L'Agence nationale de sécurité sanitaire estime que la substance fait courir un réel risque au foetus des futures mères exposées au bisphénol A. Et peut-être à d'autres...
La dangerosité du bisphénol A se précise. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a dévoilé mardi son évaluation des risques liés au bisphénol A (BPA), fruit de trois ans de travail, conclut à l'existence d'un risque bien réel pour l'enfant à naître des femmes enceintes. Elle recommande donc de limiter au maximum l'exposition des futures mères à ce perturbateur endocrinien potentiellement cancérigène. D'une manière plus générale, l'agence estime que la dose journalière admissible (qui est actuellement de 0,05 milligramme par kilo de poids corporel) va devoir être sévèrement revue à la baisse pour l'ensemble de la population. Car si le bisphénol A est interdit en France depuis janvier dernier dans les conditionnements de produits alimentaires destinés aux enfants de moins de 3 ans, il reste présent dans une large gamme de produits de consommation courante. Sa disparition de l'ensemble des conditionnements de produits alimentaires est programmée pour le 1er janvier 2015. Cependant, il entre également dans la composition de nombreux autres produits, comme des ustensiles de cuisine ou encore du petit électroménager...
Gare aux boîtes de conserve !
Dans son rapport, l'Anses a, pour la toute première fois, réalisé une estimation précise des différentes sources d'exposition au bisphénol A, qui révèle que l'alimentation se trouve, et de loin, en première ligne. Pour la femme enceinte, elle représenterait pas moins de 84 % de la contamination par ce perturbateur endocrinien, 12 % provenant de l'air et 4 % de poussières en suspension. Dans la ligne de mire figurent principalement les boîtes de conserve (50 % de la contamination par l'alimentation), dont l'intérieur est souvent tapissé d'un revêtement contenant du bisphénol A. "Cela montre clairement que si l'on supprime l'exposition via les contenants alimentaires, on réduit les risques de manière spectaculaire", souligne Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques à l'Anses. Viennent ensuite les bonbonnes d'eau en polycarbonate équipant certains distributeurs mis à disposition dans les collectivités, mais aussi, plus surprenant, les viandes, les abats, la charcuterie et les fruits de mer, pour lesquels la source de contamination reste à déterminer. Par ailleurs, certains papiers thermiques comme les tickets de caisse ou les reçus bancaires présenteraient également une source de contamination préoccupante pour certains professionnels, notamment les caissières pour lesquelles l'agence recommande une exposition réduite lorsqu'elles sont enceintes.
Modification de la structure de la glande mammaire
Pour l'enfant à naître, en l'état des connaissances scientifiques que les experts de l'Anses ont décortiquées, le risque principal porte sur une modification de la structure de la glande mammaire, suspectée de favoriser un développement tumoral ultérieur, aussi bien chez les filles que chez les garçons. Ce risque est toutefois, pour l'heure, jugé "modéré" du fait d'incertitudes persistantes, notamment parce que les études de toxicité ne peuvent être menées que sur des animaux. Trois autres risques également examinés - portant sur le fonctionnement du cerveau, de l'appareil reproducteur féminin et sur des troubles métaboliques impliqués dans l'obésité - sont, en revanche, jugés "négligeables" à ce stade.
"D'une manière générale, les perturbateurs endocriniens, comme le bisphénol A, interfèrent avec les hormones dans la mesure où ils agissent sur les mêmes récepteurs. Cela a alors deux types d'action : soit ils renforcent l'action de certaines hormones, soit ils bloquent le récepteur et empêchent l'hormone d'agir. Dans les deux cas, cela crée des perturbations au niveau hormonal susceptibles de générer tout un tas de conséquences, et notamment de favoriser le développement de cancers, même si tout n'est pas forcément connu", explique Laurent Chevallier, médecin consultant en nutrition, auteur du Livre antitoxique * publié cette semaine chez Fayard. Pour le spécialiste des perturbateurs endocriniens, le rapport de l'Anses va clairement "dans le bon sens" en prenant en considération à la fois l'effet de l'exposition - y compris "à de faibles doses" - et "le moment de l'exposition".
Ne pas remplacer un problème par un autre
L'Anses renvoie désormais la balle aux industriels, à qui il revient de proposer des solutions de remplacement au bisphénol A à la fois "efficaces et sûres". À ce jour, l'Anses répertorie déjà 73 autres substances possibles, certaines déjà utilisées et d'autres encore en développement. Toutefois, aucune d'entre elles ne peut remplacer le BPA dans l'ensemble de ces applications, de sorte que des solutions ne pourront être apportées qu'au cas par cas. Mais, là encore, l'agence tire la sonnette d'alarme quant à l'utilisation d'autres bisphénols, comme le bisphénol S, déjà introduit en remplacement dans la confection de certains biberons. "Toutes ces substances partagent une structure chimique commune qui leur confère des propriétés similaires aux oestrogènes, hormones synthétisées notamment par les ovaires", souligne l'agence. "Autrement dit, il ne s'agit pas de remplacer un perturbateur endocrinien par un autre", renchérit Laurent Chevallier. "Il faut penser en termes d'hygiène chimique, faire la révolution pasteurienne pour la chimie ! Le seul moyen qu'on a eu de limiter, dans le passé, la propagation des grandes épidémies, ça a été l'hygiène, et non le soin. Ce n'est pas par le soin que l'on arrive à endiguer ce genre de problème, c'est par la prévention, et la prévention, c'est de limiter absolument l'exposition à ces substances-là."
Comment éviter les emballages alimentaires qui en contiennent ?
En l'absence d'étiquetage obligatoire, reconnaître un contenant comportant du BPA reste une tâche très difficile. Quelques indices méritent toutefois l'attention.
L'annonce est tombée mardi. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) recommande de limiter l'exposition des femmes enceintes au bisphénol A (BPA) en raison d'un risque "modéré" mais bien réel pour le foetus et préconise une révision à la baisse de la dose journalière admissible pour l'ensemble de la population. D'après le rapport de l'agence, 84 % de l'exposition des futures mères proviendrait de l'alimentation. Une question se pose alors. En attendant que les industriels trouvent un moyen de remplacer cette substance potentiellement cancérigène et que la loi française la proscrive totalement pour le conditionnement des produits alimentaires à compter du 1er janvier 2015, existe-t-il un moyen de limiter, par soi-même, son exposition ? Sachant que plus de 50 % de la contamination par l'alimentation provient des emballages alimentaires, existe-t-il un moyen de les reconnaître afin de les éviter ? En l'absence d'exigence légale d'un étiquetage précis sur ces contenants, il demeure très difficile de déceler la présence de bisphénol A. Pour autant, quelques informations de base peuvent aider à limiter les risques.
Du côté des récipients en plastique au contact des denrées alimentaires, le perturbateur endocrinien n'est autorisé en Europe que pour la synthèse d'un matériau appelé polycarbonate, qu'il est totalement impossible de distinguer à l'oeil nu et qui, au passage, est utilisé pour la fabrication des bidons qui équipent certains distributeurs d'eau mis à disposition dans les collectivités et les entreprises. Alors, comment s'y retrouver ? Certains fabricants, pas tous, loin de là, ont pris l'habitude d'apposer sur leur produit un code de recyclage susceptible de permettre d'y voir un brin plus clair. Il s'agit d'un petit triangle composé de trois flèches avec un numéro à l'intérieur. Pour se garantir du bisphénol A, le chiffre 7 (autres plastiques) est à éviter, surtout s'il porte en dessous le sigle PC qui signifie polycarbonate. Les contenants alimentaires portant les numéros 1 à 6 ne contiennent pas de bisphénol A.
Les bocaux en verre plus sûrs
Concernant les boîtes de conserve (qui représentent, selon les travaux de l'Anses, 50 % de l'exposition des femmes enceintes au BPA), le bisphénol A entre dans la composition de certaines résines époxydes, sorte de vernis qui tapisse leurs parois. Les emballages en métal (canettes, boîtes rectangulaires, boîtes cylindriques, etc.) sont susceptibles d'en contenir, et, là, pas d'étiquetage. Toutefois, d'après l'Anses, les plus susceptibles de comporter du BPA sont les boîtes composées de trois pièces de métal, un corps avec un fond et un couvercle sertis, ce qui est le cas des boîtes cylindriques, la suspicion étant d'autant plus grande que l'aliment est acide (tomates par exemple). Les boîtes, fabriquées par emboutissage d'une feuille métallique, comportant seulement un corps et un couvercle serti, comme les canettes, seraient moins concernées par l'emploi de bisphénol A. Le plus sûr est finalement de choisir la conserve en verre, même si l'intérieur de son bouchon reste susceptible d'être couvert d'une mince pellicule contenant du BPA.
Enfin, faute de mieux, la précaution la plus élémentaire est d'éviter de réchauffer les aliments dans un récipient douteux, car l'élévation de la température active sensiblement la migration du bisphénol vers les aliments. Mais, attention, la contamination de la nourriture peut également se produire dans nos cuisines puisque certains ustensiles de cuisine en plastique et notamment du petit électroménager, comme des bouilloires ou des cuits-vapeur, peuvent être faits avec du polycarbonate et donc contenir eux-mêmes du bisphénol A. Là aussi, un petit triangle de recyclage ne comportant pas le numéro 7 peut se révéler un bon indicateur, si seulement le fabricant a eu la bonté de le faire figurer...
Photo © Florence Durand/Sipa
Chloé Durand-Parenti
*Le livre antitoxique : Alimentation, cosmétiques, maison... : le guide complet pour en finir avec les poisons, Laurent Chevallier, Fayard