De la Roumanie, où de la viande de cheval a été vendue, au rayon des supermarchés, où des lasagnes se sont retrouvées étiquetées "au boeuf", que s'est-il passé ?
Un lot de lasagnes Findus commercialisé au Royaume-Uni et contenant plus de 60% de viande de cheval. (Scott Heppell/AP/SIPA)
Comment de la viande de cheval s'est retrouvée dans des lasagnes surgelées censées être au bœuf ? C'est l'énigme que vont devoir résoudre les autorités européennes en quelques jours. Bien qu'aucun risque sanitaire n'ait été évoqué, les inquiétudes qu'elle suscite pourraient porter un coup à l'industrie alimentaire. Le dossier est d'ailleurs devenu en quelques jours une affaire d'Etat. "Des sanctions devront être prononcées", a déclaré François Hollande lundi 11 février. Mais retrouver les coupables ne sera pas mince affaire. Car entre un abattoir roumain et les rayons des surgelés français ou britanniques, de nombreux intermédiaires pourraient avoir été tenté de substituer du bœuf par une viande chevaline, deux à trois fois moins chère. En tout, le gain d'une telle substitution a été estimé à 300.000 euros pour un lot de 25 tonnes.
La Roumanie suspecte ?
Au départ, il y a deux abattoirs suspectés en Roumanie. "On sait qu'il y a dans cette région des mafias qui ont infiltré les administrations publiques, explique Fabrice Nicolino, auteur de "Bidoche". Il est facile de tamponner un produit quelconque, de l'estampiller origine boeuf garantie, avant de l'envoyer dans l'Union européenne". Le pays utilisait les chevaux pour le transport il y a encore peu de temps, avant un changement dans le code de la route qui aurait poussé des milliers de canassons vers les abattoirs. De quoi constituer une accusation sérieuse ? Pas vraiment. Le Premier ministre roumain en personne, Victor Ponta, a déclaré lundi qu'"aucune irrégularité n'avait été commise par une société roumaine ou sur le territoire roumain", après vérifications auprès de deux abattoirs suspectés. Les abattoirs auraient donc mis en vente de la viande de cheval étiquetée comme telle. Qui a modifié l'étiquetage ?
Des traders peu scrupuleux ?
La Roumanie exporte vers l'Italie, la France, la Belgique et l'Espagne principalement. Selon la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, c'est un trader chypriote qui a vendu la viande roumaine, du "minerai" de boeuf congelé (pointe de muscle notamment), acheté à bas prix en grande quantité. Il est question d'un second trader, cette fois aux Pays-Bas. Les autorités sanitaires néerlandaises ont lancé une enquête lundi suite au scandale. "Nous enquêtons pour savoir s'il y a également des produits vendus sur le marché néerlandais qui contiendraient à tort de la viande de cheval", a déclaré une porte-parole de l'organisme de surveillance de l'alimentation et de la consommation. Cette enquête se concentrera également sur "l'éventuelle implication de sociétés néerlandaises", a-t-elle ajoutée. Des premiers résultats devraient être publiés d'ici à une semaine.
Spanghero a-t-il vu la viande ?
Basée à Castelnaudary, dans l'Aude, la société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits à base de viande apparaît comme l'intermédiaire suivant dans la chaîne. Elle a longtemps appartenu à la famille de rugbymen Spanghero, avant d'être vendue en 2009 à une coopérative basque, "Lur Berri". "Spanghero n'a pas d'activité d'achat, de revente ou de transformation de produits à base de viande de cheval", explique-telle sur son site internet, rappelant qu'elle respecte les règles européenne. Dans son communiqué, l'entreprise, dont les locaux sont situés en face d'un stand de tir et d'un club canin, précise qu'elle n'a procédé à aucune transformation. "Depuis 2012, la société, dans le cadre de son activité de négoce, a acheté et revendu en l'état de la viande étiquetée 'minerai de bœuf désossé surgelé UE' à son seul client, Tavola". Elle ajoute que "dans le cadre de son plan d'autocontrôle systématique, elle a procédé à des analyses bactériologiques, qui se sont révélées conformes à la règlementation sanitaire". Elle précise aussi que "la réglementation en vigueur n'impose pas de contrôles ADN, seule procédure qui permettrait de vérifier l'espèce de la viande portée sur l'étiquette". Le seul ? "Les viandes de bœuf et de cheval n'ont pas le même aspect, pas la même couleur", précise une source à la DGCCRF. "Mais pour le constater, il aurait fallu la décongeler. Et dans ce cas, il y aurait eu rupture de la chaîne du froid." Des agents de la répression des fraudes sont venus dès vendredi chez Spanghero, à un moment où le nom de l'entreprise n'était pas encore sur la place publique. Deux agents du service national sont revenus lundi. La DGCCRF vérifie notamment les comptes des entreprises. Spanghero a annoncé qu'elle avait porté plainte contre X pour tromperie, et qu'elle collaborait avec les autorités.
Comigel, le transformateur
La PME, achetée en 2007 par les partenaires de Céréa Capital, et dont le siège social est à Metz, en Moselle, est spécialisée dans la fabrication de plats surgelés "à marque distributeur". Ses produits sont distribués dans 16 pays d'Europe. Mais ses lasagnes sont confectionnées par une filiale installée à Capellen au Luxembourg, Tavola. Lors de leur transformation, le produit est alors décongelé, puis surgelé. Est-ce suffisant pour voir que l'aspect de la viande n'est pas celui du bœuf ? Le PDG de Comigel, Erick Lehagre, dit avoir lancé une enquête auprès du fournisseur de viande de Tavola, Spanghero. Il déclare qu'il était persuadé que la viande était exclusivement du boeuf d'origine française, alors que Spanghero affirme de son côté qu'"en aucun cas" sa viande n'a été vendue "sous le label Viande bovine française". Qui dit vrai ?
Les distributeurs réagissent
Findus, groupe agroalimentaire international leader du surgelé en grande et moyenne surface, commercialise des produits préparés par ses soins mais aussi par des sous-traitants, notamment Comigel. Comme Comigel, Findus appartient à un fonds d'investissement, Lion Capital. Ce n'est pas le seul distributeur concerné. Auchan, Casino, Carrefour, Cora, Monoprix et Picard ont retiré de la vente des produits Findus, mais aussi ceux qu'ils ont commercialisés sous leurs propres marques venant également de chez Comigel, sans toutefois préciser lesquels. Les principales entreprises de restauration collective en France ne se sont pas fournies directement auprès de Comigel ou Spanghero, a indiqué de son côté le Délégué général de leur fédération, qui procède à des vérifications.
Comment de la viande de cheval s'est retrouvée dans des lasagnes surgelées censées être au bœuf ? C'est l'énigme que vont devoir résoudre les autorités européennes en quelques jours. Bien qu'aucun risque sanitaire n'ait été évoqué, les inquiétudes qu'elle suscite pourraient porter un coup à l'industrie alimentaire. Le dossier est d'ailleurs devenu en quelques jours une affaire d'Etat. "Des sanctions devront être prononcées", a déclaré François Hollande lundi 11 février. Mais retrouver les coupables ne sera pas mince affaire. Car entre un abattoir roumain et les rayons des surgelés français ou britanniques, de nombreux intermédiaires pourraient avoir été tenté de substituer du bœuf par une viande chevaline, deux à trois fois moins chère. En tout, le gain d'une telle substitution a été estimé à 300.000 euros pour un lot de 25 tonnes.