Une souche de bactérie contre laquelle les traitements antibiotiques sont inefficaces pourrait être à l'origine de graves infections alimentaires.
La salmonelle en cause a été récemment détectée dans des élevages de dindes de plusieurs pays d'Europe. © GILE / SIPA
La bactérie Salmonella kentucky (S. kentucky) envahit actuellement la planète à toute allure, ce qui pourrait entraîner de multiples infections d'origine alimentaire. Des chercheurs des Instituts Pasteur de Paris et du Maroc sonnent l'alarme sur le site du journal The Lancet Infectious Diseases. Selon leur étude, après avoir connu une expansion spectaculaire sur le continent africain et au Moyen-Orient, cette bactérie résistante à plusieurs classes d'antibiotiques s'est récemment implantée en Inde et en Asie du Sud-Est où elle a "enrichi" sa panoplie de résistance en devenant insensible aux médicaments les plus récents. Enfin, elle a été récemment détectée dans des élevages de dindes de plusieurs pays d'Europe.
Les bactéries du genre Salmonella figurent parmi les plus importantes causes d'infections alimentaires chez l'homme, rappelle le Dr François-Xavier Weill, spécialiste à l'Institut Pasteur à Paris. Transmises par le biais d'une large variété d'aliments contaminés (viande, oeufs et produits laitiers), elles sont responsables de gastro-entérites pouvant être très sévères en particulier chez les enfants, les personnes âgées et les personnes à l'immunité défaillante.
La première souche de Salmonella kentucky résistante à plusieurs antibiotiques a été isolée en décembre 2002 chez un Français tombé malade lors d'une croisière sur le Nil. Depuis, une surveillance étroite de cette bactérie a été menée par le centre national de référence* à l'Institut Pasteur à Paris. L'équipe du Dr François-Xavier Weill, le responsable de ce CNR, a ainsi isolé des milliers de souches chez des voyageurs ou migrants au cours d'un voyage en Égypte ou en Afrique de l'Est, puis en Afrique du Nord (Maroc principalement), au Moyen-Orient et enfin en Afrique de l'Ouest.
Nouvelles résistances
Ces auteurs s'inquiètent de l'expansion des zones de contamination de S. kentucky et de sa capacité à acquérir de nouvelles résistances. Chiffres à l'appui, ils montrent son impressionnante implantation, en particulier sur le pourtour méditerranéen. Ils mettent également en évidence une tendance peu rassurante : un certain nombre de souches récemment acquises sur le bassin méditerranéen présentent un spectre de résistance dirigé contre l'ensemble de classes d'antibiotiques utilisées pour traiter les salmonelloses sévères. Si le problème devait s'étendre, "la conséquence directe serait une menace d'épidémies au sein même de l'Europe et avec des risques d'impasse thérapeutique", prévient le Dr Simon Le Hello, coresponsable du CNR.
En 2011 déjà, la même équipe pasteurienne avait sonné l'alarme en révélant l'émergence de S. kentucky dans les pays africains et au Moyen-Orient, et en identifiant comme réservoir principal en Afrique la volaille (poulets et dindes). Selon les chercheurs, la bactérie aurait pu acquérir une série de résistances en raison du recours massif aux antibiotiques dans les élevages africains. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, ils mettent en garde contre l'utilisation non réglementée et à outrance de ces médicaments dans les élevages de pays en développement. Et ils lancent un appel pour que cette bactérie soit désormais incluse dans les programmes nationaux de contrôle des salmonelles dans les filières aviaires.
* CNR des Escherichia coli, Shigella et Salmonella situé au sein de l'Unité des bactéries pathogènes entériques
Anne Jeanblanc