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jeudi 30 mai 2013

Cette Suisse qui plie devant les Etats-Unis


Eveline Widmer-Schlumpf mercredi à Berne: une ministre sous intense pression. (Arnd Wiegmann/Reuters)



Alors que Washington crie victoire, l’«accord» fiscal dont on ne connaît toujours pas les détails ne fait presque que des mécontents dans la presse helvétique. Mais tout le monde s’accorde à dire que c’est un tournant: le secret bancaire a agonisé

Contrairement au Tages-Anzeiger (T-A) et à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), qui ne lui accordent qu’une portion congrue dans leur édition papier après qu’ils ont déjà beaucoup écrit sur la modification légale annoncée, le sujet fait tout de même ce matin la une du Financial Times et du Wall Street Journal (WSJ), qui y consacrent tous deux plusieurs articles et autres vidéos: le Conseil fédéral a donc accepté mercredi les exigences américaines pour régler le dossier des avoirs de ses citoyens déposés dans des banques suisses qui ne sont pas déclarés au fisc.

Dans ce bouillant dossier, Le Matin s’insurge surtout contre le fait que «les banques pourront dénoncer leurs salariés». Sur le Web, le T-A pense, lui, que «pour une démocratie», l’accord est «inacceptable» et propose par ailleurs la revue de presse détaillée des médias alémaniques de l’ATS. Celle-ci interprète généralement les événements de mercredi comme «un ordre de marche de Washington» et tire à vue sur une ministre des Finances soutenue par son seul parti, le PBD, très très affaiblie et qualifiée de «fossoyeuse définitive du secret bancaire suisse». Quant à la NZZ, elle se fait l’écho des vives critiques issues du monde bancaire.

«Ça va coûter cher» 

Car il s’agissait en effet d’«une offre unilatérale, que l’on ne pouvait pas négocier», à prendre ou à laisser, a indiqué en substance Eveline Widmer-Schlumpf, la cheffe du Département des finances, en présentant l’accord mercredi à la presse. Elle n’a toutefois donné aucun détail sur les amendes que les banques helvétiques – et non l’Etat – devront payer, en indiquant qu’il appartenait à ces dernières de communiquer à ce sujet. Les établissements concernés pourront négocier directement un règlement du passé, sans violer le droit suisse. Interprétation de Francetvinfo: «Les Etats-Unis ont fait plier la Suisse.» Et «ça va coûter cher», enchaîne le Handelsblatt.

Le WSJ précise pour sa part, en soulignant la «victoire» du gouvernement américain, que «les banques suisses seront autorisées à négocier directement avec le Département américain de la justice» pour régler ce problème lancinant de l’évasion fiscale en «communiquant des informations sur les relations de leurs employés avec leurs clients américains». Précision du quotidien, qui cite Martin Naville, le directeur de la Chambre de commerce Suisse-Etats-Unis: le plan devra encore passer «l’écueil de l’opinion publique». Mais il se montre confiant. Quoique le parlement soit «invité à voter à l’aveugle», dit un article publié par plusieurs quotidiens romands, dont Le Courrier de Genève.
«Bons baisers de John Wayne» 

La Handelszeitung, elle, plaide pour que «les banques suisses montrent un front uni contre les Etats-Unis et leur attitude unilatérale». Précisant qu’elles «pourront elles-mêmes décider d’accepter ou non l’offre américaine» et que, «comme l’accord ne sera valable qu’une année, il ne sera pas soumis au référendum facultatif» après ratification par les Chambres fédérales. Elle interroge aussi le professeur Alfred Mettler, qui pense que tout cela «fait mal à l’âme suisse», et titre un commentaire très critique on ne peut plus clairement: «John Wayne lässt grüssen». Qu’on pourrait traduire un peu librement par «Bons baisers de John Wayne», pour dire: tout ça, on connaît, ce sont des méthodes de «cow-boys» et de «chasseurs de primes».

Dans son éditorial de mercredi, L’Agefi se montrait inquiète et posait entre autres ces deux questions: «Les amendes dont devraient s’acquitter les instituts suisses en fonction de leur aide à l’évasion vont-elles être répercutées sur les clients concernés […]? Avec quelles conséquences et sur quelles bases, du moment où la fiscalisation ne relève pas de la responsabilité des intermédiaires? Aujourd’hui elle constate, dépitée, que «l’accord avec les Etats-Unis ne dit toujours rien sur le montant. Les estimations vont de 7 à 40 milliards. C’est une simple facilité qu’a négociée la Confédération avec les Etats-Unis: ils pourront mettre en œuvre unilatéralement leur programme de résolution du différend fiscal en vertu du droit américain.»

Lüscher qui fulmine 

Et ça, c’est vraiment «un tournant», a bien compris le New York Times, «pour toutes ces banques qui ont autorisé des dizaines de milliers de citoyens américains fortunés à mettre leur argent à l’abri en placements offshore». Ce qui n’empêche pas le conseiller national Christian Lüscher (PLR/GE) de fulminer dans Bilan: «Je comprends pourquoi le chef négociateur Michael Ambühl est parti. Il n’y a pas d’accord! Eveline Widmer-Schlumpf essaie de le masquer en prétendant qu’elle est arrivée à une solution. Le Gouvernement suisse ne protège plus ses citoyens! Il demande au Parlement de ratifier ses errements. On exige des élus, qui ont les yeux bandés et qui sont dans une pièce noire, d’accepter une loi dont la ministre des Finances refuse de nous donner les détails. Je n’ai jamais vu ça de toute ma carrière d’avocat.»

Qu’a-t-elle obtenu? Rien, dit l’éditorial de la Tribune de Genève, explicitement titré «Echec et mat». Et d’ajouter: «Au lieu d’un accord, le Conseil fédéral propose une modification de la loi suisse qui n’a qu’une seule et unique vertu: autoriser les banques à fournir aux Etats-Unis les informations nécessaires pour se faire pendre.» L’Association des banquiers tessinois, qui avait par hasard lieu hier se montre aussi très critique sur la stratégie de Berne, relève le Corriere del Ticino.
 
Et pendant ce temps... 

En France, Les Echos jugent que c’est une «journée faste pour la lutte contre la fraude fiscale». Puisque, en plus du fait que «Berne cède à Washington», 12 pays, dont l’Autriche et le Luxembourg – mais pas la Suisse! – ont signé ou se sont engagés à signer un accord de coopération fiscale qualifié d’«historique» par l’OCDE, partenaire de cet accord. Ils précisent aussi que «la presse helvétique a fait état ces jours-ci d’amendes pouvant atteindre 10 millions de francs suisses». Mais la Suisse, en tant qu’Etat, «ne paiera rien», ajoutent-ils en citant Eveline Widmer-Schlumpf.