Parce que Henri Desgrange (1865-1940), directeur du quotidien sportif L’Auto, l’ancêtre de L’Équipe, et maître d’œuvre du Tour de France, l’a décidé. Pourtant, ce n’est pas lui qui a eu l’idée de ce Maillot jaune, mais le patron de l’équipe La Sportive, Alphonse Beaugé (1973-1938). Cet homme-là connaît le vélo : il a dirigé les formations Alcyon et Peugeot, qui ont gagné plusieurs Tours de France avant la guerre. Il sait comment on passionne les foules : il a été reporter pour le journal Le Vélo, grand rival de L’Auto.
En 1919, lors de la Grande Boucle qui succède à la Grande Guerre, les soixante-neuf coureurs équipés par La Spor- tive, consortium créé par les marques françaises de cycles, écrasent l’épreuve. On ne voit que leur maillot gris. Le public ne parvient pas à savoir lequel des champions est en tête. Le brassard vert porté par le premier du classement général ne suffit pas à le distinguer. Gros problème. Le 7 juillet, au soir de la 5e étape Les Sables d’Olonne-Bayonne (482 kilomètres), il ne reste que dix-sept coureurs, mais on n’y comprend plus rien.
Selon Serge Laget, l’un des auteurs de Jours de fête. La Grande Histoire du Tour de France (Chronique, 2012), Alphonse Baugé aurait alors lancé à Henri Desgrange : « Et si on donnait un maillot jaune au leader ? Jaune comme votre journal. » Car les pages de L’Auto étaient jaunes depuis l’origine pour marquer la différence avec Le Vélo, jadis imprimé sur papier vert. La première remise officielle est organisée le 19 juillet au départ de la 11e étape Grenoble- Genève (325 kilomètres), au café de l’Ascenseur.
Le Français Eugène Christophe (1885-1970) en est le récipiendaire. Il se sent invincible. Il a oublié les malheurs de l’édition 1913 où, renversé par une voiture lors de la descente du col du Tourmalet, dans les Pyrénées, il avait dû, aux termes du règlement, réparer seul sa fourche brisée en la forgeant sous la surveillance des commissaires de course.
Mais le sort s’acharne : le voilà qui casse encore sa fourche. Il perd une heure, son beau tricot et le Tour de France, qui revient au Belge Firmin Lambot. Le Maillot jaune porterait-il la poisse à son premier porteur ? Eugène Christophe persiste. En 1922, il parvient à renfiler le vêtement béni à l’issue de la 4e étape Brest-Les Sables d’Olonne (412 kilomètres). Il ne le rendra pas avant la 6e étape Bayonne-Luchon (326 kilo- mètres). Il reste en course pour la victoire, mais un énième bris de fourche met un terme à sa quête...
Depuis le 19 juillet 1919 et jusqu’au 22 juillet 2012, ce sont 1 876 maillots jaunes qui ont été remis à deux cent cinquante-quatre coureurs différents. C’est le Belge Eddy Merckx qui l’a porté le plus grand nombre de fois (96), devant Bernard Hinault (75) et l’Espagnol Miguel Indurain (60). Les Français l’ont revêtu à 616 reprises, suivis des Belges (376) et des Italiens (187). À noter qu’un Maillot jaune (à bandes noires) a été remis, en 1930, à Benoît Faure, vainqueur du classement des Individuels, ces coureurs sans équipe.
Longtemps, le Maillot jaune n’a arboré d’autres marques que les initiales HD en hommage à Henri Desgrange. Cependant, il a été sponsorisé dès 1948 par les laines Sofil, puis par les liqueurs Suze (1954-1955), les appareils électroménagers Calor (1956), les assurances Le Soleil (1958), Shell-Berre (1961), les pantalons Le Toro, les bières Champigneules (1965) et le beurre Virlux (1969), qui n’apparaissaient pas sur la tunique. En revanche, les glaces Miko (1971-1983), Banania (1984-1986) et le Crédit lyonnais (depuis 1987) ont demandé à y figurer. Par ailleurs, les fournisseurs de la tunique y ont apposé leur sigle : le Coq sportif de 1951 à 1988 et depuis 2012, Castelli de 1989 à 1995, Nike de 1996 à 2011. En 2013, à la faveur du départ inédit en Corse (prologue, première et deuxième étape), le Maillot jaune sera orné d’un filigrane régionaliste à tête de Maure, symbole insulaire, s’il en est. Du jamais vu !
S’il est le symbole du Tour de France, le Maillot jaune n’en est cependant pas l’apanage. Il récompense aussi les leaders et les vainqueurs du Critérium du Dauphiné, du Paris-Nice (depuis 2008), du Tour de l’Avenir, du Tour de Californie, du Tour du Pays basque, du Tour de Pologne, du Tour de Romandie et du Tour de Suisse. Mais le « jaune » de la Grande Boucle est le seul à être reconnu par la légende des cycles.