se prononcer en plénum. Si elle décide de ne pas entrer en matière, le dossier ira au Conseil national, où là «les populations lésées sont mieux représentées», précise la conseillère aux Etats Liliane Maury Pasquier (PS/GE). «Le vote pourrait donc basculer en faveur d’un remboursement. Ce qui forcerait la Chambre des cantons à faire un pas dans cette même direction.»

Mais savoir quel camp choisira le National est difficile, selon Stéphane Rossini (PS/VS), président de la Commission de la Chambre du peuple: «La question du remboursement recoupe des clivages gauche-droite, cantons lésés-non lésés et la sensibilité ou non à la pression des assureurs.» Lui en tout cas votera pour le remboursement, même si son canton n’a pas été pénalisé. Mais il n’a pas de «gros espoirs».

QUE PEUVENT FAIRE LES CANTONS LÉSÉS?

«Si le Parlement croit qu’on peut avaler ça sans réagir…» grommelle Pierre-Yves Maillard. Le Conseil d’Etat vaudois, dit-il au «Matin», s’est réuni hier et a décidé certaines mesures qui seront discutées au Parlement mardi prochain. Lesquelles? Le socialiste ne veut rien dire pour l’instant. Seulement qu’«il y a d’autres dossiers dans lesquels les cantons ont des relations financières».

Peut-être la péréquation financière intercantonale? En tout cas, du côté de Genève, le PDC a, lui, déposé hier soir une motion au Grand Conseil. «Puisqu’on a aidé les autres cantons au travers de nos primes, on considère que notre part à la péréquation financière est réglée», explique Bertrand Buchs, auteur du texte. Le but serait que le canton du bout du lac retienne sa part jusqu’à ce que les choses bougent enfin. La motion, soutenue par le PS, le PLR, l’UDC et le MCG, sera débattue en urgence aujourd’hui par le Parlement genevois.

LES LÉSÉS CONTINUERONT-ILS À ÊTRE PÉNALISÉS?

Selon Pierre-Yves Maillard, l’injustice s’était atténuée de 2007 à 2009. Mais elle reprend de plus belle. D’après le socialiste, conseiller d’Etat vaudois, «2012 verra de nouveau près d’une centaine de millions d’excédents dans les caisses des assureurs pour le seul canton de Vaud».

Pour mettre fin à cette situation, Anne Durrer, porte-parole de SantéSuisse, croit à certaines dispositions de la nouvelle loi sur la surveillance de l’assurance-maladie (qui, ça tombe bien, a, elle, été acceptée par la Commission de la santé publique du Conseil des Etats). Ce projet obligerait l’Office fédéral de la santé publique à ne plus autoriser les primes qui ne couvrent pas les coûts. Objectif: éviter que les assureurs puissent constituer des réserves excédentaires dans certains cantons pour financer les primes des assurés d’autres cantons.

L’OFSP EST-IL RESPONSABLE?

L’OFSP valide les primes calculées par les caisses maladie. «En dernier ressort, s'il estime que les primes ne reflètent pas les coûts, il a les moyens d’agir. Ça fait partie de son mandat de surveillance!» s’exclame Anne Durrer. L’OFSP peut donc déjà obliger un assureur à augmenter ses primes, pour que celles-ci correspondent aux coûts dans un canton donné. «Il faudrait qu’il le fasse systématiquement pour que les primes reflètent vraiment la réalité des coûts, ajoute Anne Durrer. On n’aurait du coup plus de primes d’appel, avec au bout un assureur qui ne peut pas assumer ses prestations.»

Aux yeux de Pierre-Yves Maillard, cela illustre bien «l’échec de l’OFSP sur 20 ans dans sa mission de surveillance».

POURQUOI LES ASSUREURS NE FONT RIEN POUR «RÉPARER»?

«Rien n’existe qui soit pertinent en termes d’assurance», reconnaît Anne Durrer. «Les Vaudois ont par exemple été lésés en moyenne de 950 francs. Mais où va-t-on prendre cet argent? Dans les réserves des caisses? Mais desquelles? Et cela impliquerait que l’année d’après, les primes augmenteraient très fortement pour reconstituer ces réserves. Cette situation d’échec et mat serait mauvaise pour tout le monde.»

LES ASSURÉS PEUVENT-ILS SE DÉFENDRE EN JUSTICE?

«Il faut que tous les assurés des six cantons lésés se préparent à contester massivement toute hausse de primes à partir de novembre prochain!» affirme, déterminé, Mauro Poggia, conseiller national (MCG/GE) et avocat. Cependant, il est trop tard pour 2013, puisqu’il est seulement possible d’agir dans les 30 jours suivant la notification de la hausse de prime.

Mauro Poggia avait, lui, pris les devants et a fait opposition à l’augmentation de 3,5% décidée par sa caisse, la Mutuelle Assurance. «L’argent était là, il a été volé, je fais donc comme s’il était encore là!» se justifie-t-il. 

Ne pas se tromper de cible 

Il a fallu des années pour que les autorités fédérales reconnaissent la justesse des critiques de Pierre-François Unger et de Pierre-Yves Maillard sur le calcul excessif des primes pour les assurés genevois et vaudois. In fine, les assurés romands ont payé un milliard de primes en trop depuis 1996. Et, aujourd’hui, un cénacle de sénateurs estime qu’il faut tirer un trait et aller de l’avant.

C’est profondément injuste pour tous ceux qui se sont battus et pour les assurés qui sont bernés. C’est aussi contraire à l’esprit des lois et du fédéralisme. Certes, les votes ne sont pas encore joués en plénum, mais la ligne est donnée. Le système LAMal n’a jamais été parfait, dira-t-on. Il suffit de le corriger un peu et on continue. Une fois de plus, cet épisode montre à quel point les intérêts des assurés sont si facilement sacrifiés dans le système.

En réalité, les solutions proposées aux chambres ne pouvaient être que mauvaises. Proposer que certains assurés mieux lotis remboursent d’autres qui l’ont été moins est une illusion. Comme s’il s’agissait uniquement d’une affaire entre assurés. On oublie un peu facilement les intermédiaires que sont les caisses. Depuis 1996, ce sont elles qui ont encaissé cet argent.

On aurait tort aujourd’hui d’exagérer le procès de sénateurs qui défendent un peu chichement les intérêts de leur canton. Ce ne sont pas eux qui ont fixé des primes trop hautes ou constitué des réserves grandioses. Ce ne sont pas eux qui cherchent encore aujourd’hui à maintenir l’opacité du système d’assurance-maladie et qui mettent les pieds au mur contre de nouvelles mesures de surveillance.

ÉRIC FELLEY
journaliste