L’article constitutionnel sur la famille, en votation le 3 mars, passe à peu près inaperçu, comme écrasé par le bulldozer Minder. Le sort des dirigeants surpayés fascine davantage que les histoires de crèches…
Minder par ci, Minder par là. On pourra certes trouver divertissante cette lutte entre les partisans d’une initiative et ceux de son contreprojet se proclamant les uns et les autres seuls véritables pourfendeurs des salaires mastodontes de nos grands capitaines. Trouver tout aussi drôle de voir la gauche se ruer massivement à la rescousse des actionnaires — lesquels, sinon, aux yeux de cette même gauche, n’en finissent pas de représenter le mal absolu, d’incarner rien moins que le vampirisme des temps modernes.
Ce serait bien là, en effet, la seule conséquence d’une acceptation de l’initiative comme du contre-projet: non pas une baisse automatique des salaires pour supers manitous mais juste le renforcement du pouvoir des actionnaires face aux conseils d’administration. Des actionnaires qui pourront tout aussi bien décider de tailler dans les rémunérations indécentes de leurs dirigeants que de ne pas y toucher, ou qui sait même de les pousser encore un peu plus loin dans l’indécence. Oui on pourra trouver cela bien burlesque dans un monde qui l’est si rarement.
Sauf que tout ce bruit, toute cette sarabande pourraient paraître aussi bien démesurés pour un objet ne concernant finalement que très, très peu de monde: une poignée d’extra-terrestres aux fiches de paie à sept, voire huit chiffres. Quand, dans le même temps, l’un des deux autres objets soumis le 3 mars à la sainte sagacité populaire touche de près ou de loin à peu près chacun, mais ne fait pourtant fantasmer personne, ni les politiques, ni les médias petits et grands, à encre comme à électricité, ni même Radio Bistrot. On veut parler bien sûr de l’article constitutionnel sur la famille. Un article censé faciliter la difficile conciliation entre vie de famille et vie professionnelle. Et qui s’attaque à un véritable serpent de mer: les monstrueuses listes d’attente qu’il faut affronter pour juste placer un môme en crèche.
Les partisans de l’article, telle la PDC saint-galloise Lucrezia Meier-Schatz, par ailleurs directrice de Pro Familia, se plaignent d’un manque de moyens et surtout d’un désintérêt marqué de la classe politique. Au sein de laquelle ce sont surtout les opposants, à savoir, sans surprise le parti des bons père de familles et des saintes femmes aux foyers, l’UDC donc qui mouille la chemise. En présentant notamment les crèches comme de véritables prisons et les enfants qu’on y place comme des victimes expiatoires.
Les difficultés que connaissent les structures familiales contemporaines, beaucoup plus mouvantes et instables que jadis, les milieux économiques ont choisi eux aussi de s’en tamponner copieusement economiesuisse préfère s’occuper des choses sérieuses, comme les moulins à vents du sieur Minder, et se préoccuper du sort des grandes personnes comme les CEO de nos fleurons industriels. La gauche, qui est pour l’article, parait dépenser elle aussi toute son énergie sur la lourdement symbolique initiative Minder.
Moucher les gros capitalistes, ça vous a tout de même une autre allure militante que s’inquiéter des têtes blondes et de leurs mamans contraintes à la démultiplication et l’ubiquité. Surtout que chez les camarades, le mot famille continue d’être acueilli avec une moue au mieux dubitative. Très divisé et plutôt favorable aux crèches dans son programme électoral, le parti radical, dont une majorité de parlementaires soutiennent pourtant l’article, a fini par dire non, au grand dam de ses femmes et de ses sections vaudoise et genevoise.
Bref, l’anomalie que Lucrezia Meier-Schatz dénonce dans «Le Matin» ne semble choquer personne: «Dans la Constitution suisse nous avons un article pour tout, les handicapés, les personnes âgées, les jeunes, la musique. Tout sauf la famille.»