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dimanche 24 mars 2013

Entre Poyat, poyas et la Poya, le Musée se plie en quatre


En attendant la Poya d’Estavannens, le Musée gruérien expose ses poyas peintes. L’institution publie en parallèle un livre sur l’histoire des six premières fêtes. En septembre, un second tome sera consacré exclusivement à l’édition de cette année.

Précisons-le une fois pour toutes: il ne faut pas confondre poya, Poyat, poyas et Poya! Originaire du grec podos (génitif du mot pied), le terme poya vient du verbe patois poyi (monter). La poya est donc devenue la montée à l’alpage, l’inalpe, à l’inverse de la désalpe ou la rindya en patois (littéralement la rendue). Orthographiée Poyat, elle devient le lieu-dit pentu de Fribourg (là où se bâtit le pont de la Poya), aperçu dans une gravure de Joseph-Emmanuel Curty, datée de 1799. En 1881, La Poya est encore un poème d’Etienne Fragnière, mis en musique par Joseph Bovet en 1910. Au milieu du XXe siècle, on donne le nom poya aux peintures de troupeaux sur les linteaux des fermes gruériennes, au moment où naît, en 1956, la Poya d’Estavannens, une fête populaire dont la septième édition aura lieu du 8 au 12 mai prochain. Cela vous semble-t-il suffisamment clair?

Collection de référence

Or donc, le Musée gruérien vernit ce week-end sa grande exposition de poyas peintes, largement issues de sa collection, qui fait référence en la matière.

L’accrochage débute avec un fronton de ferme, peint par Nicolas Grandjean en 1846. On ne parle pas encore de poya, mais de scène de la vie agricole, où l’on fait boucherie aux abords du troupeau. Pour bien montrer que ces peintures étaient accrochées sous les avant-toits, le Musée a eu la bonne idée de les suspendre en hauteur, à distance respectable des regards rapprochés.

Alors que le Pays-d’Enhaut se spécialise dans le papier découpé, avec Hauswirth et Saugy, la Gruyère devient un terreau fertile pour les peintures de troupeaux, où les vaches sont représentées de profil, tout comme les éleveurs les photographient d’ailleurs aujourd’hui. Au tournant du XXe siècle, les vaches rouges et noires ne se mélangent plus, comme à l’époque du précurseur Sylvestre Pidoux.

Peu à peu, le paysage alpestre prend de l’importance, alors que certains peintres continuent de représenter des scènes naïves, «très appréciées des artistes contemporains», souligne Isabelle Raboud, directrice du Musée gruérien.

L’inventaire de Glauser

Dans les années 1950, au moment où naît la Poya d’Estavannens, les premiers collectionneurs et les institutions s’intéressent à ce genre, notamment dans le canton de Saint-Gall. En Gruyère, il faudra attendre les travaux d’Alain Glauser, un Ajoulot (!), qui se met en tête de recenser toutes les poyas de la région. Durant les années septante, les poyas peintes entrent dans le champ de l’art populaire. Elles descendent des façades de fermes pour être exposées dans les salons.

La pratique se diversifie, selon le regard du peintre, mais aussi selon les vœux du commanditaire qui tient à ce qu’on reconnaisse ses vaches et son chalet d’alpage. Plus on avance dans le XXe siècle, plus il devient facile de déroger aux règles que le genre s’est lui-même imposées. Aussi, certains peintres cessent de représenter les vaches de profil, d’autres se distinguent à peine de l’art brut, à l’image d’Anselme Roulin, un retraité qui a eu un jour la révélation: «Il faut que je peigne des scènes d’alpage!»

A l’inverse, deux grandes figures de la peinture locale s’emparent du thème: Netton Bosson pour la Migros de Bulle et Teddy Aeby, à la fromagerie de Pringy. Dans leur sillage, la poya prend des airs exotiques avec la version mandala d’Antonio Bruni ou des tableaux hyperréalistes de Francis Oberson, qui s’affranchit des codes «classiques» pour représenter ce qu’il nomme des Herbées, avec une profondeur digne du cinéma en 3D.

 Au terme de la visite, Isabelle Raboud relève le côté extrêmement vivant des poyas peintes. «Avec toutes les demandes qu’on a eues pour exposer, on aurait pu remplir des halles de gymnastique!»

Bulle, Musée gruérien, jusqu’au 29 septembre 2013, vernissage ce samedi à 18 h, avec un extrait du spectacle chanté par Michel Brodard, www.musee-gruerien.ch

La Poya d’Estavannens décryptée

Du 8 au 12 mai, Estavannens vivra la septième édition de sa Poya. Dans un ouvrage collectif publié sous l’égide du Musée gruérien, François Rime retrace l’histoire de cette fête populaire qui attira 5000 personnes lors de sa création en 1956. «Cette première fête entend commémorer les septante-cinq ans du poème d’Etienne Fragnière», note l’historien. Le canevas est désormais gravé dans le marbre. La fête commence par une messe en patois sur le pâturage du Dah, puis un déjeuner sur l’herbe (enfin, un pique-nique), agrémenté depuis 1960 par un concert prélude. L’après-midi se poursuit par le spectacle, puis, cerise sur le gâteau, par le cortège, qui se termine immanquablement avec le défilé du troupeau, uniquement composé de vaches pis noires!

Illustrée d’un grand nombre de photographies, La fête de la Poya – Estavannens 1956-2000 décrypte cet événement sous la plume d’une dizaine d’auteurs, dont Jean Godel et Yann Guerchanik, journalistes à La Gruyère. On y retrouve en outre une mise en contexte minutieuse de chaque fête, avec une volonté identitaire de «retour aux vraies valeurs de la Gruyère», en 1960, «les incertitudes liées aux problèmes de l’économie alpestre», en 1966, «la célébration d’une tradition, avec la transformation du village en une sorte d’ethnomusée des vieux métiers», en 1989, ou encore «l’ouverture aux races bovines et aux cultures de toute l’Europe», en 2000.

Mise en scène et paradoxe

D’un sympathique rassemblement, en 1956, au succès populaire et médiatique de l’an 2000 (60000 visiteurs), la Poya d’Estavannens est devenue un événement incontournable. «Mais les paysans d’Estavannens ne se font aucune illusion, écrivait – le 16 mai 2000 – Patrice Borcard, alors rédacteur en chef de La Gruyère. Ils savent que leur Poya est la mise en scène nostalgique d’une civilisation pastorale en voie de disparition. Ils connaissent les réalités économiques, les mutations à venir. C’est tout le paradoxe de cette Poya d’Estavannens.»

Inscrite sur la liste des traditions vivantes du canton de Fribourg, alors même que la montée à l’alpage se fait aujourd’hui principalement en bétaillère (nouveau paradoxe), la Poya est avant tout l’occasion de faire la fête et de donner de nouvelles interprétations à ces traditions. Ce que ne manqueront pas de faire les contributeurs du second tome de cet ouvrage, centré sur l’édition 2013, à paraître en septembre. CD

La fête de la Poya – Estavannens 1956-2000, Editions Alphil - Musée gruérien. Second tome à paraître en septembre
CHRISTOPHE DUTOIT